— Par Jean-Marie Nom, économiste —
L’irruption à l’occasion du combat contre la vie chère d’une nouvelle idéologie populiste teintée d’accents nationalistes au sein de la société martiniquaise est un phénomène complexe qui trouve ses racines dans des dynamiques historiques, contemporaines , économiques et sociales spécifiques à la mutation politique de la Martinique. La montée du RPPRAC, une association de 5 personnes se proclamant porte-parole des intérêts populaires, s’inscrit dans une logique de rupture avec l’ordre établi, en particulier la classe politique traditionnelle et le mouvement syndical, souvent perçus comme incapables de répondre aux besoins urgents de la population. Les causes de ce mouvement sont multiples, tout comme ses conséquences, qui se manifestent à travers des bouleversements dans l’équilibre institutionnel, sociétal, économique, politique et social de l’île.
La première cause de l’émergence de ce mouvement réside dans la crise économique et sociale latente qui frappe la Martinique depuis plusieurs décennies et plus récemment depuis le COVID et la spirale inflationniste . Cette crise aujourd’hui sous -jacente conjuguée à la mutation technologique de la société martiniquaise a conduit à une paupérisation de la classe moyenne mais surtout à une augmentation du chômage et à une précarisation chez les jeunes, qui atteint aujourd’hui des taux alarmants, tandis que le coût de la vie continue d’augmenter. La précarité et la difficulté d’accès aux biens de consommation courante nourrissent un sentiment de frustration généralisée, surtout parmi les couches les plus vulnérables de la population. Le décalage entre la réalité sociale martiniquaise et les discours politiques traditionnels, souvent perçus comme éloignés des préoccupations quotidiennes des citoyens , a favorisé l’apparition de discours radicaux.
Le RPPRAC a su capitaliser sur ce mécontentement populaire, qu’il a perçu avant d’autres, en se présentant comme un mouvement populaire alternatif capable d’apporter des réponses immédiates et concrètes aux problèmes de la vie chère. En s’autoproclamant représentant du peuple, il s’érige en contre-pouvoir face à l’État français et aux institutions locales, qu’il juge inefficaces , dépassées et corrompues. Le populisme, dans ce contexte, se nourrit d’une critique virulente pour l’instant à mots couverts des élites politiques et économiques, accusées d’avoir abandonné les intérêts du peuple martiniquais au profit de leurs propres privilèges. C’est l’expression même de cette décision sans surprise de ne pas signer le protocole d’accord sur la vie chère.
La question identitaire joue également un rôle central dans l’irruption de ce mouvement populiste. La Martinique, une collectivité qui demeure dans les faits quoiqu’il en soit un département français d’outre-mer, a une relation psychologique complexe de défiance avec l’Hexagone . D’un côté, l’attachement à la France, en tant que garant d’un certain niveau de vie et de certaines formes de stabilité matérielles, reste fort ; de l’autre, le ressentiment lié à un passé esclavagiste , voire plus proche colonialiste et aux disparités économiques et sociales encore présentes alimente une revendication d’émancipation. Le populisme – nationalisme martiniquais, tel qu’incarné aujourd’hui par le RPPRAC, s’appuie sur cette double dynamique : d’une part, il dénonce la domination économique et culturelle de la « métropole » ainsi que de la communauté des békés, d’autre part, il cherche à réhabiliter une identité martiniquaise autonome, fondée sur des valeurs et des traditions locales. Le populisme martiniquais trouve ainsi un écho dans des revendications de type nationalistes qui contestent en filigrane l’ordre postcolonial.
L’irruption de ce populisme-nationalisme dans le paysage politique martiniquais a des conséquences profondes. D’une part, il bouleverse les équilibres politiques traditionnels. La classe politique en place, habituée à une relative stabilité et à des relations consensuelles avec la France hexagonale , se trouve déstabilisée par un mouvement citoyen qui rejette les compromis habituels. Le RPPRAC, en s’attaquant frontalement à l’État français et à l’establishment local , bouscule non seulement les partis traditionnels, mais aussi les syndicats, longtemps perçus comme les représentants des classes populaires. En se plaçant en opposition à ces derniers dès le début de la mobilisation contre la vie chère , le mouvement populiste redéfinit les lignes de fracture au sein de la société martiniquaise.
