— Par Yves-Léopold Monthieux —
Que les questions que posent le choix des statues à supprimer ou à ériger soit mises en débat relève de l’élémentaire exigence. On peut craindre cependant que la pression des évènements et la précipitation induite ne viennent altérer l’objectivité du débat et ne conduisent à une grande confusion. En l’espèce tout peut porter à controverse, même le nom du lieu où se déroulent en ce moment ces débats, le Kiosque Guédon. Lorsque ceux-ci mettent en scène des historiens il paraît souhaitable qu’ils s’expriment sur des faits, selon la méthode scientifique, avant d’en arriver aux conclusions. Une telle démarche est de nature à apaiser les passions dans un auditoire chauffé par une actualité puissamment orientée, surtout par les réseaux sociaux.
Myriam Cottias qui a rappelé avec justesse qui était Victor Schoelcher s’est, en revanche, laissée abuser par une fausse information. Est-ce dû à cette inclination dans l’écriture de l’histoire martiniquaise, à faire la part belle aux politiques ? Ce mercredi, devant un auditoire qui en redemandait, elle a fait crédit à Aimé Césaire d’avoir prolongé le geste iconoclaste subi par la statue de Joséphine de Beauharnais. C’est inexact. Le maire de Fort-de-France n’avait pas voulu « laisser la statue sans tête » et surtout pas « la recouvrir de peinture rouge ». D’ailleurs, on ne sache pas que cet homme de grande rigueur intellectuelle ait partagé la part accusatrice du « discours historique pluriel » dont parle Mme Cottias qui, hélas, n’en dit pas plus. Après une première décapitation, Césaire avait fait réparer la statue. A la deuxième il a baissé les bras, impuissant à empêcher de nouvelles tentatives et les badigeons successifs, dont celui de couleur rouge.
Une juste information eût empêché l’historienne de prêter à Césaire la volonté de « symboliser le sang des esclaves » et le geste « d’offrir [le résultat] comme narration de l’Histoire de la Martinique. » D’où son appréciation issue de la fausse prémisse : « Je pense que cela interroge beaucoup plus qu’un vide ».
Pour en revenir à Victor Schoelcher, Mme Cottias rappelle justement que l’abolitionniste « va vraiment chercher chaque signature pour que le décret soit édicté en 1848 ». Les rues de Fort-de-France portent les noms de pratiquement tous ces hommes réticents, y compris celui du premier d’entre eux, François Arago, qui avait été très sensible aux arguments des colons présents à Paris, et de leurs représentants. Supprimer le nom de Schoelcher de l’espace public devrait entraîner la disparition concomitante des patronymes de tous les membres du gouvernement provisoire de la IIème République.
Fort-de-France, le 23 juillet 2020
Yves-Léopold Monthieux