— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La déstabilisation n’est pas un objectif en tant que tel du RPPRAC , il peut aussi être un moyen d’attirer l’attention, entre autres sur une situation de grande précarité sociale . Dans ce cas, une intimidation à l’aide de blocage de la Martinique n’est pas à voir comme une fin en soi, comme une guerre de tranchées entre plusieurs organisations de nature différente , mais plutôt comme la manifestation d’un état émotionnel. Mais le hic , c’est que un choc émotionnel peut provoquer un traumatisme pouvant entraîner des réactions de violence ainsi que des dommages physiques et psychologiques.
Attention à la déstabilisation de l’économie avec la menace de disparition de la production locale !
Si vous dites que quelqu’un joue avec le feu, vous voulez dire qu’il fait quelque chose de dangereux qui peut lui causer de graves dommages et de nombreux problèmes .Le sens de l’expression populaire « jouer avec le feu » est celui qui consiste à dire que lorsqu’on prend de gros risques de se brûler à travers une action inconsidérée, on finit toujours par en payer le prix aux entournures . L’appel à une réflexion plus rationnelle dans le conflit de la vie chère en Martinique , inspirée des enseignements du stratège chinois Sun Tzu, semble pourtant indispensable pour éviter le pire des dommages collatéraux dans une situation de crise . Ainsi connaître son adversaire, évaluer ses forces et ses faiblesses, et anticiper les conséquences de chaque action : telles sont les clés pour éviter une confrontation stérile. Or, dans le cas du RPPRAC, la stratégie du bras de fer paraît fondée sur une analyse superficielle de la situation, sans prise en compte des rapports de force et dynamiques économiques globales qui affectent l’île. En persistant dans cette voie, le mouvement risque de provoquer un effondrement économique dont il sera le premier avec le peuple à payer le prix fort .
L’histoire de Don Quichotte nous rappelle qu’il est parfois nécessaire de reconnaître les limites de ses actions et de revoir ses objectifs à la lumière de la réalité. Le RPPRAC, en continuant à s’opposer de manière irrationnelle à des forces qui le dépassent, compromet l’avenir de la Martinique. Plutôt que de se perdre dans une politique de confrontation directe, il serait plus judicieux d’investir le champ politique pour revenir plus tard à la table des négociations, de favoriser le dialogue et de chercher des solutions de réforme du modèle économique qui, bien que moins spectaculaires, auraient le mérite d’être durables.La crise de la vie chère en Martinique est un révélateur des mutations profondes qui affectent l’île, marquant la transition d’un État-providence en France hexagonale qui peine à se maintenir dans un contexte économique en perpétuelle mutation. Si le XXe siècle s’était achevé dans l’optimisme en France, le XXIe siècle a rapidement révélé les limites de ce modèle social français issu du conseil national de la résistance , notamment à travers l’émergence de nouvelles technologies et la révolution numérique. L’engouement pour ces innovations a suscité des espoirs démesurés quant à l’augmentation du niveau de vie mondial, mais cette vague de transformation a aussi amplifié les inégalités sociales et économiques, particulièrement dans les territoires ultra-marins comme la Martinique.
La montée des tensions autour de la vie chère s’inscrit dans cette dynamique. Ce phénomène, exacerbé par le mouvement RPPRAC, repose sur une contestation sociale de plus en plus radicale. Mais cette radicalisation semble vouée à l’échec. Le mouvement s’apparente à une forme de lutte anachronique, déconnectée des réalités économiques mondiales et locales. Tel un Don Quichotte moderne, le RPPRAC tente de lutter contre des forces économiques qui le dépassent, comme s’il combattait des moulins à vent. La stratégie du blocage, brandie et mise à exécution par ce mouvement, menace d’aggraver encore davantage la situation de l’île.
Le contexte économique martiniquais est extrêmement fragile. Reposant sur des subventions publiques, l’île fait face à une crise de l’État-providence, accentuée par la rigueur budgétaire de l’État français. Elle pourrait conduire à une récession à court terme dès 2025 , avec des conséquences désastreuses pour une économie locale déjà sous perfusion. Loin de forcer l’État à céder, le bras de fer risquerait au contraire de durcir les positions et de précipiter une répression sévère.
