— Par Isis Labeau-Caberia —
Les réactions extrêmement critiques qui ont déferlé suite au déboulonnement des statues de Victor Schœlcher sont symptomatiques de deux maux qui gangrènent la société martiniquaise : d’une part, son inertie face à un héritage colonial encore vivace ; d’autre part, le fossé grandissant entre une société vieillissante et embourgeoisée et sa jeunesse réclamant le changement social.
Le 22 mai 2020, de jeunes militant.es martiniquais.es procédaient au déboulonnement de deux statues de Victor Schœlcher, s’attaquant ainsi aux représentations de celui qui, depuis la IIe République, a été systématiquement érigé en symbole paternaliste de la « générosité » de l’État français à l’égard des esclaves de ses colonies. En choisissant cette date hautement symbolique du 22 mai — jour de commémoration du soulèvement servile qui, le 23 mai 1848, contraignit le gouverneur local à proclamer l’abolition immédiate de l’esclavage sur l’île et ce, avant même l’entrée en vigueur du décret d’abolition adopté le 27 avril à Paris — ces militant.es envoyaient un message fort : il s’agissait de dénoncer le récit colonial et assimilationiste d’une abolition « par le haut », un récit répété ad nauseam depuis 1848 et qui continue à ce jour à occuper une place centrale (voire exclusive) dans le champ de la mémoire officielle de l’esclavage, au détriment de la longue histoire des luttes serviles.