Par ailleurs , ce populisme exacerbe les tensions identitaires et sociales. Les manifestations, parfois violentes, qui ont secoué la Martinique récemment sont en partie le résultat de cette radicalisation d’un discours économique mâtiné de politique. En attisant la colère populaire et en mobilisant contre les élites békés, le RPPRAC contribue à une polarisation croissante de la société. Cette montée de la violence reflète le malaise profond qui traverse une partie de la population, mais elle menace également la cohésion sociale de l’île. Si le populisme permet de canaliser une forme de contestation, il pose aussi la question de la durabilité de ce type de mobilisation : que se passera-t-il si le mouvement ne parvient pas à transformer cette colère en résultats concrets ?
Enfin, l’irruption du populisme-nationalisme en Martinique pose des défis importants pour l’avenir politique de l’île. Elle soulève des questions sur la capacité des institutions locales à répondre aux aspirations populaires à travers une autonomie et à intégrer ces nouvelles forces politiques dans un cadre démocratique. L’enjeu est de savoir si le RPPRAC et d’autres mouvements similaires en gestation pourront s’inscrire dans un processus de dialogue institutionnel, ou si, au contraire, ils choisiront de rester en marge, exacerbant ainsi la confrontation. Le risque, à terme, est que cette montée du populisme conduise à un renforcement de l’instabilité économique ,politique et sociale, rendant plus difficile la résolution des problèmes structurels qui affectent la Martinique.
En définitive , l’émergence du populisme teinté de nationalisme à travers la présence du RPPRAC en Martinique s’explique par un ensemble de facteurs économiques, sociaux et identitaires qui ne sont cependant pas propre à la Martinique. Le populisme est un phénomène politique qui remonte à plusieurs siècles et prend des formes variées selon les contextes historiques et géographiques. Au cœur du populisme, on trouve l’idée d’une opposition entre « le peuple » et une « élite » corrompue à la solde d’une puissance dominante ou détachée des réalités populaires. Ce discours de polarisation, centré sur la défense des intérêts du peuple ordinaire contre les privilèges des élites, est une constante du populisme, bien que ses manifestations et idéologies puissent différer.
Le terme « populisme » est souvent utilisé de manière péjorative, mais historiquement, il trouve son origine dans des mouvements qui revendiquaient une plus grande participation populaire aux décisions économiques et politiques.
Ce mouvement visait à redistribuer les richesses et à freiner l’influence des grandes entreprises dans la politique.
Au 20e siècle, le populisme a pris des formes plus diverses et plus polarisantes, avec des figures comme Juan Perón en Argentine, qui a rallié les classes populaires et les travailleurs contre l’establishment argentin, ou encore Hugo Chávez au Venezuela, qui a dénoncé les élites économiques et politiques tout en établissant un gouvernement « pour le peuple » dans un cadre socialiste. Dans ce cas de figure le populisme et le nationalisme partagent souvent une base commune : la revendication d’une identité collective, souvent contre des « autres » perçus comme étrangers ou hostiles aux intérêts du peuple. Cette synergie repose sur plusieurs dynamiques telles que la construction d’une identité nationale unifiée : Le populisme, comme le nationalisme, se fonde sur l’idée d’une unité nationale ou d’un groupe homogène qu’il prétend représenter. Dans ce cadre, « le peuple » est souvent défini en termes ethniques, culturels ou religieux, en opposition à une élite cosmopolite ou à des groupes considérés comme étrangers . Cette dynamique est particulièrement visible dans des pays ayant une forte tradition nationaliste, où le populisme instrumentalise le sentiment national pour fédérer des soutiens. Leur populisme était fortement lié à un nationalisme ethnique et expansionniste, qui rejetait non seulement les élites, mais aussi les étrangers ou les minorités perçues comme des menaces pour l’unité culturelle .
