—Par Michèle Rivasi, Karima Delli, Eva Joly, José Bové, Pascal Durand et Yannick Jadot —
Le 16 février, des écologistes guadeloupéens s’étaient donnés rendez-vous à Pointe-à-Pitre, dans l’indifférence habituelle des autorités et des médias métropolitains, pour dénoncer à nouveau la catastrophe sanitaire du chlordécone et l’apathie totale de la justice sur ce dossier, qui, après dix ans de procédure, s’apprête à rendre un non lieu.
Pourtant, ce nouveau scandale de santé publique devrait alerter bien davantage les autorités tant françaises qu’européennes.
Il est néfaste pour la santé et pour l’environnement
Le chlordécone est la matière active d’un pesticide organochloré qui a été autorisé entre 1972 et 1993 aux Antilles françaises pour lutter contre le charançon du bananier. Alors qu’elle a été prohibée dès la fin des années 1970 aux États-Unis, cette substance n’a été interdite en France qu’en 1990, mais utilisé jusqu’en 1993 par dérogation.
Or le chlordécone, d’après plusieurs études scientifiques, est cancérogène, perturbateur endocrinien, neurotoxique, et spermatotoxique. De plus, sans mesure de dépollution spécifique, sa rémanence sur les sols est de l’ordre de plusieurs siècles.
Ce véritable poison, extrêmement néfaste tant pour la santé humaine que pour l’environnement, risque donc de produire des effets sur plusieurs générations. On estime que 5.200 hectares de terres sont pollués en Guadeloupe, principalement dans le sud de la Basse-Terre, zone d’exploitation de la banane.
Le chlordécone est aujourd’hui le pesticide le plus répandu dans les cours d’eau antillais, et d’après des scientifiques de l’Inserm, environ 90% des Guadeloupéens seraient contaminés, situation inédite qui fait que des épidémiologistes, des généticiens, des cancérologues, et des spécialistes du monde entier s’y intéressent.
Un scandale politique, sanitaire et judiciaire de plus
Or gageons que les Guadeloupéens se seraient bien passés de cette situation de rats de laboratoire à ciel ouvert, tout ça pour que quelques propriétaires terriens s’enrichissent grâce à la production massive de bananes destinées à l’export, au détriment d’une agriculture vivrière durable, respectueuse des êtres humains et de leur environnement.
Ce scandale politique, sanitaire et judiciaire de plus fleurant bon le néocolonialisme ne peut pas rester impuni et laisser davantage les autorités françaises et européennes indifférentes.
En France, toute la lumière doit être faite et les responsabilités clairement établies sur les raisons d’une interdiction aussi tardive et sur cette dérogation accordée durant trois ans par le ministère de l’Agriculture, au risque sinon de voir éclater un nouveau scandale d’État sur le modèle de l’amiante ou encore du « sang contaminé ».
À Bruxelles, la Commission européenne doit cesser de tergiverser pour enfin définir des critères clairs et précis afin d’encadrer drastiquement l’ensemble des perturbateurs endocriniens. Alors qu’elle a été condamnée par la Cour de justice de l’UE en décembre dernier pour son inaction sur le dossier, il est urgent que la Commission se réveille enfin.
Nous sommes solidaires de ce combat
Cette attitude est coupable et parfaitement irresponsable quand on envisage les risques que font peser sur la santé des substances comme le chlordécone, le bisphénol A dans les plastiques ou les glyphosates dans les pesticides.
Combien faudra-t-il encore de nouveaux cas de cancers et d’autres maladies du même acabit avant que les autorités cessent enfin de faire passer la santé des populations après le business des multinationales de l’agro-alimentaire et des produits phytosanitaires ?
Alors que la Guadeloupe doit accueillir du 4 au 6 mars prochains le premier tour de la Coupe Davis, les écologistes locaux ont proposé de « perturber » ce rendez-vous du tennis mondial afin de révéler au monde entier l’empoisonnement au chlordécone dont est victime l’ensemble de la population.
Nous sommes totalement solidaires de ce combat et nous nous joignons à leur détermination pour le relayer à Paris comme à Bruxelles, pour notre santé à tous et pour les générations futures.
Tribune coécrite par Michèle Rivasi, Karima Delli, Eva Joly, José Bové, Pascal Durand et Yannick Jadot, pour la délégation Europe Ecologie au Parlement européen