Par son érudition et son allant, le musicien d’origine martiniquaise conjure la morosité ambiante, sur scène, sur disque et à l’antenne.
–— Par Aureliano Tonet —
Avec la pandémie, le monde s’est réduit. Tout étiolé, racrapoté. Comment composer avec ce triste étriquement ? Chacun ses astuces. Christophe Chassol distille les siennes avec classe, entre les gouttes du virus. Qu’il pleuve ou qu’il confine, le musicien d’origine martiniquaise n’a jamais renoncé à son cosmopolitisme, gorgé de rencontres, de souffle et d’imprévu ; soit tout ce dont nous a privés ce maudit Covid-19. « La pandémie m’a fait l’effet d’un sas temporel, j’ai l’impression d’avoir pris dix ans, retrace-t-il. Je me suis pas mal occupé de mon enfant, et, côté boulot, j’ai beaucoup expérimenté. Ce n’était pas si désagréable, en fait. »
Lui qui se dit très « couteau suisse » n’a guère eu de mal à se trouver du pain sur la planche. Cet automne, vous le verrez ainsi, pêle-mêle : présenter un aventureux programme musical, « Ground Control », dont la première sera diffusée le 29 octobre sur Arte ; se livrer à une « ciné-impro » au Musée d’Orsay, le 16 novembre, en marge de l’exposition « Enfin le cinéma ! » ; coanimer l’émission « La quatre saisons n’est pas qu’une pizza », chaque vendredi sur France Musique ; jouer sur toutes les scènes à la ronde, d’Oslo à Venise, d’Olonne-sur-Mer (Vendée) à Istres (Bouches-du-Rhône)…
Ces derniers mois, vous l’avez peut-être vu, de même : goupiller un portrait sonore et visuel de Bruxelles, pour le très chic Kunstenfestivaldesarts ; publier un capiteux EP de Noël, The Message of Xmas, à l’initiative du joaillier Cartier ; signer la bande originale d’un des rares succès cinématographiques de 2020, Tout simplement noir… Mais encore : célébrer la mémoire de son maître, Ennio Morricone, à l’invitation d’un collectif de squatteurs parisiens ; fêter les 50 ans de Company, la comédie musicale de Stephen Sondheim, avec un hommage au poil, façon « trap » ; jouer dans Vénère Invasion Mamers, le film d’action du chanteur Arnaud Fleurent-Didier, en postproduction ; ou collaborer à un album de Philippe Cohen Solal, pionnier des liens entre son et image…
Créations multimédias
Cet inventaire, très incomplet, donne la mesure de l’éclectisme et de l’activisme du bonhomme. A ce titre, Ludi, paru aux prémices de la pandémie, est exemplaire. Après Indiamore (2013) et Big Sun (2015), il s’agit du troisième « ultrascore » de Chassol, ainsi qu’il désigne ses créations multimédias, qui s’écoutent autant qu’elles se regardent. « Ultrascore, à la base, c’est le nom que j’avais donné à un fichier pour faire le ménage sur mon disque dur, précise-t-il. Je célèbre les sonorités du quotidien, en les harmonisant. Ce n’est pas très éloigné de la musique concrète, ou de ce qu’ont fait Steve Reich ou Hermeto Pascoal par le passé. » Chassol part d’images qu’il filme lui-même, avec quelques fidèles, et dont il isole certains sons : chants d’oiseaux, cris d’enfants, bruits divers… Au cours du montage, il les répète, les étire ou les accélère. Avant de révéler toute leur musicalité, en leur greffant de subtiles orchestrations.
La matière d’Indiamore et de Big Sun avait été puisée lors de séjours en Inde et en Martinique. Celle de Ludi s’inspire, elle,…
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