par Selim Lander
On sait fragile la situation du cinéma d’art et essai en Martinique ; néanmoins il survit. En dépit du mouvement de grève générale qui affectait tous les lieux publics, y compris l’Atrium, ce dernier est resté entrouvert pour permettre le bon déroulement des projections prévues dans le cadre de l’Echo au 16ème FEMI (Festival international de cinéma de Guadeloupe)i. Au programme : Le Silence de Lorna des frères Dardenne, qui ont remporté avec ce film un prix du scénario amplement méritée au festival de Cannes ; Chop Shop, film américain de Ramin Bahrani, centré sur l’histoire d’un gamin des rues à New-York (que nous n’avons malheureusement pas pu voir) ; Mataharis, film espagnol de Iciar Bollain ; enfin Faro, film malien de Salif Traoré.
Mataharis conjugue agréablement les destinées de trois femmes employées dans le même bureau de détective, qui balancent entre cynisme et émotion, tout en s’efforçant de raccommoder une vie privée mise à mal par l’usure du temps ou par les aléas de la vie. Du bon travail, plein de sensibilité, d’une jeune réalisatrice prometteuse.
Le second film, Faro, n’a pu que ravir tous les amoureux de l’esthétique cinématographique en vigueur en Afrique de l’ouest, dont nous avons pu voir déjà plusieurs exemples dans cette même salle Frantz Fanon : les couchers de soleil sur l’immensité du fleuve, la savane à perte de vue, les fragiles pirogues, les maisons en pisé cachées derrière leurs murailles, les héroïnes émouvantes et les héros au grand cœur, les bambins adorables, le pittoresque des autres personnages, le jeu caricatural des comédiens, la lenteur de l’action, comme si le soleil pesait trop fort aussi sur l’équipe du film… A nouveau, le critique ne peut pas dire grand-chose au-delà du fait que le cinéaste a fort honnêtement rempli son contrat en livrant le produit attendu.
La comparaison avec Le Silence de Lorna est cruelle pour les deux films. Celui des frères Dardenne est bouleversant, les deux autres sont au mieux émouvants. Le personnage de Lorna est tragique. Elle s’oppose autant qu’elle peut à ce qui en elle la pousserait à faire le bien, parce que c’est du mal qu’elle attend l’argent dont elle a cruellement besoin. Mais elle finira par craquer, à trouver – trop tard hélas – une sorte de rédemption, simplement parce le pauvre garçon, Claudy, avec lequel elle a contracté un mariage blanc, et qui est destiné à être supprimé dès que Lorna aura acquis la nationalité belge, se révèlera différent de celui qu’elle croyait, avec un instinct de vie tellement chevillé au corps qu’il la forcera à l’aimer. Résumé ainsi, le scénario peut paraître inutilement mélodramatique. Pourtant, il n’est nullement invraisemblable quand on connaît les conditions d’existence des travailleurs clandestins. Et puis, surtout, il y a la manière de filmer et de nous faire croire que même les scènes les plus indispensables du film n’existent que par la volonté fortuite de tel ou tel personnage. Et que dire du casting ! Arta Dobroshi, gentil minois mais corps taillé à la serpe, ballotée entre des sentiments contradictoires, est Lorna comme Jérémie Renier, pâle et maladif, pourtant plein d’une énergie intérieure, est Claudy.
9 février 2009