— par Yves-Léopold Monthieux —
Dans les régimes parlementaires, la prédominance du pouvoir législatif sur l’exécutif est naturelle car les assemblées élues représentent le peuple souverain. D’où la notion de démocratie représentative qui s’oppose à celle de démocratie directe, laquelle, sauf en de rares exceptions étroitement encadrées, est impossible à mettre en œuvre. Cependant, même ramenée à sa dimension représentative, la démocratie a encore besoin de mécanismes institutionnels qui rognent l’expression populaire, au profit de l’exécutif. Le déplacement du curseur peut conduire à la situation inverse : la prédominance de l’exécutif sur les assemblées. Cette primauté est généralement reconnue à la 5ème république, à l’inverse de ses devancières.
Avec la constitution de 1958, la légitimité du peuple est partagée entre le parlement et le président de la République, les deux institutions étant élues au suffrage universel direct. Plusieurs mesures destinées à réguler les rapports entre elles conduisent finalement à renforcer l’exécutif. Les plus connues sont le référendum, les pleins pouvoirs de l’article 16, les ordonnances de l’article 38 et l’engagement de la responsabilité de l’article 49 alinéa 3. Aucune de ces dispositions n’est appliquée sans soulever avec plus ou moins de force les réticences de l’opposition.
Le référendum permet au président de la république d’interroger directement les Français sans passer par les parlementaires, qui peuvent ne pas être d’accord avec la question posée. Dans des circonstances de gravité exceptionnelle, l’article 16 permet au président de la République d’exercer les pleins pouvoirs. Le parlement siège alors pendant la durée de ces « pleins pouvoirs ». L’habilitation législative de l’article 38 permet au gouvernement de légiférer par voie d’ordonnances. Elle est accordée par le Parlement qui ratifie ensuite le projet de loi qui en résulte.
Enfin, l’article 49 alinéa 3 qui alimente la controverse actuelle se singularise par le fait qu’il permet au gouvernement d’adopter une loi sans vote. Le gouvernement s’attribue cette prérogative de façon discrétionnaire, c’est sans doute la dépossession la plus violente du Parlement. Les députés n’ont que la possibilité, dans les 48 heures suivant l’adoption de la loi ainsi créée, de déposer une motion de censure contre le gouvernement.
Cette procédure est généralement utilisée lorsque la majorité est faible ou incertaine. Elle l’a été à plusieurs reprises, dont 28 fois par le gouvernement de Michel Rocard. Dès 1960, Michel Debré l’avait utilisée pour l’une des décisions les plus importantes de la 5ème république : la définition de la force de frappe nucléaire française. Dans le cas présent de la réforme des retraites, le gouvernement envisage d’y avoir recours alors que sa majorité n’est ni faible ni incertaine. L’article 49-3 pourrait donc avoir trouvé un autre motif pour sa mise en œuvre : mettre fin à l’obstruction de l’opposition parlementaire. C’est dire que les motifs de son application ne sont pas strictement définis. Il ne connait qu’une seule contrainte : il n’est applicable qu’une seule fois pour une période d’un an. Il ne peut être soumis qu’à une sanction, le vote, improbable, d’une motion de censure.
Notons qu’une procédure identique existe en Allemagne, assortie d’une condition contraignante : la présentation d’un projet de gouvernement alternatif. La Collectivité territoriale de Martinique s’inspire de cet exemple en prévoyant, à l’appui de toute motion de défiance à l’encontre du conseil exécutif, la soumission au vote de l’assemblée d’une liste alternative de conseillers.
Fort-de-France, le 27 février 2020
Yves-Léopold Monthieux