— Par Yves Untel Pastel —
Chlordécone,
le peuple accuse,
L’état récuse
Chlordécone,
Nos terres distillent
La mort à petit feu
Le peuple suffoque
Halète, crache une braise
Cancéreuse
Des générations sacrifiées
Et personne au banc des accusés :
Le peuple accuse, l’État récuse !
Les prétoires sont sourds à toute plainte
Les juges en livrée de corbeau
Ricanent à l’énonciation des charges
Nulle doléance n’est recevable
Puisque les preuves s’évanouissent
À peine versées aux mains des greffiers
Et cependant, les hommes flétrissent
Leurs testicules s’atrophient
Le mal ronge du dedans
Émascule même les plus viriles
Et c’est tout un peuple
Qui agonise sous castration chimique
C’est tout un peuple qui attend
Un péril sans visage
Un tueur rampant
Dans un silence funeste
Et le grand mal porte
Ce nom barbare
CHLORDECONE
Un nom
Que ne prononçaient jadis
Que les gens de science
Un nom
Délivré comme un talisman
Porteur pourtant de mauvais présage
Un nom démoniaque
Que les autorités
Ont longtemps enjolivé
Cependant,
Les ambulances
Vont et viennent
Les hôpitaux engorgés
Vomissent leurs trop-pleins
Dans les hospices
Aux allures de mouroirs
De clocher en bourg
Jusqu’au tumulte de la ville
Les glas sont las de sonner
Les parvis se remplissent
Et se vident
Les badauds se blasent
Résolus à la fatalité
Les corbillards déposent leurs fardeaux
À quelques pas des monticules
Les veuves pleurent une tempête de rage
D’impuissance et de douleur
Et pendant des décennies encore
Nos terres distilleront
La mort à petit feu.
Et le pays va son train-train
Chacun à son commerce :
Ceux qui donnent la mort
Ceux qui comptent leurs morts
Ceux qui comptent leurs sous
Ceux pour qui la mort est une aubaine
Les tombeaux fermés ne sont jamais scellés
Pourtant, il faut poursuivre
Naître, grandir, s’aimer, enfanter
Et tenir prêts ses effets de funérailles.
La lassitude enseigne
Une manière de survivre…
C’est le lâcher prise !
Le laisser-couler !
Et nous tous, fils, filles,
Tournons les yeux
Vers nos mornes inquiets
Là ou vaquent nos mères et nos pères !
Et le monstre CHLORDECONE
Endeuillera encore des siècles durant.