Chlordécone : Lutte pour la justice et les indemnités des victimes aux Antilles

Meeting d’information à la Maison des Syndicats (FdF) le 11 mars à partir de 18h

— Par Sabrina Solar —

Le 11 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Paris se prononcera sur le sort des demandes d’indemnisation des 1 286 plaignants exposés au chlordécone, un pesticide hautement toxique, utilisé en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993. Ce jour-là, les victimes espèrent enfin obtenir une réparation pour le préjudice d’anxiété qu’elles ont subi. Ces hommes et femmes, exposés à ce poison durant des décennies, réclament une indemnisation de 15 000 euros chacun. Mais au-delà de l’indemnisation, leur principale demande reste que l’État français assume enfin sa responsabilité dans ce scandale sanitaire majeur.

Le chlordécone a été massivement utilisé pour lutter contre le charançon dans les bananeraies antillaises, malgré les alertes croissantes sur sa toxicité. Bien qu’interdit en France métropolitaine dès 1990, le pesticide est resté en usage dans les départements d’outre-mer, où il a gravement contaminé les sols, les nappes phréatiques et les milieux marins. Cette situation a duré jusqu’en 1993, lorsque l’État a finalement cessé son autorisation d’utilisation. Cependant, les conséquences sur la santé publique sont encore visibles aujourd’hui : plus de 90 % des adultes en Guadeloupe et en Martinique sont contaminés, et ces territoires enregistrent des taux de cancers de la prostate parmi les plus élevés au monde.

La lutte judiciaire contre cet empoisonnement systématique a commencé à prendre de l’ampleur en 2022, lorsque le tribunal administratif a reconnu les « négligences fautives » des services de l’État, qui ont permis la poursuite de l’utilisation du chlordécone bien après sa dérogation. Malgré cette reconnaissance, les demandes d’indemnisation ont été partiellement rejetées, l’État estimant qu’il manquait des éléments précis pour justifier le préjudice d’anxiété. Ce mardi, la cour d’appel devra trancher cette question cruciale, après que les avocats des parties civiles aient plaidé pour une reconnaissance du préjudice moral et la mise en place d’indemnités plus adaptées.

Le Combat Collectif et les Perspectives Législatives

Le dossier du chlordécone a pris une nouvelle dimension avec l’engagement des associations locales et des collectifs de défense des victimes, qui multiplient les actions en justice et les événements de sensibilisation. Ce soir, 11 mars 2025, un meeting d’information important se tiendra à Fort-de-France, organisé par les collectifs Matinik Doubout Gaoulé Kont Chlordécone et Lyannaj Pou Dépolyé Matinik, pour informer la population sur les avancées légales et judiciaires. L’un des points forts de ce meeting sera la présence d’avocats spécialisés et de juristes, qui détailleront les procédures en cours, notamment l’appel devant le tribunal administratif concernant le préjudice d’anxiété.

Les militants évoqueront aussi les aspects législatifs du combat, notamment la lutte pour l’inclusion des territoires ultramarins dans le champ d’application de la Charte sociale européenne. Cette charte, signée par la France dans les années 1960, garantit des droits fondamentaux dans des domaines tels que la santé, l’éducation et le logement, mais elle exclut les Outre-mer. L’objectif est de faire en sorte que les territoires antillais puissent bénéficier de ces protections sociales et environnementales, ce qui constituerait une avancée majeure dans la reconnaissance des droits des victimes du chlordécone.

Les Progrès et Obstacles à l’Indemnisation

Malgré des efforts considérables, les avancées concrètes restent limitées. Le gouvernement a mis en place un plan d’action contre le chlordécone, doté de 130 millions d’euros pour la période 2021-2027, contre 92 millions pour le précédent plan. Toutefois, les résultats demeurent insuffisants, avec seulement quelques dossiers acceptés par le fonds d’indemnisation des victimes. La colère des populations reste vive et souvent perçue comme un frein à la mise en œuvre de mesures de prévention efficaces.

Le plan actuel comprend des analyses gratuites de sang et de sols, ainsi que des actions ciblées pour les femmes enceintes et les personnes exposées à des niveaux élevés de chlordécone. Cependant, le faible taux de participation aux programmes de prévention montre que la méfiance et l’incompréhension persistent, ce qui empêche un retour à la normalité dans ces régions profondément marquées par cette tragédie environnementale.

Un Combat à Franchir

Au-delà de l’indemnisation, ce que réclament les victimes, leurs avocats et les associations, c’est une reconnaissance pleine et entière des préjudices subis. Le combat judiciaire est donc loin d’être terminé, et il reste un enjeu crucial, tant sur le plan symbolique que politique. Le résultat de l’appel de ce 11 mars sera un premier test important. Dans l’attente, les associations poursuivent leur lutte pour que l’histoire de l’empoisonnement au chlordécone ne soit pas oubliée et que les responsables de cette catastrophe environnementale et sanitaire soient enfin jugés pour leurs actes.

Les Antilles, confrontées aux graves conséquences du chlordécone, continuent de se battre pour une réparation juste et pour un avenir sans ce poison.