— Par Par Béatrice Mathieu —
Aux Antilles, la banane fait vivre une large partie de la population. Mais entre les pressions sur les prix imposés par la grande distribution et la concurrence des pays latino-américains, la filière se meurt. Enquête.
Aperte de vue, c’est un camaïeu de vert, comme un tableau pointilliste, qui s’étale et dégouline lentement vers le turquoise de l’océan Atlantique. Au loin, les îlets Métrente, Oscar, Thiery et Pelé crénellent l’horizon. Sous la caresse des alizés, les grandes feuilles molles des bananiers ondulent langoureusement. Ici et là, des citronniers, goyaviers et arbres à pain avec leurs fruits gros comme des boules de pétanque, cassent la verticalité des bananeraies. Joris Paviot a passé toute sa vie à travailler cette terre rouge sang. Comme ses parents et ses grands-parents. Depuis une vingtaine d’années, il a repris l’exploitation familiale. Un bout de paradis luxuriant de 5 hectares sur les hauteurs de la commune du François au centre-est de la Martinique.
« Aujourd’hui, on ne vit plus de la banane, on en crève, souffle ce quadragénaire. Ma femme me dit d’arrêter, mais je ne peux rien faire d’autre. » Quasiment la moitié des sols de son exploitation sont pollués par le chlordécone, cet insecticide utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies et qui s’est révélé très toxique pour l’homme. Impossible désormais de se lancer dans l’élevage ou le maraîchage. Alors, il fait et refait ses comptes chaque semaine. Avec la flambée de tous les herbicides, du carton, des emballages, de l’énergie et les prix dramatiquement bas payés par la coopérative, il perd de l’argent sur chaque régime ramassé. « A la fin du mois, il me reste à peine 700 euros pour vivre. » Au fil des années, il s’est séparé de ses ouvriers. Il cueille lui-même ses bananes le week-end avec son père de 70 ans et ses enfants. Des bras qu’il ne rémunère pas.
Dans les bureaux climatisés de Banamart, le groupement des producteurs de bananes de Martinique, Sébastien Thafournel, le directeur technique, lui aussi, aligne les chiffres. « Aujourd’hui, la majorité des planteurs ne gagnent pas d’argent. On cède la banane verte aux mûrisseries en moyenne 600 euros la tonne. Pour commencer à être rentable, il faudrait qu’on la vende 30 % plus cher. Les planteurs n’ont plus les moyens d’investir dans des équipements agricoles plus modernes ou des systèmes d’irrigation plus performants. » Alors, chaque année, beaucoup jettent l’éponge…
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