« Circus Baobab »

S’envoyer dans l’air

— par Michel Herland — Variation : On pourrait voir le grand plateau d’un lointain théâtre jonché de déchets de plastique blanchâtres sous la lumière des projecteurs comme une provocation aux bozarts et puis sans doute ou peut-être ça dépend qui se dirait-on que non que les bozarts n’ont plus lieu d’être en ces temps troublés que le beau en tout état de cause n’est plus de mise qu’on se trimballe dans la laideur zones commerciales hideuses sacs d’ordure éventrés véhicules hors d’usage placidement qui rouillent routes jonchées de détritus plages prises d’assaut par le trop-plein du monde les montagnes elles-mêmes souillées plus d’espace vierge partout notre laideur s’affiche on n’ose plus se regarde plus en face tellement repoussants nous sommes obèses dès l’enfance et après ça ne s’arrange pas les cuisses qui frottent l’une contre l’autre les corps qui ridicules se dandinent les gros dégueulasses les maigres à faire peur les tordus les bancals les ridés comme vieille pomme gueules repoussantes de tortue malade les miséreux dans les vaps qui font la manche ils n’auront rien pas de pitié pour les minables tout est moche malsain ça pue notre merde qui envahit tout alors les bozarts rien à vraiment plus rien à foutre on se console devant la télé les paysages inviolés qu’ils disent moi j’y crois pas les émissions animalières les bêtes sauvages dommage que soient les dernières condamnées qu’elles sont chacun le sait une larme puis on s’en fout d’autres chats à fouetter tiens les chats j’oubliais les chats chats errants maigres à mourir animaux familiers tu parles qui tuent les derniers oiseaux et les chiens galeux qui hurlent la mort au bout de la chaîne chiens fidèles qui montrent les crocs pourrais continuer mais avez compris c’est votre monde alors les bozarts plus de saison c’est sûr et certain comme deux et deux font quatre enfin ça c’est plus trop sûr ni certain vu que les mathématiques c’est juste pour rabaisserhumilier les têtes mal faites et il en manque pas de celles-là donc les bozarts c’est fini vive les laidzarts le lézart le trash c’est ça qu’on veut on est habitué ça dépayse pas et puis pas le choix faut faire mauvaise fortune mais bon cœur comme se dit donc j’y reviens à mon théâtre le plateau couvert jonché de trucs dégueulasses en plassetique en réalité si tu regardais bien ce serait des bouteilles écrasées et si tu regardais encore mieux pas de VittelVichyEvianSaintYorreSanPéDidier des bouteilles en plassetique ultrafin où ce qu’on met l’eau pour les pauvres et d’abord c’est pas étonnant vu que ce seraient des Africains-crève-la-faim qui les auraient jetées là sauf que là me suis bien planté à voir les muscles ces gus peuvent pas crever la dalle ceux-là bouffent leur quotidien bifetèque oh putain ça impressionne je les ai comptés dix qu’ils sont tous baraqués tout pareil les deux nanas pareil bref ils ont des muscles et des bouteilles pas toutes écrasées d’autres en état à peu près vu le plassetique si fin et même d’aucunes des cabossées avec de la flotte ou du bandji dedans dedans j’y étais pas donc ces gus ou gusses de la Guinée qu’ils seraient je t’ai pas dit t’as peut-être deviné rapport au bandji avec leurs muscles bifetèqués font des trucs pas catholiques comme s’envoyer en l’air ça ça te plaît pas vrai bon ils font ça à leur mode qui pourrait te surprendre vu que c’est au propre qu’il s’y envoient dans l’air et dans des positions que t’imaginerais pas sont raffinés à leur façon enfin si t’as rien d’autre à faire tu pourrais les considérer tu en apprendrais des belles sur ces façons de s’envoler ben oui ils s’envolent vraiment ces gus et gusses tu l’aurais pas cru hein bon entre deux bagarres faut quand même pas exagérer la poésie pouètpouèt c’est d’autre temps on est trash de chez trash faut plus rêver au bon vieux temps tu me diras ce que t’en penses moi en tout fin de compte bien pesé j’aime plutôt bien les laidzarts et puisque t’as pas le choix…

Circus Baobab (acrobaties aériennes théâtralisées), Guinée. En tournée à Fort-de-France, Tropiques-Atrium, le 15 février 2025.