— par Janine Bailly —
Et comme l’aurait chanté Eddy Mitchell, « C’était la dernière séquence, c’était la dernière séance, et le rideau sur l’écran est tombé » !
Gagarine, le film
Bien ténue semble aujourd’hui la frontière entre documentaire et œuvre de fiction : par sa description d’un univers brésilien particulier, La fièvre pourrait se réclamer du documentaire, et le film Gagarine, qui prématurément a clos le festival, partant d’un fait bien réel dérive quant à lui vers la science-fiction, vers l’impossible et l’irréel.
La Cité Gagarine, barre la plus emblématique de la « ceinture rouge » des mairies communistes, inaugurée par le cosmonaute russe Youri Gagarine en 1963 à Ivry-sur-Seine, parce que devenue vétuste s’est vidée des trois-cent-quatre-vingts familles qui la peuplaient ; qui sont parties, souvent à contrecœur « laissant dans leur sillage des souvenirs et un immense squelette de béton ». Mais avant qu’en août 2019 ne commence la destruction, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, par cette œuvre originale, à mi-chemin entre fait-divers et conte fantastique, ont su nous dire les liens qui unissaient comme au sein d’un village les habitants de la Cité, et mettre en images la nostalgie d’un temps passé, où ces immeubles résidentiels étaient synonymes de plus de confort et de bonheur.
Pour ce faire, ils ont conçu, filmée à l’intérieur de quelques appartements qui gardent trace de tant de destins inscrits en leurs murs, l’entrée en résistance d’un adolescent, au prénom évocateur de Youri. Après avoir tenté en vain par ses actions de motiver les habitants et de rénover les équipements défaillants de la barre, l’adolescent y demeure seul et, prenant pour modèle la retransmission d’une expédition dans l’espace, se constitue une « capsule » de cosmonaute pour y survivre, allant jusqu’à récupérer l’eau de pluie nécessaire à l’aménagement d’un petit jardin potager.
Par sa présence obstinée, à la fois concrète et immatérielle – on le verra prendre son envol, dans les escaliers de l’immeuble puis dans le ciel pour y tourner tel un satellite – Youri fera que la mise à feu du dispositif de destruction s’arrête, à l’étonnement incrédule d’une foule au bord des larmes parce que venue assister à la mort d’un univers autrefois sien.
Si belle et symbolique est la séquence où, parce qu’il aurait eu accès à un réseau électrique resté intact dans le bâtiment délabré, Youri illumine et fait clignoter toutes les fenêtres d’un étage, ces fenêtres comme des yeux devenus dans le jour aveugles, vitrages étoilés de brisures que masquent encore quelques lambeaux de voilages légers, mais qui cette nuit-là portent la lumière aux regards émerveillés des anciens locataires, venus au pied des barres pour ce qu’ils pensaient être un bien triste spectacle.
Youri, sauvé par l’intervention d’un ami, et d’une petite amoureuse gitane, Youri extrait du bâtiment de l’enfance, nous dit par son aventure extraordinaire que jamais il ne faut s’arrêter au seuil de ses rêves, et qu’importe si le film, à l’origine court-métrage, tire un peu en longueur et se perd dans trop de directions, nous en retiendrons à coup sûr le sourire de son héros charismatique, et cette belle leçon de solidarité !
C’est sur cette note féérique que prend fin, avant la distribution des divers prix attribués aux films en compétition, un festival de qualité. Il nous fut offert, contre vents et marées porteur d’optimisme, en cette période douloureuse, et ce en dépit de quelques « couacs », fort peu nombreux d’ailleurs : à Madiana, Nasir annoncé sous-titré en français mais qui ne l’était qu’en anglais, et What you gonna do when the world’s On Fire, non projeté, ce qui causa la colère de certains, venus spécialement pour ce film et qui s’empressèrent de vilipender Madiana. À ces derniers, je dirai que même mésaventure est survenue à Tropiques-Atrium, où le très attendu Les héros ne meurent jamais, avec en vedette Adèle Haenel, fut remplacé in extremis par Les fleurs de Shanghai, déjà vu dans la « semaine asiatique » d’octobre. S’il est vrai qu’affronter les célèbres embouteillages de l’île et se déplacer pour rien est désagréable, sachons rester indulgents et reconnaissants, cette trop courte semaine consacrée au cinéma, contemporain autant que classique, nous apporta bien plus de plaisirs que de désagréments ! Ses organisateurs en soient remerciés ! Le festival est mort, vive le Festival !
Le Palmarès :
Fort-de-France, le 30 octobre 2020