— Par Emmanuelle Lucas —
La crise sanitaire n’a pas entraîné une meilleure répartition des rôles éducatifs et domestiques au sein des couples. Reconsidérer la « double journée » des femmes et valoriser les emplois dits « féminins » est plus que jamais nécessaire, comme le soulignent deux études.
Cinquante-cinq jours de confinement ont-ils modifié en profondeur les relations au sein de la famille ? Pas forcément, si l’on en croit deux études publiées coup sur coup par l’Institut national des études démographiques (Ined) et le Haut Conseil à l’égalité (HCE) qui livre, ce mercredi 13 mai, une série de préconisations sur l’emploi des femmes. Cette période particulière aurait même douché certains espoirs.
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« Comme le travail de soin aux enfants et à la famille, d’ordinaire invisible, est devenu très visible, nous espérions que les hommes allaient accepter d’y participer, que le confinement serait un laboratoire in vivo des transformations des rôles au sein des couples, explique Brigitte Grésy, présidente du HCE. Il semble bien que cette transformation n’ait pas eu lieu et la charge mentale qui pèse sur les femmes a même, le plus souvent, beaucoup augmenté. Elles ont travaillé, éduqué les enfants, assuré leur scolarité et redoublé de travail domestique, entre les repas et les courses. Des progrès ont certes parfois été constatés, mais au sein des couples déjà égalitaires, bien avant le confinement. »
Le confinement, révélateur des inégalités hommes-femmes
Surtout, la période de confinement a considérablement renforcé les inégalités structurelles entre femmes et hommes. « Cette pandémie a mis en lumière de façon inédite la vraie place des femmes dans la société, reprend Brigitte Grésy. Elles ont assuré la survie quotidienne du pays dans les commerces, dans l’enseignement, et bien sûr dans les professions de santé, où elles sont majoritaires. Pourtant, beaucoup des métiers considérés comme féminins sont dévalorisés. Bref, les femmes ont été providentielles mais restent sous-payées et surchargées. »
Confinement : mon immeuble télétravaille
Le HCE demande donc toute une série de mesures pour revaloriser au plus vite les emplois exercés par les femmes et qui ont « tenu la société » pendant la crise : aide à la personne, soin, éducation, etc. Et préconise de faire de l’emploi féminin une condition aux aides que l’État s’apprête à accorder aux entreprises pour qu’elles redémarrent.
Concrètement, pendant le confinement, les femmes ont, beaucoup plus souvent que les hommes, demandé un arrêt de travail pour garde d’enfants et subi plus souvent le chômage. Ainsi, fin avril, sur les actifs au début de la crise, 55 % des femmes continent de travailler contre 61 % des hommes, estime l’Ined.
Le télétravail a dégradé les relations entre parents et enfants
Le développement du télétravail n’a pas contribué non plus à une meilleure articulation des tâches au sein du couple. « Ce que nous avons vécu pendant le confinement est néanmoins une sorte de faux télétravail, relativise Thomas Godey, avocat en droit social. Normalement, il n’est ni imposé ni exercé à temps plein. Et il est même clairement incompatible avec la garde d’enfants à la maison. »
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D’ailleurs, relève l’Ined, les cadres avec enfants – qui ont le plus télétravaillé – « sont les plus nombreux à évoquer une dégradation des relations avec leurs enfants » (18 %). À l’inverse, « malgré des conditions de logement moins favorables en moyenne, les ouvriers et les employés sont plus nombreux que les cadres à avoir déclaré une amélioration des relations avec leurs enfants depuis le début du confinement. » Le chômage partiel qu’ils ont subi leur permettant d’échapper, au moins pour un temps, au travail de nuit ou aux horaires décalés.
Et après ?
Les leçons du confinement devraient nourrir une véritable réflexion sur l’articulation des vies professionnelle et familiale, alors que le monde du travail pourrait passer massivement au numérique. « Le risque d’une porosité accrue entre la vie professionnelle et familiale existe pour les femmes, reprend Brigitte Grésy. Il y a fort à parier qu’à partir du moment où elles travailleront de chez elles, les femmes recommenceront à garder leurs enfants à partir de 16 h 30 ou à ne plus faire appel à une aide pour le ménage. Cela se fera au détriment de leur carrière. »
L’organisation concrète et le partage de l’espace de travail au domicile pendant le confinement en a donné une illustration frappante. « En télétravail, les hommes sont proportionnellement plus nombreux que les femmes à disposer d’un espace personnel dédié au télétravail : 39 % des hommes travaillent dans une pièce spécifique qui leur est réservée, contre un quart des femmes en télétravail (25 %) », note l’étude de l’Ined. Ces dernières ont dû souvent partager un bout de table de cuisine avec leurs enfants, histoire de tout faire en même temps.
Emmanuelle Lucas