— Par Roland Sabra —
Sur le rideau de scène une image, la statue de Joséphine, celle de la place de la Savane, avec sa tête qui se détache, qui se remet en place, qui hésite avant de choisir la décapitation précédant sa destruction. Sur le socle défilent les slogans chargés de cette souffrance en gésine qui n’en finit pas de se dire et qui toujours resurgit au moindre conflit. Et ce n’est pas le moindre mérite d’Hervé Deluge que de contextualiser, à sa façon, le si beau texte de Gaël Octavia qui nous parle de cette schize identitaire qui traverse la Martinique et ses habitants. L’autrice semble savoir au plus profond de sa chair ce qu’il en est de cette coupure, de cette dualité, elle qui porte un prénom épicène orthographié au masculin.
Le personnage a quitté le confort d’une situation matérielle acquise pour aller à la guerre, pour «devenir un homme » dit-il, affirmant par là qu’il ne l’était pas encore. Un homme, une nation en devenir. Il revient en guerrier qui n’a pas combattu, sauvé par un pacifiste criminel de guerre dont il porte les habits tachés d’un sang qui n’est pas le sien. Et il adresse à sa mère des reproches, lui lance des piques, l’accusant de compromissions, de soumissions à l’ordre établi. Écoutons le : « Tu n’as jamais cru aux hommes de ce pays, Maman , tu n’a jamais cru à tes enfants. […] Tu étouffes la ta tristesse soue l’arrogance de tes bracelets en or mais tu es triste. Et pauvre Maman, pauvre ! Tu n’as jamais cru que l’on puisse changer les choses. Tout en toi le dit : Acoquinons-nous avec les puissants, il n’y a que ça à faire. Mais tu sais quoi ? Les maîtres ne sont pas éternels. Je te le répète : les maîtres ne sont pas éternels ». Un peu avant il déclarait : » Sur le chemin , je me sui demandé : Pourquoi n’a-t-on jamais fait la guerre, ici, hein ? »
Hervé Deluge et la sobriété ne font pas bon ménage. On le sait et il faut s’en accommoder. Il assume cette mise à distance de la distanciation au nom d’un théâtre qui se veut populaire dit-il. Ce qui est louable en soi mais qui induit chez Hervé Deluge une tendance accentuée à tout vouloir souligner jusqu’à parfois confondre humour et gaudriole comme si le peuple était incapable de subtilité. Il ne fait pas dans la dentelle, c’est à la fois sa force et sa faiblesse. Ce que le texte suggérait le comédien metteur en scène le souligne à l’encre NRV (Noir, Rouge, Vert). Il dit haut et clair au spectateur ce que celui-ci voudrait pouvoir deviner. Hervé Deluge est ainsi. C’est un homme pressé et généreux dans ce qu’il offre au public et ne serait-ce que ça il a bien évidemment toute sa place dans le théâtre antillais et il faut aller découvrir sa lecture de la pièce de Gaël Octavia.
Juché sur le socle de ce qui fût la statue de Joséphine, vêtu d’une tenue camouflage, emmêlé dans les images vidéo, il est à lui seul ce nous collectif, velléitaire, craignant ce qu’il désire, cherchant un leader, espérant un sauveur, un « homme au cœur de diamant », le Sankara qui libérera la mère-patrie, la matrie pourrait-on dire. A-t-il l’étoffe de ce héros ? «Guerrier oui. Martyr nettement moins. » Confronté à une aporie sans nom, il finira par renoncer à la recherche d’un maître qui libère après s’être fait braquer dans un bistrot, par un plus allumé que lui et ses comparses. Il passera le relais en découvrant que l’enfant qui est « venu au monde en son absence » est une fille. « C’est une fille ? C’est parfait ! Ce sera la première révolution : arrêter de vouloir faire les révolutions sans les femmes ». Le retour de l’ambivalence refoulée n’est jamais bien loin. Il surnommera sa fille « La Petite Sankara ».
Nous le disions et nous le répétons :Gaël Octavia est une autrice et Hervé Deluge un comédien metteur en scène. Deux reflets d’un même pays.
À n’en pas douter!
Fort-de-France, le 08/04/2022
R.S.