— Par Yves-Léopold Monthieux —
Le temps n’est pas à l’évocation des fautes et erreurs qui ont accompagné chacune des facettes de l’œuvre de Bernard Tapie. Car il n’est pas de domaine investi par cet homme qui ne soit assorti de déconvenues d’égale importance que les succès remportés. Non pas pour des faits d’incompétence mais à cause d’agissements pour le moins douteux. En affaires, les méthodes qui l’ont mené au succès l’ont souvent conduit devant les tribunaux. En matière sportive ses succès incontestables ont été obscurcis par des soupçons et une condamnation judiciaire qui n’a pas été contestée.
Arrêtons-nous plutôt à sa brève et controversée carrière politique. Son talent exceptionnel dans ce domaine aussi a été instrumentalisé par le florentin François Mitterrand qui, par ailleurs, s’est beaucoup amusé dans l’exercice de sa fonction de président de la République, où il a excellé dans l’art de se jouer des personnes. On le sait, le florentin se définit comme « une personne rusée, subtile ou raffinée en référence aux princes de Florence à la Renaissance et à Machiavel ». Ainsi Tapie fut invité à tenter de freiner l’élan politique pris par Jean-Marie Le Pen que le Chef de l’État avait lui-même aidé à s’échapper pour gêner la Droite. Puis il fut désigné avec Christiane Taubira pour conduire aux élections européennes une liste concurrente à celle de son parti, le Parti socialiste. L’objectif était d’abattre l’ennemi intime du président, le socialiste Michel Rocard. C’est la confirmation qu’en politique les véritables adversaires se trouvent dans le même camp.
Aussi bien, le président Mitterrand qui s’était vanté d’avoir deux avocats, l’un pour le droit, l’autre pour les coups tordus, ne s’est pas singularisé seulement par le record de présence à l’Élysée : quatorze ans (2 septennats), ou l’abolition de la peine de mort après que le ministre de la France d’Outre-Mer qu’il fut eût l’attitude inverse, 30 ans plus tôt. On retient qu’il a été le président qui a nommé le Premier ministre le plus jeune, Laurent Fabius, le premier ouvrier à cette fonction, Pierre Bérégovoy, et la première femme, Édith Cresson. Peut-on croire que seul l’intérêt du pays et la grande compétence des intéressés avaient suffi pour justifier ces décisions inattendues ? Le fameux « lui c’est lui, moi c’est moi » prononcé par le plus jeune ne l’a pas aidé pour la suite de sa carrière, la droiture de l’ouvrier l’a accompagné dans le suicide – un grand ami du prince était passé par là – tandis que le bref passage de la femme à cette haute fonction n’a pas laissé un souvenir impérissable ni connu de prolongement au sein du personnel politique féminin. Nommé ministre à deux reprises – une erreur de Mitterrand la première fois, une faute, la seconde, s’avisa François Hollande – Bernard Tapie eut droit aux honneurs du fait-du-prince.
Quant au Premier ministre qui s’était imposé à lui, sans doute le meilleur, Michel Rocard, il fut écarté avec volupté à la première occasion. Le seul vrai vainqueur fut François Mitterrand qui, plus tard, aura préféré Jacques Chirac à celui qu’il avait lui-même désigné à la tête du parti socialiste, Lionel Jospin. Mais n’était-ce pas le règlement d’une dette envers l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, qui, en 1981, lui avait fait la courte échelle ? Mme Tapie aura en vain mis en garde son mari contre les risques de la politique. Finalement, Bernard Tapie en admit le bien-fondé, mais …c’était Tapie et c’était Mitterrand.
Fort-de-France, le 4 octobre 2021
Yves-Léopold Monthieux