— Par Selim Lander —
L’association Chimen Milo – soit « sur la trace de Ti Emile », lequel s’était attaché, en son temps, à maintenir les traditions artistiques de la Martinique rurale, Danmié, Kalenda, Bèlè – a présenté samedi 29 juin Mèsi, issu de deux spectacles antérieurs, l’un déjà nommé Mèsi, le second Travay. Ce nouveau Mèsi, très abouti, fait appel à huit danseuses, un danseur, une chanteuse et deux choristes, deux chanteurs dont un au tibwa, deux tambours.
Que ce spectacle étiqueté traditionnel (« pasé wè nou ») qui clôturait la saison 2023-2024 ait rempli la grande salle de Tropiques-Atrium, est la preuve qu’il existe dans le public martiniquais une vraie demande pour tout ce qui peut évoquer la vie d’antan à la campagne. Il ne faut pas oublier, en effet, que la Martinique est restée rurale très longtemps, car s’il y avait bien des usines (sucreries, distilleries) elles étaient installées au plus près des champs de cannes. Ce n’est qu’après la deuxième guerre, à la suite de la départementalisation, avec la généralisation de l’enseignement secondaire, l’extension des droits sociaux et la croissance démesurée du secteur tertiaire que la plus grande partie de la population a quitté les campagnes, ou plus précisément abandonné la condition paysanne. Tout cela n’est donc pas si loin et si le nombre de paysans a dramatiquement chuté, la plupart des Martiniquais d’aujourd’hui ont des parents ou des grands-parents qui le furent et qui ont transmis une certaine mémoire du temps d’avant, mémoire qui est aujourd’hui avant tout une nostalgie.
Si cette dernière est bien le principal ressort de Mèsi, ce spectacle a d’autres atouts à faire valoir. Au niveau thématique, d’abord, en mettant en avant le travail de la terre par le chant en créole comme par la danse.
Lè nou ka gadé dèyè nou toujou travay, ki si swa ba nou menm, ki si saw ba lézot, nou toujou travay.
Les chanteurs, dont la voix n’a pas tremblé, ont apporté une indispensable contribution pour restituer l’esprit bèlè. La danse, cependant, est encore plus présente dans cette pièce. Il faut ici saluer le travail du chorégraphe et des huit danseuses qui ont exécuté des figures collectives souvent compliquées avec une synchronicité remarquable. Les connaisseurs ont pu par ailleurs reconnaître les divers pas de danse du bèlè, plus variés que ne le croirait une personne non avertie. Les danseuses au corps de danseuse (ce qui n’est pas, on le sait, toujours le cas) ont déployé une belle énergie, dans le rôle de la femme comme parfois celui de l’homme, puisque d’hommes il n’y en avait qu’un seul sur le plateau. Bon danseur au demeurant, jeune et athlétique, mais qui ne pouvait se partager en huit ! Chimen Milo est une association, on l’a dit, et l’on peut supposer que ses danseurs sont bénévoles ; par ailleurs la danse attire davantage les filles que les garçons ; tout ceci expliquant peut-être cela.
Il faut dire encore quelques mots des costumes, d’abord blancs, avec le « tignon » sur la tête, puis noirs, avec dans ce cas le foulard qui tient les reins comme chez les travailleuses de la terre, et des lumières qui contribuent, avec la musique, à créer l’ambiance propice à ce moment de nostalgie.
Chimen Milo 2024 : Mèsi, Fort-de-France, Tropiques-Atrium, 29 juin 2024.
Chorégraphie Jean-Michel Casérus.