— Par Jean-Marie Nol —
L’expression « la fleur au fusil » est apparue au XX ième siècle. Elle fait référence aux militaires français de la première guerre mondiale confiants en la victoire et insouciants, qui ornaient leurs canons de fleurs lors de leurs combats. De nos jours, cela désigne une attitude insouciante et naïve. La France traverse une période de turbulences politiques d’une intensité rare, et ses répercussions économiques, notamment pour les territoires d’outre-mer, se dessinent de manière inquiétante. Le gouvernement de Michel Barnier, fragilisé par une majorité introuvable et des concessions répétées à l’extrême droite, fait face à une motion de censure qui pourrait précipiter sa chute. Cette situation, au-delà de la crise institutionnelle qu’elle suscite, risque d’avoir des conséquences économiques et financières graves, particulièrement pour des départements comme la Guadeloupe et la Martinique, déjà marqués par des fragilités structurelles.
Le premier recours à l’article 49.3 par le gouvernement Barnier pour faire passer son budget 2025 a cristallisé les tensions. L’absence de soutien suffisant à l’Assemblée nationale, malgré les concessions faites sur des sujets comme les taxes sur l’électricité ou l’aide médicale d’État, a montré les limites de la stratégie gouvernementale. Même en s’engageant à maintenir le remboursement des médicaments, contre sa volonté initiale de réduire les taux de 5 %, Michel Barnier n’a pas su rallier à sa cause le Rassemblement National (RN) ni le Nouveau Front Populaire (NFP). Ces deux forces politiques ont annoncé leur intention de voter la motion de censure, mettant ainsi fin à l’aventure gouvernementale.
La perspective d’une censure du gouvernement soulève des interrogations majeures quant à la gestion des finances publiques. La reconduction, en 2025, d’un projet de loi de finances initialement imposé par un 49.3 en 2023 semble inévitable. Pour la Guadeloupe et la Martinique, déjà confrontées à des niveaux élevés de chômage, des déficits d’infrastructures, et une dépendance accrue aux aides de l’État, cette reconduction pourrait s’avérer catastrophique. Les réductions budgétaires probables dans les domaines de la santé, de l’éducation et des transports publics viendraient fragiliser davantage des économies insulaires déjà éprouvées.
L’une des mesures phares promises aux populations ultramarines, à savoir la baisse de la TVA dans le cadre de l’accord sur la vie chère, pourrait être compromise par l’absence de majorité parlementaire pour voter les dispositions nécessaires. Cette réforme, perçue comme une bouffée d’oxygène par les ménages guadeloupéens et martiniquais, risque de ne pas voir le jour, exacerbant le sentiment de défiance vis-à-vis de l’État central. Par ailleurs, les coupes budgétaires envisagées pour 2025 toucheraient probablement des secteurs vitaux pour ces territoires, comme la réforme de l’octroi de mer, les subventions au transport inter-îles ou encore les programmes d’accompagnement agricole. L’incertitude qui plane sur les finances publiques pourrait également ralentir les investissements dans ces départements, aggravant ainsi leur isolement économique.
Les marchés financiers n’ont pas tardé à réagir à cette instabilité politique. L’écart croissant entre les taux d’emprunt français et allemands reflète une perte de confiance des investisseurs dans la capacité de la France à maintenir ses engagements budgétaires. Pour les ultramarins, cela se traduit par une menace directe sur le coût de la vie : des importations plus chères en raison de la dépréciation de l’euro et une hausse probable des impôts pour les contribuables. Les 350 000 Français concernés par cette augmentation fiscale incluront sans doute de nombreux résidents de Guadeloupe et Martinique, où les foyers sont déjà lourdement impactés par les coûts élevés de l’énergie et des produits de première nécessité.La perspective de la chute du gouvernement de Michel Barnier et la crise politique qui en découlerait inquiètent profondément les marchés financiers, et leurs réactions pourraient entraîner des conséquences majeures pour l’économie française dans son ensemble. Une hausse des taux d’intérêt, déjà amorcée par l’élargissement de l’écart entre les obligations françaises et allemandes, aurait des implications particulièrement graves pour la Guadeloupe et la Martinique, deux territoires d’outre-mer dont les équilibres économiques et sociaux reposent en grande partie sur des financements publics et des emprunts à des taux favorables.
Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le coût de l’emprunt pour l’État se renchérit, et la charge de la dette s’alourdit. Dans le cas de la France, cela signifie que des ressources budgétaires, déjà limitées, devront être réaffectées au remboursement des intérêts plutôt qu’au financement de politiques publiques. Pour des départements comme la Guadeloupe et la Martinique, qui dépendent largement des dotations et subventions de l’État, une telle redistribution des priorités budgétaires se traduirait par une diminution des transferts financiers. Cette contraction budgétaire toucherait directement des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation, les infrastructures et les aides sociales, exacerbant des fragilités structurelles déjà présentes.
L’impact de cette hausse des taux ne se limiterait pas au secteur public. Les collectivités locales de la Guadeloupe et de la Martinique, souvent contraintes de recourir à l’emprunt pour financer leurs projets d’infrastructure, verraient également leurs coûts d’endettement augmenter. Cela pourrait ralentir, voire stopper, de nombreux projets nécessaires au développement local, tels que la modernisation des réseaux d’eau et d’électricité, la construction de logements sociaux ou encore le développement des infrastructures de transport. Une telle situation aurait pour effet de renforcer l’isolement économique de ces territoires, déjà confrontés à des défis géographiques et logistiques uniques.
