— Par Robert Saé —
Une question de dignité humaine
Le sieur Willy Lynch, qui avait élaboré une méthode destinée à semer la division entre les esclaves de sa plantation, était allé enseigner celle-là aux propriétaires étasuniens, leur expliquant que « la méfiance, le manque de confiance en soi, est plus efficace que le respect ou l’admiration. L’esclave noir, après avoir reçu ce lavage de cerveau, disait-il, perpétuera de lui-même et développera ces sentiments qui influenceront son comportement pendant des centaines voire des milliers d’années, sans que nous n’ayons plus besoin d’intervenir. »
Le psychiatre révolutionnaire, Frantz FANON, lui, a scientifiquement décortiqué le mécanisme de violence circulaire que génère l’oppression coloniale au sein des peuples soumis. Plus généralement, les travaux de la psychiatrie et de la psychologie ont largement montré comment, les violences, les désordres mentaux ou les dérèglements dans les relations humaines prennent souvent naissance dans les dysfonctionnements de la société.
C’est à travers ce prisme là qu’il faut lire de nombreux événements qui ont touché notre pays ces derniers temps et dont se délecte encore une partie de l’opinion publique. Une adolescente qui se suicide parce que des élèves ont fait circuler des images dégradantes d’elle sur le net. Des blogs qui s’acharnent à détruire la réputation de tel ou telle personnalité publique. Tout cela participe d’un véritable fléau qui, aujourd’hui, pervertit gravement les relations humaines. Les dommages causés sont d’autant plus graves que les nouvelles technologies de la communication mettent un énorme pouvoir de nuisance entre les mains d’une masse d’individus qui ne sont pas pleinement conscients des effets de leurs « publications ».
Avec une incroyable facilité, c’est quotidiennement que les addictes des écrans relaient, sans aucune vérification, les rumeurs répandues sur WhatsApp, les recettes miracles prétendant régler des problèmes de santé, les messages distillés par des organisations politiques, des lobbies ou des services secrets à des fins de désinformation et de propagande. Le conditionnement et l’aliénation conduisent ainsi de nombreuses personnes qui, pourtant, disposent de connaissances certaines et de grandes compétences, à s’enferrer dans des activités dont ils ne mesurent pas l’impact destructeur sur la vie de familles entières et sur la qualité des relations sociales dans notre pays. Le respect dû à la personne des autres ainsi que le respect de soi-même sont incompatibles avec de telles pratiques.
Aussi, s’agit-il de combattre la tentation malsaine de relayer des contenus qui détruisent des personnes, de s’interdire de « donner chaîne » à la lâcheté des lynchages, aux « débats » insignifiants, aux entreprises de dénigrement et aux « cancans », de refuser la complicité consistant à garder le silence en ne dénonçant pas les ignominies.
Quand on a conscience de l’ampleur des problèmes auxquels la Martinique et le monde entier sont confrontés, on choisit de mettre ses compétences en matière de communication au service de causes qui en vaillent la peine. On choisit de relayer des éléments d’information et de connaissance qui permettent de mieux comprendre la réalité et de contribuer à la lutte pour l’émancipation et pour l’épanouissement collectif.
Aimer notre peuple, avoir de l’empathie pour les victimes de l’oppression et de l’exploitation cela demande que nous nous engagions, chacun et chacune, dans le combat contre ce cancer du « makrélaj » globalisé qui ronge la société.
C’est vraiment d’une question de dignité humaine qu’il s’agit là !