L'épopée de l'intime
— Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret —
Très connu en Allemagne, grâce à son « Opéra de 4 sous » à la fin des années 1920, Brecht est persona non grata de part ses idées marxistes et se voit contraint à l’exil en 1933, lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir et la montée du nazisme. Commence pour lui une période de quinze longues années où apatride, il erre à travers la Scandinavie du Danemark à la Finlande, aux Etats-Unis puis en Suisse.
Il est privé de théâtre et de revenus conséquents. Cela ne l’empêchera pas, malgré les épreuves d’écrire ses plus belles pages de théâtre : « La vie de Galilée » « Le cercle de craie caucasien » « La bonne âme de Se-Tchouan » Brecht tente de rester à la surface et parfois d’y apprécier l’allégresse. Il essaie d’oublier les profondeurs grondantes, quand, même dans la foule le vertige est trop grand et la chute éminente. Dans cette œuvre, paroles et silences, mélancolie et humour, réalisme et abstraction, dialoguent pour nourrir une idée : cette volonté de Brecht de ne jamais renoncer. On les croirait deux sur scène, mais c’est sans compter avec la présence multiple du bandonéon acteur ô combien nécessaire et imparable à l’ambiance qui retranscrit fidèlement les sentiments et tout l’état d’esprit de Brecht.
La voix comme extrémité de soi, la voix comme l’ordinaire des jours
La trame sonore, en temps réel, fait vibrer à l’unisson, lumière, musique, poèmes, textes et théâtre. La voix comme extrémité de soi, la voix comme l’ordinaire des jours, propulsera le public dans un univers composé de « petits mondes »comme autant d’univers fragmentés de la parole de Brecht, de sa quête assoiffée de vérité en réponse à la cruauté à la corruption, et à l’injustice environnante. La musique émouvante que joue Yvonne Hahn donne un réel sens et une émotion authentiques. Elle fait écho aux textes, à leur partage et a leur fines juxtapositions, et forme ces climats ces thèmes et des motifs étroitement liés entre eux, quand la mise en scène exprime une pièce qui aurait pu être écrite par Brecht lui-même. C’est sur ses plaies et ses souvenirs que Brecht trace à la manière d’un Goya une intense suite de textes crépusculaires tristes et sombres …Pourtant, ce monde n’est dénué ni de charme ni de légèreté. Dans la mise en scène éclatée de Serge Babuscia, on y perçoit les échos d’une fête, et tout autant la langueur d’une fin de banquet, une certaine ivresse qui échauffe les esprits et fait vibrer les cœurs. Un spectacle à ne pas manquer !
CITATION EXPRESS
« J’ai toujours trouvé faux le nom qu’on nous donnait, émigrants. Le mot veut dire expatrié, mais nous ne sommes pas partis de notre gré, pour librement choisir une autre terre. Nous n’avons pas quitté notre pays pour vivre ailleurs… au contraire, nous avons fui. Nous sommes expulsés. Nous sommes des proscrits et le pays qui nous reçut ne sera pas un foyer mais l’exil »
Pratique :
Au Théâtre Aimé Césaire
Jeudi 13, vendredi 14, samedi 15 à 19h30
« Chants d’Exil» Textes de Bertolt Brecht
Compagnie Théâtre du Balcon
Avec : Aïni Iften et Serge Barbuscia
Yvonne Hahn et son bandonéon
Scénographie et lumière : Sébastien Lebert
Mise en scène : Serge Barbuscia
Durée 1h30
Tarifs : 15, 12 et 9 euros
Informations/réservations 05. 96. 59. 43. 29.
06. 96. 22. 07. 27.
Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret
Texte paru dans France-Antilles.