— Par Roland Sabra —
1981. Avignon. Théâtre la Condition des Soies. La danse du diable fait ses premiers pas sur un chemin qui n’en finit pas et qui passait ces temps-ci par le Tropiques-Atrium de Fort-de-France. Le spectacle a pris du poids. Le comédien aussi. Tout comme le vin bien né il se bonifie avec le temps pour le bonheur des oenophiles mais ceux-ci se font plus rares.
La vie du personnage, Ferdinand Faure né en 1950 est croquée à trois âges de sa vie, cinq, dix et dix-huit ans, par sa mère Claudine, une marseillaise, fichu sur la tête, missel à la main, un peu sorcière, pétainiste, gaulliste, mauriacienne, anti-communiste, qui écoute le jeu des 1000 francs animé par Roger Lanzac puis Lucien Jeunesse, qui déforme obstinément les mots venus de l’empire du mal, l’URSS, qui dit goulash pour goulag, qui ridiculise les noms de Soljenitsyne ou de Mnouchkine . Claudine a trois enfants, Ferdinand qu’elle persécute d’un amour aussi ambivalent qu’il est envahissant, Isabelle qu’elle renvoie pour un oui pour un non dans sa chambre ou dans la garrigue se faire les mollets en « pataugas » , et un petit dernier, Pascal, un trésor, dont on ne saura pas grand chose. Parmi les idoles de Ferdinand on rencontre Johnny Hallyday et Gérard Philippe. Il veut devenir acteur…
Le récit est bien sûr autobiographique au plus près de la réalité. Philippe Caubère a eu une sœur comédienne Isabelle Caubère décédée il y a peu et un frère Pascal Caubère directeur de la photographie toujours en vie. Ce qui impressionne dans la performance de Philippe Caubère c’est la maîtrise, l’immense talent du comédien qui joue ses gammes de l’improvisation, du mime, de la Commedia dell’ arte avec un naturel qui cache un gigantesque travail d’apprentissage, de répétition, de recherche, un ouvrage sans cesse remis sur le métier. Si le geste est moins franc quelques fois plus raide si le pantalon ayant du mal à tenir sur le ventre glisse un peu trop souvent et génère un tic répétitif, la générosité est toujours là, envahissante et communicative. Ferdinand Faure/Caubère n’a plus peur de rien. Il improvise, adapte son texte, se plante, se rattrape, fait la promotion de ses DVD, enchaîne, zappe, hypnotise et raconte encore et encore. Quelle leçon !
Le propos, l’enfance d’un baby-boomer, issu des classes moyennes a un contenu fortement autoréférentiel. Qui de la jeune génération reconnaît la voix rocailleuse de Mauriac, celle caverneuse de Malraux ? Qui se souvient des héros cyclistes du Tour de France des années 60-70 ? Qui a encore en mémoire les parlers des animateurs radio de ces époques ? Le public de Caubère ! Celui qui a rempli la salle Frantz Fanon ! Ce public d’ « intellectuels pourris » comme les appelle Claudine, ces fonctionnaires, ces théâtreux qui passaient leurs vacances en Avignon dans le dernier quart du siècle dernier. Ce public de la même génération que Caubère qui redécouvre à mi-mot, à mi-posture les bonheurs et les peines, les engouements et les détestions, les amours et les haines d’une jeunesse enterrée et enfouie sous tant de petits compromis et même parfois de reniements honteux, ce public donc, très franco-français au bout du compte, se re-connaissait dans ce qu’il entendait. L’espace de deux soirs il s’est souvenu de ce qu’il avait été. Les applaudissements n’en ont été que plus nourris. Les élèves de la section théâtre du lycée Schoelcher présents dans la salle s’ils ont été séduits, captivés par la performance du comédien ont semblé parfois perdus et sans repères dans la liste égrenée des personnalités convoquées sur scène. Ce monde n’est plus le leur, mais ils auront appris.
Fort-de-France, le 27-02-2016
R.S.