— Par Roland Tell —
Cette île dans la mer, que l’on nomme la Martinique, verra bientôt se retirer ses vétérans politiciens. Dans leur arrière-saison de récolte de suffrages, par une cadavérique soirée de décembre 2015, dans la fraîche nuit pensive des résultats électoraux, ils firent tête à tête avec les élus d’une droite inconnaissable. Certes, toute trahison est poursuivie ! D’ailleurs, elle est déjà attrapée, dès l’issue des législatives dernières, du fait de l’échec total des six dignitaires du Conseil Exécutif, alors candidats ! Sont-ils morts politiquement ? La vérité supérieure des urnes nous le dira bientôt. Pour l’heure, la grande lassitude, physique et morale, où ils se trouvent après la campagne électorale, les condamne désormais à une sorte d’hypocrisie électoraliste dans leurs nouveaux rapports avec les citoyens. En effet, le silencieux espoir, qui les habitait tous, d’être élus députés, a du mal à les quitter. Mais ils ne peuvent plus rien faire deux fois en la matière ! C’est pourquoi ils se sentent un peu perdus, comme hébétés, puisque, en chacun d’eux, se trouve quelque chose d’inassouvi, un désir d’échappatoire, de fuite, de leur situation actuelle, obscure et nocturne, comme l’alliance qui les unit.
On l’a vu : comme leur destin de Conseillers leur laisse du temps pour toute élection majeure, ils répandent un peu partout l’amour de soi, qui est la meilleure de leurs forces. Irrités et amers, ils cherchent les bonnes manières de récupérer l’électorat. Leur programme, désormais : faire bonne figure, avec frétillement, devant les caméras, maquillés et déguisés en gestionnaires patriotes, afin qu’on les reconnaisse sous leur meilleur jour, au sein de cette alliance de gestion, dont la rumeur publique dit que tout va de travers. L’essentiel, n’est-il pas, pour chacun, d’être reconnu dans sa destinée de puissant ? Mais, en ce cas, quelle nouveauté dans l’accoutrement présidentiel ! Avez-vous noté le changement vestimentaire radical de leur illusionniste de Chef, chez qui la chemise empesée Omo tombe jusqu’au postérieur, telle la huppe d’un cacatoès ? En fait, elle lui donne un air étranger dans les cortèges funèbres, comme dans les cérémonies officielles. Cette chemise, à l’estampille révolutionnaire, aura-t-elle le succès universel du col Mao ? Toute indépendance devenue actuellement impossible, toute révolution dormant sous les linceuls du temps passé, quel pourrait donc être l’impact de la chemise empesée Omo, descendant jusqu’au fessier, sur les masses caribéennes ? Parure sans lendemain, certes, car, dans le frimas parisien ou bruxellois des missions institutionnelles, les costumes trois-pièces ont fait depuis leurs résurrections, comme au temps parlementaire. Oui, les valeurs, qui collent à la peau, se brisent, comme des coquilles d’oeufs, sur les dures réalités du climat politique ! A la Martinique, d’ailleurs, les valeurs ont tendance à se déshabiller de plus en plus, sous la lumière de notre chaud soleil, mais ailleurs, il s’agit de se couvrir à la fois du manteau des secrets idéologiques, et du costume de la fonction présidentielle.
Un peu de tenue donc, Messieurs les politiciens, ici à la Martinique ! Distinguez-vous, comme les grands anciens, tels à droite, Victor Sablé, Camille Petit, Emile Maurice, tels à gauche, Aimé Césaire, Pierre Aliker, Georges Gratiant. Certes, l’habit ne fait pas le moine, tout comme la chemise empesée Omo ne fait pas le révolutionnaire ! Libérez en vous tout ce qui est captif du passé politicien, donnez l’exemple, donnez de la splendeur à vos fonctions éminentes de Maire, de Conseiller Territorial, de Président de Collectivité ! Hommes et femmes les plus hauts dans la hiérarchie du pouvoir martiniquais, il vous faut fermer à clef la caverne de vos désillusions idéologiques, pour accomplir désormais de durables progrès, en vue du bien commun martiniquais. Evitez donc de vous enfermer dans le carnavalesque, ou dans le grotesque, d’autant plus que vous avez à surmonter, jour après jour, ce crime contre l’esprit, que constitue l’alliance contre-nature, qui vous pèse de plus en plus. Car, aujourd’hui, personne ne sait plus respecter les hommes politiques, devenus de plus en plus découverts et déguisés, en toutes circonstances, de tenues hors service, dommageables pour la fonction, qui font se détourner le regard et les attentions de leurs administrés, aussi bien en assemblée politique que sur la place publique, lors des fêtes patronales, et parfois même devant les stèles commémoratives. Quel déclin de perdre ainsi zèle et considération pour ces bouffonneries nouvelles d’attitude révolutionnaire.