De plus dans le monde contemporain, l’interaction entre populisme et nationalisme s’est intensifiée avec les effets de la mondialisation. Le discours populiste, qui défend un retour à la souveraineté populaire, trouve souvent une résonance dans le nationalisme qui défend la préservation du foncier , en particulier dans les pays où l’immigration et la perte de contrôle perçue sur les frontières sont des sujets d’inquiétude.
Le phénomène du Brexit en 2016, au Royaume-Uni, est un exemple où le populisme a embrassé le nationalisme pour revendiquer une reprise de contrôle face aux règles européennes jugées nuisibles aux intérêts britanniques. La campagne du Brexit a été marquée par un rejet des « élites bruxelloises » et des politiques d’immigration, au nom de la souveraineté nationale.
Et pour clore ce chapitre, il est important de noter que le populisme peut être utilisé à la fois par la gauche et la droite, et son interaction avec le nationalisme varie en conséquence. Alors que le populisme de gauche à l’instar de la Martinique et la Guadeloupe tend à se concentrer sur les inégalités économiques et à dénoncer l’influence des multinationales et des élites économiques internationales, le populisme de droite se focalise plus souvent sur la protection des frontières et l’identité nationale.
Lorsque le populisme s’associe au nationalisme, les conséquences peuvent être variées, mais elles tendent à exacerber les divisions internes et à fragiliser la cohésion nationale. D’un côté, le populisme nationaliste peut réussir à mobiliser des pans entiers de la population et à remettre en question des structures politiques rigides ou peu représentatives. Cela a été le cas de figure en Guadeloupe ,car il répondait à des aspirations réelles en redonnant au peuple notamment la classe paysanne un sentiment d’appartenance et de contrôle sur son avenir à travers la possession des terres .
Cependant, il existe des risques importants, notamment l’exclusion des minorités comme les blancs créoles et les békés et la montée de la xénophobie à l’encontre des métropolitains . En redéfinissant le peuple en termes ethniques ou culturels, le populisme nationaliste peut encourager des demandes de politiques discriminatoires notamment au niveau de l’emploi ou encore du foncier . En somme, l’interaction entre populisme et nationalisme est un phénomène récurrent dans l’histoire, qui reflète souvent des moments de crise et de remise en question de l’ordre politique établi. Si cette combinaison peut représenter une réponse à des frustrations légitimes, elle peut également conduire à des dérives violentes voire à des prémisses d’une société autoritaire et à une fragmentation de la société sur une base raciale . C’est exactement ce qui s’est produit en Haïti avec la politique noiriste de Duvalier dit papa Doc .
Face à une classe politique et syndicale jugée inadaptée aux réalités locales, le RPPRAC a su capter le mécontentement populaire en se posant comme une alternative radicale. Ses conséquences sont multiples : bouleversement du paysage politique, exacerbation des tensions sociales, et remise en question des modes de gouvernance traditionnels. Reste à savoir si ce mouvement saura dans l’avenir faire irruption sur la scène politique de la Martinique et transformer ses revendications en réformes concrètes ou s’il continuera à alimenter un climat de confrontation durable avec l’État français sur la base de revendications autonomistes avec pour perspectives plus lointaine une autre étape vers l’indépendance de la Martinique. Étape qui devrait se concrétiser avec une coalition d’alliance sur la base d’une recomposition du paysage politique Martiniquais. Nul doute que nous serons bientôt confrontés demain à une vague populiste qui emportera l’adhésion de l’opinion avec un message très simple : « N’écoutez pas les élites économiques , financières, et surtout politiques, car ils veulent que vous fassiez des sacrifices et vous serez perdants, donc changeons le système au besoin par la violence et le désespoir des jeunes . C’est un discours qui nous emmène aux Antilles vers la catastrophe, mais je pense que si on veut le contrer et gagner en rationalité de la pensée , il faut que nous aussi économistes et sociologiques, nous ayons un message simple de bon sens populaire, et que nous soyons stratégiques dans l’action de changer le modèle économique de la Martinique et de la Guadeloupe.
« Bon kok ka chanté an tout’ poulayé »
Traduction littérale : Un bon coq chante dans tous les poulaillers.
Moralité : Il faut savoir s’imposer partout dans le débat économique comme politique.
Jean-Marie Nol, économiste