La crise de la vie chère ne se résume pas à un simple enjeu économique. Elle reflète également une fracture profonde entre les aspirations politiques , identitaires et la réalité économique de la Martinique. Le populisme qui sous-tend le discours du RPPRAC puise dans l’exaspération d’une population confrontée à l’inflation et au sentiment d’abandon. Mais ce populisme est déconnecté des contraintes budgétaires et économiques auxquelles sont confrontés les décideurs. La radicalisation également du discours syndical nouvellement partie prenante du conflit et le recours à la confrontation systématique ne peuvent que mener à une impasse.
Cette situation met également en lumière les limites du modèle syndical aux Antilles. Jadis puissant, le syndicalisme semble aujourd’hui en crise, en décalage avec les transformations profondes du capitalisme et du monde du travail. Le modèle de négociation sociale qui fonctionnait autrefois peine à s’adapter à la dispersion du salariat, à l’individualisation des rapports de travail et à l’évolution du capitalisme vers un système plus transnational avec la quatrième révolution industrielle et surtout technologique. Face à ces mutations, les syndicats de la Martinique peinent à organiser la contestation sociale de manière efficace, se retrouvant souvent dans des logiques de guérilla sociale stérile.L’incapacité des mouvements sociaux à prendre en compte ces évolutions structurelles contribue à la crise actuelle. En refusant de s’engager dans des réformes structurelles sur le temps long pour changer le modèle économique et des négociations rationnelles, le RPPRAC et les syndicats risquent d’aggraver la situation, tant sur le plan économique que social. L’idée de renverser le système économique martiniquais dominé par la grande distribution par des actions radicales sans prise en compte des dynamiques globales est non seulement irréaliste, mais potentiellement destructrice.La crise économique et sociale actuelle en Martinique, cristallisée autour de la question de la vie chère, pose des défis majeurs pour l’avenir de l’île. Le mouvement RPPRAC, en première ligne de cette contestation, réclamait initialement un alignement des prix sur ceux de la France hexagonale, ainsi que la suppression de l’octroi de mer et de la TVA sur les produits alimentaires. Si ces revendications semblent, à première vue, répondre à une véritable souffrance populaire, elles révèlent néanmoins une méconnaissance des réalités économiques locales et risquent d’entraîner des conséquences pour la Martinique. Le problème fondamental de ces revendications est qu’elles ne tiennent pas compte des particularités de l’économie insulaire. En effet, les contraintes géographiques, logistiques et structurelles de la Martinique rendent impossible un alignement des prix avec ceux de la « métropole » sans bouleverser profondément le tissu économique local. Les coûts de transport en dépit des mécanismes de la continuité territoriale et le volume limité des importations pèsent lourdement sur les prix, et vouloir ignorer ces réalités relève d’une utopie. L’idée d’une égalisation des prix entre la Martinique et la « métropole « néglige également le fait que l’économie de l’île repose principalement sur des petites et moyennes entreprises, notamment qui œuvrent quasi en totalité dans le secteur agroalimentaire, et qui peinent déjà à rivaliser avec les produits importés. Mais les revendications du RPPRAC vont encore plus loin, notamment avec l’exigence de la demande de suppression de l’octroi de mer et de la TVA sur l’ensemble des produits alimentaires . Mais c’est méconnaître que cette taxe de l’octroi de mer bien que souvent décriée, est un mécanisme de protection essentiel pour l’économie locale, car elle permet de favoriser la production insulaire face aux importations massives. Supprimer l’octroi de mer sur l’ensemble des produits alimentaires reviendrait à exposer directement les producteurs locaux à une concurrence internationale déloyale, notamment de pays où les coûts de production sont nettement inférieurs. Un tel choc risquerait de provoquer l’effondrement du tissu productif martiniquais, déjà fragilisé par des décennies de difficultés structurelles. En effet, la Martinique, en tant que territoire insulaire, doit faire face à des coûts de production élevés. L’importation des matières premières, l’énergie coûteuse, la faible économie d’échelle et la dépendance aux importations compliquent la situation économique de l’île. En dépit de la protection offerte par l’octroi de mer, un mécanisme visant à favoriser la production locale en taxant les importations, les produits martiniquais peinent à rivaliser avec ceux provenant de pays où les coûts de production sont nettement plus bas. Les revendications du RPPRAC, en exigeant la suppression de cette taxe sur le tout alimentaire, ne feraient qu’exposer davantage les producteurs locaux à une concurrence nationale et internationale, compromettant leur survie.La Martinique est également confrontée à des défis structurels majeurs : des petites et moyennes entreprises qui peinent à se moderniser, un manque de diversification économique et une faible compétitivité. Les entreprises locales, déjà fragiles, n’ont pas les moyens financiers ni techniques d’innover à l’instar de grandes entreprises nationales ou de faire face à la concurrence étrangère. La suppression de l’octroi de mer, combinée à la pression fiscale et aux charges sociales élevées, risquerait d’accélérer la disparition de ces entreprises, entraînant avec elles une augmentation du chômage et une dépendance accrue aux importations. Cette situation affaiblirait encore plus l’autonomie économique de l’île, compromettant toute perspective de responsabilité locale et l’incapacité à réaliser une autonomie politique viable . Les petites entreprises locales, incapables de soutenir une telle pression, disparaîtraient, entraînant dans leur chute beaucoup de gens avec une montée du chômage et une dépendance accrue aux importations.
