— Par Yves-Léopold Monthieux —
En 2018, la Cinquième république aura rattrapé en longévité la Troisième, 70 ans. Sans doute, a-t-il fallu apporter des ajustements à la constitution de 1958. A ce titre, la classe politique eut parfois la main lourde, notamment lors de l’instauration du quinquennat. Ainsi, depuis une trentaine d’années, à la veille de chaque élection présidentielle, des projets de changement de république sont annoncés. Et pourtant, née dans la crise de l’Algérie, la loi fondamentale a montré l’étendue de ses ressources à faire face aux crises politiques. Cette revendication récurrente sert souvent aux candidats à masquer leurs insuffisances. Mais jamais les contours d’une nouvelle constitution n’ont jamais été vraiment esquissés.
Le président de la république, la clé de voûte de la constitution de 1958
La formule est juste : le président de la république est la clé de voûte de la constitution de 1958. Cette disposition essentielle vient en réaction à l’instabilité chronique du pouvoir exécutif sous la 4ème république. Le président de la république n’avait alors qu’une fonction représentative que Charles de Gaulle avait brocardée dans sa célèbre expression « inaugurer les chrysanthèmes ». De 1946 à 1958, la France a connu 25 gouvernements, le plus long ayant duré 16 mois et le plus bref, une journée. Les élus étant assurés de leur stabilité, l’assemblée nationale usait d’abondance de son pouvoir de censurer, sans conséquence pour elle et ses élus, les gouvernements qui se reconstituaient souvent avec les mêmes ministres, nommés à des postes différents. Or, à partir de 1958 la charge de la responsabilité politique a été inversée. Elle s’est inversée en ce que le président de la république peut dissoudre l’assemblée nationale alors que la possibilité pour celle-ci de mettre le gouvernement en minorité est à double tranchant. Elle peut le faire dans le cadre de l’article 49-3, mais cette éventualité se heurte à l’effet boomerang toujours possible de la dissolution. Ces nouvelles dispositions auxquelles il convient d’ajouter les pouvoirs de l’article 16 et les ordonnances gouvernementales de l’article 38, ont été inscrites dans la constitution dès 1958. Résultat du référendum de 1962, la légitimité du président de la république a été renforcée par son élection au suffrage universel direct. Ce fut moins un tournant que la consolidation de l’esprit de la « cinquième » qui fit beaucoup de bruit : une « forfaiture », selon le président du sénat Gaston Monnerville, un coup d’Etat, selon François Mitterrand dans son livre « Le coup d’Etat permanent ». On connut alors la première dissolution de l’assemblée nationale.
La cohabitation est un tournant essentiel de la Cinquième république.
La cohabitation a permis de prouver que le premier ministre pouvait avoir une vie séparée de celle du président de la république. Cette situation n’avait pas été vraiment envisagée par les constituants et beaucoup de juristes estimaient qu’une opposition durable, entre la majorité politique et le président de la République, aurait été mortelle pour la Cinquième République. Envisagée pour la première fois en 1978 par le président Valéry Giscard d’Estaing, les expériences de cohabitation engendrent une nouvelle pratique de la constitution. La fonction exécutive s’en trouve rééquilibrée au profit du gouvernement. La cohabitation n’est cependant possible que si les opposants au chef de l’Etat forment une majorité homogène. C’est alors la nouvelle majorité qui s’impose même si la décision appartient juridiquement au président de la république. C’est dans ce cas de figure que François Baroin s’est dit prêt pour diriger le prochain gouvernement. La cohabitation permet donc aux premiers ministres d’exercer réellement le pouvoir, tel que le prévoit l’article 20 de la constitution. Mise en oeuvre à trois reprises, la cohabitation a été un tournant essentiel de la Cinquième république.
Une nouvelle possibilité : la coalition majoritaire.
On se dirige donc vers une nouvelle étape du fonctionnement des institutions. La Cinquième république saura-t-elle relever le nouveau défi ? En effet, si l’opposition est dispersée, comme cela s’annonce (2, 3 groupes à droite, au centre ou/et à gauche), on ne pourra plus parler de cohabitation mais de coalition. De ces coalitions dont l’instabilité sous la Quatrième république, avait précipité la chute. Mais là encore, les armes dissuasives de la dissolution et du référendum peuvent encore servir. Eu égard à l’arsenal juridique dont dispose le chef de l’Etat, il est possible de l’envisager. Si le gouvernement qu’il aura été contraint de nommer démontrait son incapacité à diriger le pays, il pourrait en appeler au peuple. Bien entendu, les choses seraient plus difficiles si la rue s’en mêlait et que fonctionnement régulier des institutions devenait impossible. Les syndicats ont déjà annoncé un troisième tour social, tandis que c’est dès avant la rentrée que paraissent devoir manifester ceux qui, pour des raisons multiples, se disent opposés à l’élection de l’un ou l’autre des deux candidats. Reste que s’il peut paraître hasardeux, voire dangereux, de faire abus des armes dissuasives qui peuvent se retourner contre leurs auteurs, l’expérience de 1968 a démontré qu’il n’y a pas mieux qu’une bonne dissolution, à condition que celle-ci arrive à point nommé, pour éclaircir le brouillard politique.
Pourquoi une Sixième république ?
Ainsi donc, si la Cinquième république parvient à survivre à la période qui la sépare de son 70ème anniversaire, on ne pourra plus vraiment parler de Sixième république. Les changements souhaités pourraient parfaitement s’inscrire dans l’actuelle constitution, d’abord le retour au septennat. Mais des mesures législatives et réglementaires suffiraient à mettre beaucoup d’ordre et de clarté dans la vie des institutions qui a été brouillée à souhait par les élus, généralement pour des motifs de politique politicienne. En effet, au cas où, malgré les circonstances particulières de la présente élection présidentielle, la participation au second tour devait égaler ou approcher le score du premier, cela confirmerait l’attachement des Français au mode d’élection actuel du président de la république. Et, de toute évidence, toute initiative tendant à supprimer cette prérogative du peuple paraît vouée à l’échec. Or que serait une Sixième république qui ne toucherait pas au mode de désignation du chef de l’Etat ?
Fort-de-France, le 29 avril 2017
Yves-Léopold Monthieux