— Par Dominique Daeschler —
La reprise de Cendrillon au théâtre de la Porte St martin, spectacle créé en 201, nous fait entrer de plein pied dans l’univers de Joël Pommarat , fondé sur un travail entre imaginaire et réel, entre savants jeu de cache -cache, de détournements, de non-dit et de révélé.
Un monde poétique qui part de sa propre écriture où les contes ( cf. le Petit Chaperon Rouge Pinocchio) sont d’âpres morceau de vie où l’on part à la conquête de soi. Cendrillon n’échappe pas à la règle, en apprenant, entre autres, à faire son deuil et à faire « résilience ». Dans une langue qui ne craint pas d’être crue, familière ou cynique nos personnages sont pleins de défauts, le père de Cendrillon est lâche, le prince est un petit rondouillard un peu falot, indécis, réfugié dans le passé, Cendrillon toute au deuil de sa mère se laisse un temps manipuler par sa propre culpabilité et une soumission aux ordres de sa belle-mère …. Tous sont soumis aux mensonges …bref ils nous ressemblent dans leurs faiblesses, leurs doutes, leurs chagrins, leurs rêves ou leurs difficultés à communiquer. Le réel bouffera t’il l’imaginaire ou est-ce l’imaginaire qui engloutira le réel ? Que de vents contraires poussent avec malice la poésie à tout bousculer en gardant les pieds sur terre : abracadabra la fée se plante dans ses tours de magie, le perd sa chaussure que cendrillon récupère. Jeux de caprices ( les filles de la belle-mère) ,d’illusions ( la belle-mère), de soumission ( Cendrillon, le prince, le père de Cendrillon) : est-ce l’acte ou la parole qui libère les personnages ? A coup sûr le désir de vie efface le poids du deuil, la lâcheté. On est plus proche de Cyrulnik que de Bettelheim.
L’espace vide de la scène au sens brookien du terme est une boîte noire où les comédiens se meuvent un peu comme des marionnettes : distance physique et distance de la pensée, mouvements qui suggèrent, écran qui porte l’écrit, complétant le dire de la narratrice ( l’accent de Marcella Carrara introduit bien « l’ailleurs »), comme une fulgurance qui ne saurait s’installer comme vérité. Le temps semble en permanence suspendu à la lumière( Eric Boyer) qui met en scène, isole, allume ou éteint un mouvement, une émotion radicalise parfois sans jamais idéaliser.
Point de fin à l’eau de rose : le prince et Cendrillon resteront potes ,libérés tous deux du poids du deuil, le père s’évadera d’un mariage prison et la marâtre et ses filles resteront isolées dans leur maison de verre devenue inquiétante.
Le texte de Pommarat est porté par des comédiens chevronnés qui font vraiment équipe sur scène, rompus pour beaucoup à l’expérience cinématographique, créant à l’envi des silhouettes pour lâcher la bride à nos imaginaires. Une mention spéciale à Léa Millet, Cendrillon pleine de bagout et de répartie qui dit avec émotion la reconquête de soi.
Jusqu’au 17 juillet au théâtre de la porte Saint-Martin Paris
Dominique Daeschler