— Par Selim Lander —
Un film de la sélection un certain regard récompensé par le prix du scénario à Cannes en 2018. On s’attend donc à une construction sophistiquée avec une construction non linéaire, des retournements de situation inattendus, or ce n’est pourtant pas ce qu’offre ce film qui vaut plutôt par la peinture de quelques femmes marocaines à l’âme bien trempée… contrairement au personnage éponyme dont l’attitude geignarde agacerait plutôt. Sofia est enceinte sans le savoir et même tellement enceinte qu’elle est sur le point d’accoucher quand débute le film. La condition féminine, le tabou sur les relations sexuelles avant le mariage sont des thèmes récurrents dans les films marocains, ce qui s’explique par l’hypocrisie qui prévaut dans ce pays l’égard de tout ce qu’interdit une religion obscurantiste mais toujours officielle, dans un pays qui avance néanmoins à grand pas dans la modernité. Donc Sofia est enceinte sans le savoir et sans, bien évidemment, être mariée. Lorsque le bébé naît, elle ne peut plus ni se le cacher ni le cacher. Pour l’honneur de la famille, il faut vite épouser. Elle désigne un jeune homme, Omar, comme le père. Père ou pas, ce dernier passera sous les fourches caudines car trop de gens y trouvent leur compte. Dans la famille de Sofia parce que n’importe quel homme fera l’affaire, comme dans celle d’Omar parce qu’elle est pauvre, contrairement à la précédente. Donc le mariage aura lieu en dépit de l’unique rebondissement que réserve le scénario.
Le début du film n’est pas sans évoquer La belle et la meute. Dans le film du Tunisien Kaouther Ben Hania son héroïne, Mariam, avait du mal à se faire recevoir dans un hôpital pour faire constater son viol. Chez Meyrem Benm’Barek, Sofia, célibataire, a du mal à trouver un hôpital qui l’aide à accoucher. Mais là où La belle et la meute nous tient en haleine avec les efforts de Mariam qui se bat, seule contre tous ou presque, pour faire punir ses violeurs, nous avons du mal à nous passionner pour les malheurs d’une Sofia décidément trop ingrate (aux deux sens du terme). Heureusement, les autres figures féminines impressionnent par leur fermeté : la cousine étudiante en médecine ; sa mère et tante de Sofia, véritable chef de toute la famille ; et de l’autre côté, une autre chef de famille, la maman d’Omar.
Sofia est honnêtement filmé avec des gros plans plus éloquents que les mots pour faire sentir les sentiments des personnages, et des vues sur des intérieurs marocains représentatifs des diverses classes sociales (mais Nabil Ayouch avait déjà fait cela, au moins aussi bien, dans Razzia). La grande surprise provoquée par Sofia est extérieure au film : elle tient à ce prix du meilleur scénario qu’on a beaucoup de mal à admettre.
Prochaine séance à Madiana mardi 13/11à 19h30.
Les Vieux Fourneaux de Christophe Duthuron
D’après la bande dessinée à succès, les aventures rocambolesques de trois vieillards indignes, ce film gentiment comique, à succès lui aussi (1 million d’entrées en France), est une entorse dans la programmation « Art et Essai » de Tropiques Atrium, laquelle entorse s’explique par la volonté d’inaugurer un partenariat avec la librairie Kazabulles de Fort-de-France. Aucun spectateur ne s’en plaindra : même des puristes cinéphiles ont le droit de temps en temps de se détendre ! Si l’histoire est un peu tirée par les cheveux avec, d’une part, des millions d’euros disparus et qui reparaîtront à la fin sans qu’on sache ce qu’il en adviendra et, d’autre part, une sombre querelle de village qui trouvera, elle, une fin incontestablement heureuse, elle n’en est pas moins rondement menée avec dans le rôle des vieillards indignes trois valeurs sûres de la comédie à la française : Pierre Richard, Eddy Mitchell et Roland Giraud.
Une comédie ne vaut plus grand-chose si on en connaît les rebondissements à l’avance aussi se gardera-t-on de dévoiler l’intrigue. Ceci dit, gageons que même les fans de la BD ne seront pas déçus de revoir sur l’écran les aventures de leurs héros de papier. « Héros » n’est peut-être pas le mot le plus adapté en l’occurrence, encore que ce soit bien une forme d’héroïsme que de déployer une telle vitalité à un âge aussi avancé.
Les Vieux Fourneaux est filmé sans une ambition artistique qui risquerait de gâcher le propos. Il s’agit simplement d’illustrer avec des comédiens et des images animées les histoires concoctées par Wilfrid Lupano, programme très honnêtement rempli. Y compris par Pierre Richard qui, pour une fois, n’en fait pas trop – enfin pas vraiment trop ! 🙂 – dans son emploi de vieillard comique.
Bref, un bon moment à ne pas rater.
Prochaine séance à Madiana dimanche 11/11 à 19h30.