— Entretien réalisé par Ixchel Delaporte —
L’association ATD Quart-monde fête ses 60 ans Place de la République, à Paris, où elle présentera les nombreuses actions qu’elle mène tout au long de l’année. Un travail indispensable pour tenter de changer le regard de la société sur la pauvreté explique Claire Hédon, présidente d’ATD-Quart Monde.
Quel message souhaitez-vous faire passer à l’occasion de cet anniversaire ?
Claire Hédon. La société doit faire reconnaître et faire respecter l’égale dignité de tous. Nous considérons la misère comme une violation des droits de l’homme. Notre but est de montrer avec une multitude d’initiatives que chacun peut s’engager à son niveau. La bataille se joue aussi sur le plan des idées et sur l’opinion publique. Hélas, ce regard devient de plus en plus dur, de plus en plus culpabilisant. Ces deux jours de débats ont pour but d’affirmer l’indivisibilité des droits. Si l’on n’agit pas sur l’ensemble de ces droits (logement, santé, travail, éducation), on n’aura pas de politique de lutte efficace contre la pauvreté.
Vous vous battez contre la pauvreté. Le gouvernement n’a pas fait d’annonces à ce sujet. Ou plutôt des annonces qui ne favorisent pas les plus précaires. Comment réagissez-vous ?
Claire Hédon. Nous sommes inquiets des premières mesures qui ont été prises avec la baisse des APL, la non-revalorisation du RSA et la suppression des emplois aidés. On n’a pas l’impression qu’il y ait beaucoup de mesures pour lutter contre la pauvreté. Nous ne défendons pas le système des APL coûte que coûte, mais au lieu de les baisser brutalement il faut plutôt repenser leur fonctionnement. Nous avons des familles qui sont dans les 40% du revenu médian, c’est-à-dire qui vivent avec moins de 670 euros par mois, et qui, dans les zones tendues, ne parviennent pas à avoir accès à un logement social parce qu’elles ne gagnent pas suffisamment. Dans ce logement social, le loyer devrait être fixé en fonction des revenus de la personne. Ainsi, plus les revenus de la famille augmentent, plus le loyer augmente et n’ayant plus d’intérêt à y rester, elle choisira un autre type de logement. Cela ouvre un turn-over plus important. C’est une des pistes. Mais commencer par réduire les APL de cinq euros pour des familles qui sont au RSA, c’est une grave erreur. Pour le gouvernement, cela peut sembler peu. Pour ceux qui comptent les centimes, c’est énorme.
Et concernant la baisse considérable des emplois aidés ?
Claire Hédon. Nous n’avons jamais été satisfaits de la précarité de ce statut. Ce sont des CDD qui ne permettent pas aux gens de se reconstruire dans la durée. Ceci dit, commencer par supprimer les emplois aidés sans rien proposer ne convient pas non plus. Un emploi aidé coûte à l’Etat 9000 euros par an. Mais en supprimant ces emplois, il ne fait pas 9000 euros d’économies. Ces personnes vont se retrouver aux minima sociaux (soit 6000 euros par an par personne). Donc l’Etat n’économise plus que 3000 euros. Ensuite, de ces 3000 euros, il faut déduire les cotisations qui ne se feront plus, les impôts qui ne seront pas payés et la consommation qui n’aura pas lieu. Au final, il n’y a pas d’économie ! C’est d’ailleurs la philosophie de notre projet Territoire zéro chômeur longue durée. Le chômage longue durée coûte à l’Etat 33 milliards d’euros par an, soit entre 16 000 et 18 000 euros par personne au chômage. L’Etat a bien plus intérêt à financer des emplois utiles à la société même s’ils n’ont pas de valeur marchande.
Quel est le sens de ce projet « Territoire zéro chômeur longue durée » ?
Claire Hédon. Depuis 2011, ATD tente de relancer ce projet. Une loi d’expérimentation a finalement été adoptée le 29 février 2016 avec dix territoires qui se sont portés volontaires depuis janvier 2017. Cette expérimentation, qui dure cinq ans, se fonde sur trois constats qui permettent de penser qu’il est humainement et économiquement tout à fait possible de supprimer le chômage de longue durée à l’échelle des territoires. Nous pensons que personne n’est inemployable et que chacun possède des savoirs-faire et des compétences. D’autant que le travail ne manque pas puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits. Et l’argent ne manque pas puisque, comme nous l’avons démontré en chiffres, le chômage entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge.
Pensez-vous que cette expérience puisse s’étendre à l’ensemble du territoire ?
Claire Hédon. Nous avons une inquiétude pour la suite de cette expérience. Dès maintenant, nous commençons à batailler pour avoir une deuxième loi qui permette à d’autres territoires de rejoindre les dix premiers. On est dans une société qui calcule les coûts à court terme. Si on veut un plan efficace de lutte contre la pauvreté, il faut raisonner à quinze ans, un temps qui n’est pas celui des élus.
Vous menez des campagnes autour du regard négatif que la société porte sur les pauvres et la pauvreté. En quoi est-ce un combat aussi important que la lutte contre la pauvreté ?
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