—Par SelimLander —
Après Syngué Sabour, les spectateurs martiniquais ont été à nouveau confrontés via le cinéma à la condition féminine en terre d’islam. Singué Sabour montrait une femme pauvre se débattant comme elle pouvait, face à un mari réduit à la condition de zombie. Et l’on découvrait peu à peu qu’elle n’était pas mieux lotie auparavant, quand son guerrier de mari était plus en forme. Wadjda est filmé en Arabie saoudite, l’action se situe dans une famille de la classe moyenne, le contexte est donc différent. Le message implicite du film, pour le spectateur occidental, est pourtant le même : la soumission de la femme dans ces sociétés musulmanes patriarcales est parfaitement abominable. De beaux esprits diraient peut-être qu’il faut opérer un distinguo, que ces sociétés sont patriarcales et que la religion n’y est pour rien. Ce n’est pourtant pas ce que montrent ces films : le coran, objet sacré, est omniprésent ; les interdits qui pèsent sur les femmes sont religieux.
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Dans Wadjda, par exemple, la maman refuse un emploi qui l’arrangerait, étant mieux payé et plus proche de son domicile que le sien, parce qu’elle serait amenée à se monter à visage découvert, ce qui lui paraît absolument incompatible avec sa religion. Dans le même film, lors d’un cours de récitation du coran, les jeunes filles en période de menstruation sont obligées de tourner les pages livre sacré avec un mouchoir pour ne pas le souiller de leur impureté ! On croit rêver, mais non : ceci n’est pas un film dont l’action se déroule au Moyen-Âge ; il s’agit bien d’aujourd’hui au XXIe siècle !
Comme Syngué Sabour encore, Wadjda intéresse donc d’abord en tant que documentaire sur la condition féminine dans un pays musulman arriéré (mais l’on sait que, malheureusement, l’intégrisme est en train de gagner des pays où l’on vivait traditionnellement l’islam de manière plus décontractée). Pas de burka en Arabie Saoudite, mais le niqab qui laisse apparaître seulement les yeux ne paraît pas beaucoup moins contraignant. La jeune héroïne de Wadjda est élève dans l’équivalent d’un de nos collèges. Mais quelle différence entre ici et là-bas ! On se plaint à juste titre – c’est en tout cas l’avis d’un vieux pédagogue – de la tenue souvent trop légère de nos collégiennes : on n’aurait pas ce genre de remarque en Arabie Saoudite. Revêtues d’une espèce de tunique grisâtre couvrant tout le corps, avec aux pieds des sortes de pantoufles noires, on ne peut vraiment pas les juger provocantes ! Et malgré ça, il leur est absolument interdit de se laisser apercevoir par un homme, des fois que…
Les hommes et les garçons ont une autre vie. Les hommes sont polygames, ce qui leur permet d’échapper assez facilement à leurs responsabilités familiales. Quant aux garçons, ils sont déjà de petits hommes conscients de leur privilège. L’argument de Wadjda repose sur là-dessus. L’héroïne – Wadjda donc – ne peut pas admettre que les garçons de son quartier puissent parader sur leur vélo, alors que cela lui est interdit simplement parce qu’elle est une fille (1) ; elle va donc mettre en branle toute une stratégie pour gagner de quoi se payer elle-même un vélo. Le scénario est bien construit, les personnages sont tous attachants, y compris ceux qui jouent des rôles de méchant, comme le papa ou la directrice du collège. Ce film, le premier film jamais réalisé en Arabie Saoudite – et réalisé par une femme, Haifaa Al Mansour ! – est donc loin de n’être qu’un documentaire. Il a reçu le prix du meilleur film « Art et essai » au dernier festival de Venise : un prix incontestable.
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Le programme de cette journée des Rencontres de Fort-de-France comportait un autre film récompensé. Aujourd’hui, film sénégalais d’Alain Gomis, a remporté l’étalon d’or du FESPACO 2013 (le FESPACO est le Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou). Il faut croire que le cru 2013 n’était pas des meilleurs, le cinéma africain nous ayant habitués à mieux. Le thème du film était pourtant alléchant. Un homme en bonne santé apprend que les « esprits » l’ont désigné et qu’il ne lui reste plus qu’un jour à vivre. Que fera-t-il de cette ultime journée ? La réponse n’est hélas pas passionnante, malgré la présence de Saul Williams (poète, écrivain, acteur et rappeur américain –Wikipedia dixit) dans le rôle du condamné, Satché. Ce dernier erre dans Dakar ; il fait de nombreuses rencontres, le plus souvent sans intérêt et filmées à la va que j’te pousse. On s’ennuie beaucoup dans ce film, qui recèle un seul moment de grâce, celui où Satché se rend dans une galerie d’art contemporain située à un étage élevé d’un immeuble ultra-moderne de la ville, pour dire au revoir à une femme (jouée par la ravissante Aissa Maïga), avec laquelle il a eu « une histoire » dans le passé.
Pour laborieux qu’il soit, Aujourd’hui se situe tout de même un cran au-dessus du troisième film présenté ce jour-là, Better mus’ come de Storm Saulter. Il s’agit d’un de ces films de mauvais garçons comme nous en avons vu beaucoup, des bons et des moins bons. Je reprends la formule d’une précédente chronique … dont je dois reprendre également la suite : celui-ci fait partie des moins bons ! Le film fait référence dans son titre à un autre film jamaïcain, The harder they come, dont nous dîmes jadis grand bien et la dernière séquence est d’ailleurs quasiment la même dans les deux films. Mais un bon modèle ne suffit pas pour faire un bon film ! The harder they come séduisait non seulement à cause de Jimmy Cliff et de sa musique mais encore par l’intrigue et la manière de filmer. Ce n’est malheureusement pas le cas de Better mus’ come. Quand on s’attaque à une thématique comme celle des mauvais garçons, il ne suffit pas – contrairement à ce que semble croire Storm Saulter – de distribuer des revolvers à des jeunes comédiens, de faire intervenir un politicien véreux et un policier corrompu et de caser quelques séquences avec une jolie fille !
Au CMAC de Fort-de-France le 15 juin 2013.