Le secteur privé ne serait pas épargné par cette évolution. Dans un contexte de hausse des taux, les banques locales répercuteraient l’augmentation du coût de l’argent sur les entreprises et les ménages. Pour les entreprises martiniquaises et guadeloupéennes, notamment les petites et moyennes entreprises qui forment la colonne vertébrale de l’économie locale, l’accès au crédit deviendrait plus difficile et plus coûteux. Cela freinerait l’investissement, limiterait la création d’emplois et pourrait même entraîner des faillites dans les secteurs les plus fragiles, tels que l’agriculture et le commerce de détail.
Les ménages, de leur côté, subiraient également les effets de cette hausse des taux d’intérêt, notamment ceux qui ont contracté des emprunts immobiliers. Une augmentation des taux se traduirait par des mensualités plus élevées, mettant sous pression des budgets familiaux déjà souvent tendus en raison du coût élevé de la vie dans les territoires d’outre-mer. Cette situation risquerait d’aggraver les inégalités sociales et d’alimenter un mécontentement populaire croissant, rappelant les tensions sociales qui avaient éclaté lors des grandes grèves de 2009.
L’un des aspects les plus préoccupants de cette hausse des taux est son impact indirect sur le coût des importations. La Guadeloupe et la Martinique, comme la plupart des territoires insulaires, dépendent fortement des importations pour répondre à leurs besoins en biens de consommation courante, en équipements et en énergie. Une hausse des taux pourrait entraîner une dépréciation de l’euro, augmentant ainsi le prix des produits importés. Cela pèserait davantage sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier ceux des classes populaires, et amplifierait les revendications sociales autour des problématiques de vie chère.
En parallèle, la hausse des taux d’intérêt pourrait refroidir l’intérêt des investisseurs étrangers pour ces territoires, alors même que des efforts ont été déployés ces dernières années pour promouvoir la Guadeloupe et la Martinique comme des destinations attractives pour le tourisme, l’agro-industrie et les énergies renouvelables. Le climat d’instabilité économique et la hausse des coûts d’emprunt rendraient ces projets moins viables, compromettant les perspectives de diversification économique pourtant cruciales pour sortir de la dépendance aux transferts publics.
Enfin, les effets de la hausse des taux d’intérêt ne seraient pas uniquement économiques. Ils auraient également des répercussions sociales et politiques importantes. Dans des territoires où le taux de chômage reste élevé et où le sentiment d’abandon par l’État est déjà fort, une détérioration des conditions économiques risquerait d’aggraver les tensions sociales. Des mouvements de protestation, semblables à ceux qui avaient émergé dans le passé, pourraient se multiplier, rendant encore plus difficile la gestion de ces crises par les autorités locales et nationales.
En somme, la hausse des taux d’intérêt, conséquence probable de la chute du gouvernement Barnier, représenterait un véritable choc financier pour la Guadeloupe et la Martinique. Elle mettrait en péril leurs équilibres économiques, freinerait leur développement et alimenterait des tensions sociales déjà latentes. Ces territoires, pourtant déjà vulnérables, risquent de se retrouver en première ligne face à une crise dont ils ne sont pas à l’origine, mais qui pourrait profondément marquer leur avenir.
Dans ce contexte, une crise institutionnelle prolongée pourrait engendrer des retards dans le versement des dotations de l’État aux collectivités ultramarines, limitant leur capacité à financer des services publics essentiels. Les conséquences sociales seraient immédiates : un accroissement des tensions autour des questions de pouvoir d’achat, une aggravation des inégalités et une montée des mouvements de contestation. Ces territoires, où le souvenir des grandes grèves de 2009 reste vivace, pourraient connaître un regain de mobilisations face à l’incapacité de l’État à honorer ses engagements.
Les élus locaux de Guadeloupe et Martinique, bien que conscients de la gravité de la situation, se retrouvent dans une position difficile. Privés de garanties sur les financements à venir, ils peinent à anticiper les effets d’une absence de budget structurant. Certains envisagent déjà de faire pression sur le gouvernement pour obtenir des mécanismes de compensation, mais l’absence de marges de manœuvre financières au niveau national complique toute renégociation.
Ainsi, la chute probable du gouvernement Barnier et l’impasse budgétaire qui s’annonce auront des répercussions profondes sur les économies insulaires de la Guadeloupe et de la Martinique. Cette crise illustre une fois de plus la fragilité de ces territoires dans un contexte national et international incertain. Sans mesures spécifiques pour amortir l’impact de cette crise politique, les tensions économiques et sociales risquent de s’intensifier, laissant présager des lendemains difficiles pour ces départements d’outre-mer.
» La fèt fini, tout vyolon rangé dan sak »
Traduction littérale :
La fête est finie, tous les violons sont rangés dans le sac
Moralité : Il y a un temps pour toute chose .Le temps de l’insouciance est révolu, et qu’il est urgent d’en prendre enfin conscience.
Jean-Marie Nol, économiste