— Par Sandra Araminthe, Murielle Bertille, Fabien Marius-Hatchi, Céline Monrose. —
Art. 14. Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, et dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés ; et à l’égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés de nuit, dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.
Code noir de 1685
Mois de mai, mois de la mémoire, nous sommes tristes et nous avons honte.
En janvier 2013, suite à des pluies diluviennes, les médias informaient de la « découverte » d’un cimetière d’esclaves, en Guadeloupe, sur la plage des Raisins Clairs de la commune de Saint-François.
Cette information, connue par de nombreux Guadeloupéens depuis plusieurs générations, était subitement livrée à la connaissance de tous. La Nature nous rappelait brusquement un passé dont nous connaissons quelques bribes mais que nous préférons, généralement, garder enfoui.
Les journaux nous annonçaient , à l’époque, une campagne de fouilles archéologiques sur un site exceptionnel, à l’échelle de la Caraïbe tout entière, pour la connaissance de l’histoire de l’esclavage aux Amériques.
Quatre mois plus tard, en ce mois de mai, mois de la mémoire, cette découverte archéologique majeure, qui mérite d’appartenir au patrimoine mondial de l’humanité, est laissée à l’abandon, recouverte par de simples bâches peu à peu grignotées par le sel et les vagues.
En ce mois de mai, mois de la mémoire,les os des esclaves, aïeux d’un grand nombre d’entre nous, sont laissés là, à même le sable, sans aucune protection contre les éléments naturels, la pollution, l’ignorance des baigneurs et dans le désintérêt collectif.
Mois de mai, mois de la mémoire,et pourtant nous sommes tristes et nous avons honte.
Tristes face à ce que nous ressentons comme un sacrilège.
Tristes de cette profanation naïve des baigneurs, des bronzeurs et des campeurs.
Tristes de la résignation de « philosophes » qui, depuis leur plus jeune âge, voient ces ossements découverts par les vents et emportés par les vagues.
Mois de mai, mois de la mémoire,et pourtant nous sommes tristes et nous avons honte.
Honte du silence de ceux qui savent mais se taisent pour préserver le tourisme, assurer l’activité économique, défendre des intérêts particuliers, promouvoir des ambitions politiques ou simplement poursuivre leur petit train-train quotidien.
Honte des belles phrases scandalisées que nous entendons déjà, au loin et tout près, de ceux qui disent que c’est bien assez vieux tout ça, que c’est du passé, que ce sont là de vieilles rengaines de « nègres inconsolés » qui n’en finissent pas de dorloter leurs blessures.
Honte d’entendre la « bonne parole » de ceux qui prêchent l’enfouissement et l’oubli du passé et qui pensent que notre avenir et notre accès au progrès se feront par la dispersion aux quatre vents des poussières de nos ancêtres.
Mépriser, ignorer, maltraiter notre passé. Le cacher à la va-vite sous des bâches en plastique. En silence. En résignation. De discours creux en commémoration hypocrite, dans l’attente que le Temps finisse d’effacer ce souvenir de notre passé commun qui nous dérange.
Mois de mai, mois de la mémoire,et pourtant nous sommes tristes et nous avons honte.
Nous sommes tristes en tant que descendants d’esclaves et nous avons honte en tant que citoyens.
Ces précieux vestiges pour la connaissance de notre Histoire et sa transmission aux générations présentes et futures, sommes-nous certains de vouloir leur détérioration et leur lente disparition ?
Aurions-nous été aussi touchés s’il s’était agi d’ossements d’individus n’ayant absolument aucun lien biologique, culturel, historique avec nous ? Oui, car tous les êtres humains, d’hier, d’aujourd’hui et de demain ont droit au respect de leur dignité jusque dans la tombe.
Nos ancêtres au même titre que les autres.
Monsieur le maire de Saint-François, quelle raison justifie l’absence de mesures temporaires de préservation d’un site à ce point unique ? Quelle raison justifie votre inaction ?
Monsieur le Président du Conseil Général, notre Passé retrouvé, honoré et étudié ne permettrait-il pas à notre peuple de grandir sur une terre saine et solide ? Quelle raison justifie votre inaction ?
Madame la Préfète, vous porteriez une lourde responsabilité si vous ne preniez pas la décision de sauvegarder un tel patrimoine guadeloupéen, caribéen et mondial. Quelle raison justifie votre inaction ?
Guadeloupéenne, Guadeloupéen, en ce mois de mai, mois de la mémoire, face à ton inaction et ta résignation, ne ressens-tu pas toi aussi de la honte et de la tristesse ?
Guadeloupe, 31 mai 2013
Sandra Araminthe, Murielle Bertille, Fabien Marius-Hatchi, Céline Monrose.