Également professeur de littérature, l’Antillais Jacques Coursil [avait] enregistré « Clameurs ».
—Par Francis Marmande Publié le 04 mai 2007 —
Belle gueule, rire sonore, 69 ans, lunettes à la Linné et dreadlocks enneigées, Jacques Coursil publie un oratorio. Professeur de littérature à Cornell (Etats-Unis), docteur en mathématique, il l’intitule Clameurs. Composée en 2006, c’est une oeuvre de pure jeunesse. Coursil est antillais, né à Paris en 1938, fidèle aux convictions de son père : la poésie, les luttes..
Clameurs n’a rien à voir avec les clichés antillais. Clameurs ne relève pas du jazz, mais ne peut jaillir que de purs musiciens de jazz. Clameurs n’est pas « world ». C’est une oeuvre de jeunesse, un souffle, une idée : « Tu vois, on a beaucoup moins vieilli que les jeunes ne sont jeunes. »
T-shirt noir sous veste noire, binocles de grand lecteur, Coursil remonte le temps. En novembre 1968, il fait la couverture du numéro 2 d‘Actuel. Aucune nostalgie : la passion pure de la littérature, de la musique, de la poésie, de la linguistique, de la mathématique formelle, de l’informatique. Seule passion, la passion : « Ehiah ! je suis nègre !/Mais je n’ai pas le droit de me laisser ancrer/Non ! »
Dans Clameurs,ces mots de Frantz Fanon – psychiatre antillais, acteur des décolonisations – sont dits par Joby Barnabé, la grande voix des Mornes. Les quatre pièces de l’oratorio fiancent voix et musiques. Long poème de Monchoachi, le Martiniquais aux grands pieds, la Chanson d’Antar (poète réprouvé par le prophète) dite en arabe par Jean Obeied, plus deux pièces d’Edouard Glissant.
Sous les voix, en elles, sur elles, les nappes électroniques de Jeff Baillard, les tambours de Mino Cinelu et la contrebasse d’Alex Bernard, tous antillais. La question n’est pas là. Ce sont leurs expériences croisées que met en jeu un lyrisme dépouillé. Aucun effet, la poésie nue.
LA GRANDE CHAÎNE AFRICAINE
En 1958, soldat en Mauritanie, le soldat Coursil fait l’assesseur au bureau du référendum. Un rien maniaque, il exige qu’on apporte aussi les bulletins « non ». Notre philosophe se retrouve au trou. Grâce à la grande chaîne africaine, il en sort pour être accueilli trois ans dans la maison Senghor : « Tu vois, il faudrait envoyer tout jeune homme chez un poète. » Il parcourt l’Afrique, découvre au retour Barthes, Foucault, Genette et Lacan avec la même fureur joyeuse que le free jazz. C’était du même ordre, seuls les premiers l’ignoraient.
A la mort de Malcolm X, avec juste sa trompette et son couteau, il part pour New York et plonge dans le milieu musical. Il joue avec les princes de la « New Thing », enregistre avec Sunny Murray et apprend aux côtés de Bill Dixon. Au retour, il enregistre deux des premiers albums mythiques du label BYG. Carrière de professeur brillant, double doctorat, trompette en sourdine toujours présente. Clameurs étonne parce qu’il s’inscrit dans le droit-fil de ce parcours étonnant.
Clameurs, de Jacques Coursil : 1 CD Universal Music.
Source : LeMonde https://www.lemonde.fr/culture/article/2007/05/04/album-l-oratorio-du-mathematicien-trompettiste_905485_3246.html