— Par Dominique Widemann —
La cinéaste belge s’est éteinte, lundi, à Paris à l’âge de 65 ans. Laissant comme à son habitude notre imaginaire poursuivre.
Le temps a rattrapé la grande cinéaste du temps, des temps plutôt, et des mondes contenus dans chaque fragment de son œuvre. Chantal Akerman est née en Belgique, en 1950, dans une famille arrivée là quelque vingt ans plus tôt. Elle avait consacré son dernier film, No Home Movie, à sa mère, juive polonaise qui avait survécu à Auschwitz. Chantal Akerman réalise à dix-sept ans son premier film court, Saute ma ville, implosion explosive qui d’entrée la situe hors cadres. La géométrie décalée des siens ne cessera de faire acte de cinéma, alliant malice et gravité au gré de son nomadisme. Nous lui devons près de cinquante films, de divers formats, des installations que l’on n’a pas envie de séparer de ses autres travaux tant Chantal Akerman se joue des frontières et déplace les horizons. Elle intègre l’école de cinéma de Bruxelles après plusieurs zéro de conduite, en sort sans plus de bagage que l’expérimentation active de la photo.
Elle apprend de Warhol ou de Mekas que l’on peut « raconter des histoires sans histoire »
Une histoire d’amour l’emportera de Jérusalem – brièvement – à New York. Elle y découvrira la Factory de Warhol, la caméra glaneuse de Jonas Mekas, les films de Michael Snow. Elle apprend d’eux que l’on peut « raconter des histoires sans histoire », invente sa vie en « étant » ses films. Des dates marquantes de sa ponctuation personnelle, on peut retenir sa rencontre en 1971 avec l’actrice Delphine Seyrig ; en 1984, la première crise maniaque des troubles mentaux qui l’affecteront. Elle donnera en 2012 la Folie Almayer, film homonyme du roman de Joseph Conrad dans lequel un homme se noie dans sa folie. La Captive lui avait été inspirée de la Prisonnière et de l’Albertine disparue de Proust. Elle-même, confinée au chevet de sa mère malade, avait écrit Ma mère rit, publié en 2013. En 2014, le festival Bande(s) à part offrait une rétrospective des travaux de Chantal Akerman. On pouvait y rencontrer Je, tu, il, elle, film tourné en 1974 grâce au recyclage de lots de pellicules dérobés dans un laboratoire, comme Hôtel Monterey, réalisé à New York en 1973, avait été financé par de l’argent que Chantal Akerman détournait de la caisse qu’elle tenait dans un cinéma porno-homo…
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