Créer pour la Martinique sera la rédemption de votre souffrance morale ! Est-ce nécessaire, dans des fonctions officielles, dans des mariages, dans des enterrements, dans des cérémonies d’apparat, de se transformer par le vêtement ? Au contraire, la chemise empesée Omo ne fait qu’accentuer le déclin politique. Seul le sang versé fonde la révolution, alors que la tenue négligée souille la fonction. Pourtant, combien de mandats politiques avez-vous enfantés de votre longue carrière ? Le temps est venu maintenant de se montrer plus respectueux des attentes du peuple martiniquais, selon une action politique vivante et progressive de développement authentique de la vie matérielle, intellectuelle, et morale des citoyens martiniquais. Laissez de côté tout personnalisme outrancier, totalitaire, car n’est-ce pas le bien-être de la Collectivité, la véritable réalité du pouvoir ?
Il y a une oeuvre commune à accomplir par le tout social, pour le droit au travail des jeunes en difficulté, pour la croissance de la vie martiniquaise. Les styles de comportement, vestimentaires ou autres, apparaissent alors plus tragiques que comiques, dès lors que c’est l’avenir qui intéresse le peuple, et non votre personne, ni votre conception politiciste de la vie, c’est-à-dire la conception de la politique elle-même, hélas toujours centrée sur la conquête de mandats, en définitive mal assumés. Pour le peuple, quant à lui, le domaine politique et social reste un domaine essentiellement humain, donc éthique et moral, ayant comme finalité le bien commun des Martiniquais, assemblés en Collectivité, le bien du tout social, intéressant aussi bien les moeurs de l’homme, que la vie de la multitude.
C’est pourquoi l’aspect politique du pouvoir, le visage politique du pouvoir, le respect de la dignité des hautes fonctions remplies, sont des conditions nécessaires de toute bonne politique. Oui, il y a une spécificité de l’éthique politique, qui demande de prendre en considération la vérité morale d’appliquer des règles à sa propre conduite d’élu, aux gestes et aux actes, que l’on commet dans l’exercice du mandat politique. Les fonctions électives tenues ne sont ni des masques, ni des rôles avec, ici ou là, des signes et des étendards de partisans, mais surtout des nécessités du corps social martiniquais, spécifiées par celui-ci, pour lui ménager, et lui préparer, en retour, des transformations de plus en plus profondes dans la vie humaine, à longue distance de temps.
C’est pourquoi, aujourd’hui, toute révolution authentique est une rupture avec le passé partisan, en vue de prendre soin du peuple martiniquais, de son présent, de son avenir, par rapport à lui seul, par action sur les esprits, selon des oeuvres sociales, économiques, et culturelles, engendrées par les besoins et les tendances de celui-ci, selon aussi une action politique à longue portée, moyennant des changements profonds, des remaniements de structure, vers une Martinique, réalisant enfin son idéal historique de communauté. Certes, nous devons rester attentifs aux ambiguïtés intrinsèques à notre identité martiniquaise ! Un tel droit ne doit pas être mis en déshérence, mais au contraire il s’agit de le réaliser pleinement – seul chemin rationnel à prendre, en tant que Martiniquais, et en tant que société, selon un processus de discernement critique. Car notre identité martiniquaise est la conséquence de siècles d’exil forcé, d’esclavage, de brutalités. D’où l’espérance d’une réalité historique nouvelle, pour faire enfin de la communauté le lieu de naissance du moi martiniquais. C’est cela, aujourd’hui, la véritable attitude révolutionnaire.
ROLAND TELL