Lettre ouverte à propos du colloque Aimé Césaire
— Par Marie-Hélène Léotin —
La Collectivité Territoriale de Martinique a organisé, le 17 avril 2018, en salle de délibérations Camille Darsières, un colloque intitulé « Aimé Césaire, l’écrivain et l’homme politique ». Depuis cette date, la CTM et sa conseillère exécutive en charge de la culture, sont l’objet d’articles surprenants, pour ne pas dire effarants, émanant de l’organe d’un parti politique local. Pourtant, il était tout à fait normal qu’une institution majeure en Martinique rende hommage – c’est la première fois qu’elle le fait – à cet écrivain et cet homme politique incontournable qu’était Aimé Césaire dans notre XXe siècle martiniquais. Nous n’aurions rien fait à l’occasion du 10e anniversaire de sa mort, beaucoup de Martiniquais, je crois, nous l’auraient reproché. C’est une institution qui a organisé ce colloque, pas un parti politique ou des femmes et des hommes partisans. Ce sont des universitaires en grande partie qui sont intervenus. Ce colloque, même s’il n’était organisé que sur une seule journée, a revêtu un caractère scientifique et international.
La Conseillère exécutive en charge de la Culture, ancien professeur d’histoire et géographie en lycée, a dit, lors d’une interview, à propos de 1956 et de la rupture de Césaire avec le PCF, qu’en ce qui concerne les conséquences en Martinique, Césaire avait opté pour le choix de défendre la « cause noire » et qu’il avait quelque peu abandonné le prolétariat martiniquais. A la radio, on condense pour aller vite ; je parle de la cause du prolétariat et de ses revendications. En 1956, il y a de grandes luttes des ouvriers de la canne en Martinique ; les responsables syndicaux sont en train de préparer une convention collective de la canne afin d’améliorer et stabiliser les conditions de travail et de vie dans ce secteur où règne une exploitation féroce. Beaucoup de vieux travailleurs de cette époque, militants ou pas de la CGT et du PCM, peuvent apporter des témoignages sur le fait qu’ils ont été un peu « désorientés » par la démission d’Aimé Césaire du Parti Communiste. Nul ne peut nier que le mouvement ouvrier en Martinique a subi un coup de frein.
Je parlais de la lutte du prolétariat, et non du fait d’avoir donné quelques tôles, deux sacs de ciment, quelques pièces d’argent à une famille dans le besoin, ce qui est tout à fait normal de la part d’un maire. C’est un geste d’humanité. Emile Maurice a fait la même chose pour ses administrés dans sa commune de Saint-Joseph ; et pourtant, c’était un maire de droite !
Nous ne sommes pas au même niveau d’analyse et de langage.
Dans mes propos, il n’a jamais été dit que Césaire n’appartient pas au PPM. La phrase prononcée et répétée est : « pou yo pa konprann Sézè sé ta yo sèl ! ». Le « sèl » à la fin est important.
J’ai donné ma vision des choses, mon analyse ; elle repose sur une argumentation, des témoignages, des faits précis que je ne pouvais pas développer dans une émission radio. Je suis prête à confronter mon analyse avec celle d’autres historiens, en toute fraternité (l’histoire est une perpétuelle construction), mais pas avec des personnes partisanes qui n’ont à la bouche que des propos dithyrambiques. Il est bon qu’un professeur de lycée ait suffisamment de hauteur de vue pour admettre que l’on peut avoir un regard critique sur l’œuvre et l’action d’Aimé Césaire. Sinon, c’est la porte ouverte à la dictature vis-à-vis de la liberté de pensée d’un intellectuel. Dans les années 1930 en Allemagne, on faisait des autodafés !
La CTM, justement, a bien une politique culturelle qui s’appuie sur une idée forte : faire de la culture un facteur de développement favorisant l’avancée de notre conscience historique, la consolidation de notre conscience martiniquaise, un facteur d’élévation humaine afin de rendre nos sociétés meilleures. Dans son mot de condoléances, le 18 avril 2008, le président Alfred Marie-Jeanne écrivait : « Césaire a été un éveilleur de consciences. Que sa pensée continue à éveiller les consciences pour un avenir meilleur ». C’est en ce sens que nous avons organisé ce colloque.
Marie-Hélène Léotin
11 mai 2018
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