Éditorial du 24 janvier 2008
— Par Roland Sabra —
Privatiser les profits et socialiser les pertes. La très libérale Grand-Bretagne en était à se demander s’il ne faudra pas nationaliser la Northern Rock, au bord de la faillite en septembre 2007 et dont les pertes vertigineuses pourraient ne pas être couvertes par un emprunt pourtant garanti par l’Etat! Georges Bush n’a même plus ce genre d’interrogations. Les libéraux appellent au secours l’Etat quand ça va mal et le prient de bien vouloir se faire le plus discret possible quand les profits flamboient. La crise des subprimes n’est que la partie visible de l’iceberg. Les banques sont sorties de leur rôle d’intermédiaires financiers et ont pris des risques inconsidérés, en refourguant des prêts à des particuliers peu solvables. Elles se sont ensuite empressées de se vendre entre elles ces créances arrachées aux plus défavorisés, comme par exemple à la population noire de East New York, un quartier déshérité de Brooklyn, en les dissimulant, en les camouflant dans des paquets plus ou moins bien ficelés (la titrisation). C’est en ouvrant ces paquets qu’elles prennent conscience de l’importance des dégâts. On dit dans le jargon qu’elle provisionnent pour pertes, ce qui plombe d’autant leurs bénéfices. Les banques françaises elles ont attendu, continuant par leur politique de facturation de la moindre opération, à afficher des résultats mirobolants. Seulement voilà, la stratégie de Tartuffe est éventée. Elles commencent seulement à ouvrir les yeux, les paquets si l’on préfère.
Les sociétés financières (banques compagnies d’assurances, fonds de pension etc.), victimes de leur propres pratiques (propres n’est pas le mot juste) -de leurs arnaques mutuelles- ne se font plus confiance, elles refusent de se prêter de l’argent sur le marché des capitaux car elles ignorent non seulement le niveau des pertes de leur consœurs mais le montant même du krach : 500, 700, 1000 milliard de dollars? Dans ce cas le seul recours est de s’adresser à la banque centrale, la FED aux Etats-Unis, la BCE en Europe auxquelles elles demandent des possibilités de crédits au taux le plus avantageux, le plus bas. Cette baisse des taux ardemment souhaitée, est aussi un moyen de revaloriser les actifs financiers non véreux. Ils prendront de la valeur car ils seront plus rémunérateurs que les nouveaux prêts. Et c’est là que le bât blesse. La BCE ne veut pas baisser son taux, plus élevé que celui de la FED, car cela rend l’Euro plus attractif pour qui veut placer des capitaux, la rémunération étant plus forte. Mais la FED non plus ne voulait pas baisser son taux parce que les déficits, et en conséquence l’endettement, étasuniens sont colossaux. La FED voudrait plutôt rehausser le taux d’intérêt de façon à rendre plus cher le crédit et limiter ainsi la consommation, l’investissement et la hausse des prix aux États-Unis, une manière de réduire l’activité économique et donc les déficits et l’inflation. En réalité la marge de manœuvre de la FED se réduit comme une peau de chagrin, parce que la récession multiplie les créances douteuses et que le meilleur moyen somme toute de dévaloriser le stock de créances pourries, accumulées par les banques, est de laisser filer l’inflation, donc de dévaloriser le dollar. Au risque de voir les détenteurs de billets verts étasuniens, essentiellement les économies émergentes d’Asie, s’empresser de les vendre au profit de divises refuges comme l’Euro et d’assister à l’effondrement du dollar. L’Europe embarquée dans la tourmente y laissera des plumes. Déjà en France, Richelieu finance vient de « découvrir » des pertes telles qu’il est contraint de « s’adosser » sur un groupe étranger. Les financiers ont des euphémismes pour dire « se vendre »! Natexis ( Banques populaires) et le Crédit Agricole sont les plus exposés
Le plan Bush contre la crise, d’un montant de 140 milliards de dollars, bien inférieur aux besoins colossaux nécessité par la crise, est de la même nature que la politique de Sarkozy : baisser les impôts des plus riches pour relancer la machine, sauf que là-bas comme ici, on fait le choix idéologique de favoriser ceux dont le concours à la relance est le plus faible, avec donc des chances de succès on ne peut plus minces, ce que ne manque pas de dénoncer les Démocrates en campagne. La première économie de la planète va voir sa locomotive s’arrêter, peut-être même reculer (dépression) entrainant tous les wagons de l’économie du monde avec elle. La purge sera sévère, et elle touchera les pays émergents. Marc Fiorentino, président fondateur d’Euroland Finance, espère qu’elle apurera les marchés émergents, Chine en tête : » J’espère sincèrement un krach en Chine. » Mais il serait illusoire de croire que les économies européennes ne seront pas concernées puisque les banques françaises subissent déjà les premiers contrecoups de la crise.
On comprend pourquoi Dean Baker codirecteur, à Washington, du Center for Economic and Policy Research, un think tank américain, rejoint par de nombreux analystes, déclare : « Cette récession sera la plus féroce depuis la Seconde Guerre.«
R.S. le 22/01/08