— Par Joseph E. Stiglitz (lauréat du prix Nobel d’économie (2001) et professeur à l’Université de Columbia) —
Les engagements budgétaires actuels serviront-ils ou non les intérêts des générations futures en matière de climat ? Dette financière et dette environnementale obéissent à des logiques différentes, ce qui devrait nous conduire à mieux considérer la nécessité d’investissements publics d’ampleur en faveur de la transition écologique, estime Joseph E. Stiglitz.
Les conservateurs américains se montrent souvent théâtraux lorsqu’ils évoquent leur inquiétude quant au poids de la dette que nous transmettrons à nos enfants. Cet argument moral est notamment intervenu dans le refus des républicains du Congrès de soutenir une augmentation pourtant habituelle du plafond de la dette des Etats-Unis. Le bon vieux parti semble si attaché à la réduction des dépenses qu’il est prêt à prendre en otage l’économie mondiale, ainsi qu’à risquer de voir la réputation de l’Amérique définitivement mise à mal.
Il ne s’agit pas d’affirmer que nous ne devrions pas penser aux générations futures. La vraie question est néanmoins de savoir si les politiques et engagements budgétaires actuels serviront ou non les intérêts de nos enfants et petits-enfants. De ce point de vue, il apparaît clair que ce sont les républicains qui font preuve d’une dangereuse négligence quant aux conséquences de leurs actes.
Notre capital physique et humain
Quiconque s’intéresse de bonne foi à l’économie sait qu’il convient toujours d’examiner les deux côtés du bilan comptable. C’est la différence entre actifs et passifs qui importe. Si la dette s’accroît, mais que les actifs augmentent encore davantage, le pays est gagnant – de même que les générations futures. Cela se vérifie qu’il s’agisse d’investissements dans les infrastructures, l’éducation, la recherche ou les technologies. Mais plus important encore, intervient le capital naturel : la valeur de notre environnement, des ressources en eau, de l’air que nous respirons, ainsi que des sols. Si notre air et notre eau sont pollués, et nos sols contaminés, alors nous léguons effectivement une charge plus lourde à nos enfants.
Un rapport pointe le coût « dévastateur » de la croissance pour la nature
La dette financière n’est qu’un montant chiffré, une somme que nous nous devons les uns aux autres, un système de morceaux de papier qui peuvent être redistribués pour ajuster les droits s’y rattachant en fonction des biens et services. Si nous faisions défaut sur notre dette, notre réputation en souffrirait, mais notre capital physique, humain et naturel demeurerait inchangé. Les créanciers obligataires finiraient moins fortunés qu’ils l’avaient espéré, et certains contribuables pourraient finir plus riches que si la dette avait été remboursée, mais notre « richesse » globale resterait la même.
Quel taux de rendement viser ?
Les choses sont différentes s’agissant de la « dette environnementale ». Cette charge ne saurait être effacée de la main d’un juge au tribunal de commerce. Les dégâts causés aujourd’hui nécessiteront plusieurs décennies pour être réparés, ainsi que des dépenses qui auraient pu être consacrées à l’enrichissement du pays. Par opposition, les dépenses judicieuses effectuées pour préserver et restaurer l’environnement – telles que les investissements dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre – seront bénéfiques pour les générations futures, même si ces dépenses sont financées par de la dette…
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