La suppression de l’octroi de mer et de la TVA sur tous les produits alimentaires , bien qu’attractive à court terme pour une baisse des prix en faveur des consommateurs, représente aussi un risque majeur pour les finances publiques locales. Priver les communes de Martinique de cette manne financière aggraverait encore plus la situation économique de l’île, qui dépend déjà fortement des transferts publics. Dans un contexte où l’État français restreint ses capacités budgétaires, une telle mesure qui ne serait pas susceptible d’être compensé pour des raisons budgétaires, mettrait encore plus à mal les efforts pour maintenir le tissu social et économique martiniquais.
La structure économique de la Martinique, marquée par l’absence d’industrie lourde de production de biens manufacturés et une dépendance à l’importation et aux services, ne permet pas de répondre aux mêmes logiques que celles de la France hexagonale. Contrairement à l’Hexagone, qui peut compter sur un tissu industriel diversifié et des entreprises mécanique et technologique de pointe, la Martinique repose essentiellement sur des petites initiatives de production locales fragiles. Ces entreprises, qui luttent pour survivre dans un environnement où la concurrence est déjà féroce, seraient irrémédiablement affectées par la suppression des taxes protectrices comme l’octroi de mer. Une telle décision entraînerait une destruction du tissu économique local, avec des répercussions dramatiques sur le plan social et sur l’emploi.Face à cette réalité, la radicalisation du RPPRAC et ses revendications populistes paraissent non seulement irréalistes mais dangereuses. En refusant de tenir compte des contraintes économiques globales et locales, le mouvement menace de précipiter la Martinique dans une crise encore plus profonde dès 2025 . La montée des tensions sociales, exacerbée par la stratégie du blocage et de la confrontation, risque d’isoler davantage l’île et de l’enfoncer dans une impasse économique. Cette stratégie du bras de fer, qui repose sur une analyse simpliste des enjeux économiques, est vouée à l’échec ,car au final la vie chère à terme pourrait se perpétuer avec le système de péréquation envisageable dans l’accord en question et qui va provoquer une augmentation des prix sur tous les autres produits dits premium ou soit disant de luxe.
D’ailleurs, face à l’inflation, les consommateurs français ont réduit leurs dépenses dans tous les domaines, sauf sur les produits alimentaires d’épicerie, selon une étude du cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG)(Nouvelle fenêtre), publiée ce 22 octobre , et à preuve que les prix des produits manufacturés ne baissent pas comme dit. En ce sens l’accord sur la vie chère signé par les différents protagonistes demeure une gageure. Un pari risqué sur l’avenir ?
Le véritable enjeu de cette crise réside dans la capacité des acteurs politiques, économiques et sociaux à trouver des solutions réalistes et durables. Plutôt que de céder à la tentation d’un populisme de court terme, il est impératif de réfléchir à des réformes structurelles qui permettront à la Martinique de préserver son fragile équilibre économique tout en répondant aux aspirations légitimes des citoyens. Le RPPRAC, en cherchant des solutions radicales et immédiates, court le risque de sacrifier l’avenir économique de l’île sur l’autel d’un mécontentement populaire mal canalisé.
