Débat public les 23 & 24 juillet 2020 au Kiosque Guédon à partir de 18h 30
Avant même la mort de George Floyd, des militants ont aussi dégradé et abattu des statues de Victor Schœlcher le 22 mai en Martinique, à l’occasion de la journée de commémoration de l’esclavage. Une action justifiée par des jeunes filles dans une vidéo de Martinique La Première : « Nous en avons assez, nous, jeunes Martiniquais, d’être entourés de symboles qui nous insultent ».
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« On peut y voir la volonté de contester le récit national autour de la figure de grands abolitionnistes blancs comme Schœlcher », explique François Durpaire. « Les abolitionnistes noirs, métisses, mulâtres sont beaucoup moins connus et reconnus alors qu’ils ont existé et eu un rôle déterminant… Quelqu’un comme Bissette par exemple, qui s’est engagé bien avant Schœlcher mais qu’on connaît beaucoup moins ».
Pour autant, est-ce que les militants mettent sur le même plan les esclavagistes et les abolitionnistes ? Ce n’est pas l’idée. Déboulonner ces statues revient à contester le récit actuel pour ceux qui n’ont pas les moyens d’écrire les livres d’Histoire. C’est une manière de se réapproprier leur propre histoire… Ont-ils raison ? L’historien n’est pas là pour porter des jugements de valeur mais je me souviens avoir croisé des touristes à Fort-de-France devant une statue de Schœlcher et l’un d’eux disant, ‘c’est celui qui a aboli l’esclavage’. En tant qu’historien, je peux apporter de la subtilité, dire que c’est plus complexe… Mais vous voyez le résultat. La solution peut aussi être d’apposer des plaques. – François Durpaire, historien.
« Le renversement des statues symbolise effectivement le renversement du récit historique », ajoute Myriam Cottias, historienne, spécialiste de l’esclavage, « un récit qui est attendu de la part des personnes qu’on appelle maintenant ‘racisées’, qui se sentent à la fois porteuses de cette Histoire et stigmatisées par celle-ci. Elles remettent en cause une histoire écrite du point de vue des dominants généralement (…). Pour autant, Schœlcher était un abolitionniste convaincu, même s’il plaidait plutôt pour une abolition graduelle dans les années 1830 avant de défendre une rupture définitive et radicale… C’est lui qui va vraiment chercher chaque signature pour que le décret soit édicté en 1848 au moment du début de la IIe République ».
Mais Schœlcher est aussi un homme de la IIIe République, député de la Martinique puis sénateur inamovible jusqu’à sa mort en 1893 : abolitionniste mais colonialiste. « Il a adhéré complètement à l’œuvre coloniale, à ce ‘devoir de civilisation’ dont se parait la France à cette époque », précise Myriam Cottias. « C’était la période d’Ernest Renan également, où l’on croyait à la hiérarchie des races ».
Réconcilier Histoire et mémoire
Pour autant, la Martinique a bel et bien fait un travail de mémoire, notamment grâce à Aimé Césaire, député de l’île de 1945 à 1993 et maire de Fort-de-France de 1945 à 2001. « Il était un anticolonialiste convaincu », explique Myriam Cottias, « et il a inscrit cette position dans l’espace public martiniquais. Vous trouvez par exemple le rond-point du Vietnam héroïque et d’autres noms de rue qui ont été changés à ce moment là ». Dans la même ville, la statue de Joséphine de Beauharnais est un autre exemple de discours historique pluriel : « Sa tête a été coupée par un groupe militant dans les années 1970. Elle était l’épouse de Napoléon, qui a rétabli l’esclavage après sa première abolition pendant la Révolution, elle était Martiniquaise et appartenait au clan des colons esclavagistes… Mais Aimé Césaire a eu la grande intelligence à mon sens de laisser la statue sans tête et de la recouvrir de peinture rouge, symbolisant le sang des esclaves, de l’offrir comme narration de l’Histoire de la Martinique. Je pense que cela interroge beaucoup plus qu’un vide ».
La figure de Schœlcher réactive également des ressentiments actuels. La domination économique des békés, ces propriétaires blancs pratiquant toujours l’endogamie, résonne avec l’indemnisation dont ont bénéficié les anciens maîtres d’esclaves à l’époque de l’abolition. Le scandale du chlordécone s’est aussi ajouté, du nom de ce pesticide ultra-toxique utilisé entre 1972 et 1993 dans la plupart des bananeraies, souvent aux mains des békés…
En tout cas, l’inventaire historique des lieux publics en lien avec le racisme n’est pas terminé. En 2019, la ville de Bordeaux (qui a prospéré comme Nantes et d’autres villes grâce à la traite négrière) a décidé d’apposer des plaques mentionnant le passé esclavagiste de personnes ayant donné leur nom à des rues. Le 8 juin, l’association Mémoire et Partages a aussi écrit une lettre ouverte au président de la République pour réclamer d’autres changements à Biarritz, La Rochelle, Le Havre et Marseille.
Source : France-Culture
Quand, où et qui ériger en statue ? . Le Sermac précise : « On ne veut pas juger, on ne veut pas prendre position sur les événements autour du démantèlement des statues de Victor Schœlcher. On veut juste poser la question de qui choisir et de la perdurance des statues dans le temps. » Un exemple ? « On peut se rendre compte une vingtaine, une cinquantaine, une centaine d’années plus tard que l’on a pu (ou pas) dresser une statue un peu vite sous l’effet médiatique ou sous l’effet d’une actualité brûlante ou à cause (grâce) à des événements ressentis comme forts (ressentis comme essentiels) à ce moment précis, à ce moment T. Mais que reste-t-il 20, 50, 200 ans plus tard à la fois de l’action elle-même, du symbole et/ou de l’homme ou de la femme statufié(e) ? 20, 50, 300 ans plus tard, quand la pression est retombée, on peut alors se demander s’il était judicieux d’avoir commandé la statue ? Comment choisir l’événement, qui choisir ? C’est ce genre de questions qui seront posées. »
Pour répondre à ces questionnements, le service culturel a invité sur deux jours, les maires de Martinique. « Tous les élus ont été invités, sourit le Sermac. Malheureusement tous ne pourront pas venir. Nous en attendons néanmoins un maximum… »
Source France-Antilles