De l’audace, toujours de l’audace et encore de l’audace !
— Par Dominique Daeschler —
Costume bleu nuit adouci par une chemise liberty, léger flou dans les cheveux : Hubert Tassy, directeur général de la Saline Royale d’Arc et Senans, Centre Culturel de Rencontre, impose de suite , accent méridional à l’appui, l’image d’une élégance discrète et d’une courtoisie attentive, en harmonie avec un site conjuguant sobriété du bâti et ressources mises au service de l’innovation.
Du visionnaire Claude Nicolas Ledoux inventant une ville ( 1793) autour d’une manufacture de sel, Hubert Tassy a gardé la volonté de créer un système économique où jouent des complémentarités et la nécessité de ne pas vivre sur des acquis.
De nouveaux outils au service des visiteurs
Si l’histoire du lieu se décline entre expositions permanentes et musée, elle s’enrichit, en lien avec l’appartenance de la Saline au Patrimoine Mondial de l’Unesco d’un Centre des Lumières, pleinement ouvert aux arts numériques. Ce dernier permet de comprendre l’invention du Patrimoine Mondial architectural, naturel, culturel dans ses dimensions matérielles et immatérielles, grâce à la diffusion de films de façon immersive dans le bâtiment de la Berne Ouest. Un retour à aujourd’hui, dans un bâtiment tout proche avec une exposition sur la rénovation de Notre Dame de Paris, incite le visiteur à s’interroger sur les menaces de destruction et les façons de renaître . Cette pédagogie, en aller-retour entre hier et aujourd’hui est déclinée dans l’ensemble du projet de la Saline.
Plus prosaïquement une tablette Histopad en réalité augmentée et en onze langues offre une vision de la manufacture au 18e S, une table tactile dans le musée Ledoux, permet de découvrir à côté des nombreuses maquettes, son fondamental traité d’architecture. Enfin, l’exposition permanente Mémoires du lieu a été refondue avec dix dispositifs interactifs.
Le rôle de l’Association des Centres Culturels de Rencontre (ACCR)
Si l ’ACCR a joué un rôle majeur dans la constitution de ce réseau de lieux emblématiques du patrimoine industriel et dans la définition du projet initial de chacun, la labellisation des centres par l’Etat l’a, de fait, rendue moins corporatiste .Elle cible son action sur le développement européen. Un grand projet à Lausanne, peut aboutir à la création d’un nouveau Centre de Rencontre, développant des synergies avec la Saline.
La grande aventure du deuxième demi-cercle
Reprenant l’ambition de Ledoux de situer sa cité idéale dans un cercle immense, Hubert Tassy soumet un projet au Département du Doubs et à l’Etat. C’est Gilles Clément jardinier paysagiste qui en sera le sorcier. Roi des friches sophistiquées, il marie à sa guise des plantes, invente des lieux de vie et de rêve , trace des chemins de traverse. Se met en place un laboratoire de la diversité, appréhendant aussi la nature dans ses potentiels créatifs. Cela nourrit, avec la complicité de l’équipe jardin , la curiosité et l’éducation « au bon usage » de nombreux étudiants et écoliers. Se dessine l’idée d’une école du jardin planétaire avec la construction d’une serre géodésique bioclimatique permettant de fournir les légumes nécessaires au restaurant de la Saline : un circuit court qui lie aussi innovation et Economie, ce qui entre aussi dans le credo du projet de la Saline : lier Culture et Economie.
De la musique avant toute chose
Fort d’une expérience chevronnée dans le domaine de la musique et de la danse tant au sein de réseaux internationaux (notamment réseau méditerranéen d’académies de musique) que de villes ( Nice, Marseille) , de Département (Alpes Maritimes), d’institutions culturelles, Hubert Tassy la transpose à la Saline, conciliant réseaux et terrain. A la Saline le nombre (11) et l’immensité des bâtiments permet d’imaginer un projet musical de grande
ampleur. Alea jacta est ! C’est la Berne Est qui subira les assauts d’une transformation radicale : salle de concert de 570places, 1000 m2 de studios d’enregistrement et de répétitions. De quoi conjuguer création, diffusion, formation, transmission.
Pour commencer une résidence sur plusieurs années de Jordi Savall avec le Concert des Nations…avec un Grand Œuvre dans l’idée… Ce sera l’installation en longues sessions de l’Orchestre Français des Jeunes qui , en outre des équipements, bénéficie d’un apprentissage avec d’autres étudiants auprès de grands professionnels .
Last but not least : la constitution d’un catalogue raisonné d’interprétations musicales par des solistes reconnus d’œuvres majeures du répertoire (600 pièces numérisées, traduites en plusieurs langues). Ainsi un centre international d’enseignements et de services numériques musicaux est né (La Saline Royale Academy) permettant une large transmission dans le milieu musical.
Vous avez dit local
Plantée en plein champ, comment la Saline allie un souci d’excellence avec une reconnaissance et une fréquentation d’un public de proximité ? Beaucoup de projets s’adressent la jeunesse ( jardin planétaire, festival des jardins) .La création d’un opéra avec 200 enfants venus d’un quartier de Besançon utilisant le dispositif immersif du Centre des Lumières ouvrira les festivités d’été. La reprise, chaque année de Lux Salina son et lumière revu et corrigé, retrace l’histoire de la Saline avec des habitants des villages environnants. Les Nuits de la Saline, dans un esprit ludique mêlent plaisirs de bouche et visite d’exposition. Suivent le trail des deux salines, la foire aux plantes, le marché de Noël bien suivis par la population locale.
Comment se fait le lien avec les autres établissements culturels de la région ? Il reste encore frileux : pour beaucoup, la Saline semble vivre en autarcie et la perception d’un lieu essentiellement patrimonial semble la plus forte.
Un circuit culturel et économique
Chacun des bâtiments a une fonction précise dans le projet d’ensemble et contribue dans sa complémentarité à un mode de développement économique viable. De fait les possibilités d’une ville entre activités et équipements : musée Ledoux, librairie, Centre des Lumières, salle de spectacle, studios, hôtel, restaurant, Mémoires du lieu ,centre de congrès et de séminaires, salles d’exposition forment un circuit culturel et économique qui peut se vanter de 60% de recettes propres. Un partenariat avec les collectivités, principalement avec le département du Doubs, des mécènes, l’Etat , des donateurs individuels, des investisseurs privés assure le reste.
La cité de Ledoux vibre, invente dans l’air du temps. En ultime révérence, pour continuer à aller de l’avant, elle n’oublie pas la nécessité de la recherche avec un séminaire annuel de formation aux techniques numériques pour sauvegarder le patrimoine menacé.
Hier, aujourd’hui, demain : la vie.
Dominique Daeschler