Il est essentiel que tous les acteurs prennent conscience des conséquences de leurs actions. Si les revendications du RPPRAC sont mises en œuvre, elles entraîneraient non seulement la disparition de nombreuses entreprises locales, mais aussi une aggravation de la dépendance aux importations et une hausse des inégalités sociales. En cette période de crise, la Martinique a besoin de solutions innovantes et durables, pas de mesures extrêmes qui ne feraient qu’aggraver les problèmes existants.
En outre, la radicalisation des mouvements sociaux, loin d’apporter des solutions, ne fait qu’aggraver le délitement social et économique de l’île. Les blocages, les manifestations violentes et les revendications irréalistes ne peuvent que mener à une impasse, où tout le monde, des entreprises locales aux consommateurs, sortira perdant. Le moment est venu de sortir de cette logique de confrontation stérile et de renouer avec le dialogue.
Cette impasse politique et économique reflète une vacuité de la pensée intellectuelle dans la société martiniquaise. Le modèle de l’État-providence, bien que généreux, n’a pas su prévenir la montée des inégalités et de la pauvreté. Si une partie de la population martiniquaise bénéficie encore de nombreux avantages sociaux, notamment à travers des transferts publics importants , des niches fiscales et des subventions, une autre partie se débat dans la précarité. Cette inégalité alimente un discours populiste et exacerbe les tensions sociales, sans pour autant offrir de véritables solutions à court terme aux défis structurels de l’île.
La situation est d’autant plus complexe que la Martinique fait face à une fuite des talents. Les jeunes martiniquais, confrontés à un marché du travail bloqué, choisissent de plus en plus l’exil vers des horizons plus prometteurs, que ce soit en métropole ou à l’étranger. Cette « fuite des cerveaux » affaiblit encore davantage la capacité de l’île à se réinventer et à répondre aux défis du XXIe siècle.
Face à cette situation, la Martinique se trouve à un carrefour. La crise de la vie chère et la contestation sociale qui en découle ne sont que les symptômes d’un malaise plus profond. La société martiniquaise, en quête de repères, peine à trouver une voie d’avenir dans un monde en perpétuel changement. La radicalisation des mouvements sociaux, loin d’apporter des solutions, risque d’aggraver le délitement social et économique de l’île.
Il est urgent de repenser le modèle économique et social martiniquais. Le temps des subventions et de l’assistanat semble révolu, et la Martinique doit s’adapter à un monde où la compétition économique est de plus en plus rude. Cela passe par une refonte du modèle de développement, une réhabilitation de la valeur travail, et une réorientation des dépenses publiques vers des politiques publiques plus innovantes et durables.
Pour autant, tout n’est pas perdu. Comme le soulignait Paul Claudel, « le pire n’est pas toujours sûr ». Mais pour éviter le pire, il est impératif de sortir du piège du populisme et de la confrontation stérile. La Martinique doit réinventer son avenir en tenant compte des réalités économiques globales et en adoptant des réformes structurelles profondes. C’est à cette condition que l’île pourra espérer sortir de la crise et retrouver une dynamique de croissance et de prospérité. Dans tous les cas de figure, force est de constater que l’avenir de la Martinique ne peut se construire sur des blocages et des émeutes. Les acteurs économiques, politiques et sociaux de l’île doivent prendre la mesure des enjeux et agir de manière concertée pour éviter une crise structurelle encore plus grave. Le moment est venu de retrouver la raison, de sortir de cette impasse quichottesque et de travailler ensemble à une solution qui permettra à l’île de surmonter cette épreuve sans sombrer dans le chaos économique et politique. Si rien n’est fait, la Martinique risque de suivre le triste chemin de la Nouvelle-Calédonie, avec des conséquences irrémédiables pour son économie, sa stabilité sociale et son avenir en tant qu’entité politique aspirant à plus d’autonomie . Il est encore temps de changer de cap, mais la fenêtre d’opportunité risque de se refermer rapidement.
« An ladjè évè espwa a mal papay »
Traduction littérale : Un combat avec l’espoir du papayer mâle
Moralité : Espérer en vain ,car ce proverbe créole se rapporte au fait que le papayer mâle ne porte pas de fruit.
Jean-Marie No,l économiste