L’entretien
LAURENT ETRE
Médaille d’argent du CNRS en 2012, Bernard Lahire n’est pas pour autant un sociologue consensuel, et ne cherche surtout pas à l’être. dans une discipline qui a toujours eu tendance à assimiler le social au collectif, son effort pour produire une « sociologie des individus » ne laisse pas indifférent. Certains collègues ont pu lui reprocher d’effacer le rôle des classes. il s’en défend ardemment.
Pour caractériser l’individu, vous utilisez la métaphore d’une feuille de papier froissée, la feuille en elle-même représentant le social. Voulez-vous dire par là que les pensées et émotions de l’individu relèvent exclusivement du social et qu’il n’y a donc aucun « libre arbitre » ?
Bernard Lahire. Tout à fait ! Je comprends qu’à l’état brut, cette thèse puisse générer une inquiétude chez les spécialistes du psychisme. S’il n’y a que du social, si les individus ne sont que de l’extérieur à l’état plié, ils peuvent être amenés à se demander ce qu’il leur reste comme objet d’étude. Dissipons d’emblée cette inquiétude. Mon propos n’est pas de nier l’apport des disciplines centrées sur le psychisme, mais simplement de montrer que les sciences sociales ont le droit d’étudier les réalités individuelles.