— Par Robert Berrouët-Oriol, Linguiste-terminologue —
L’État haïtien, de 1804 à 2017, est-il intervenu de manière institutionnelle dans le champ linguistique ? En a-t-il d’ailleurs eu le projet, dès le 1er janvier 1804, à la création de la République d’Haïti ? Des premiers débats sur la graphie du créole au cours des années 1940 en passant par la réforme Bernard des années 1980, puis à la création hors-État, prématurée et fort discutable au plan jurilinguistique de l’Akademi kreyòl ayisyen, peut-on parler de tâtonnements, de mutations significatives ou de conquêtes ? Quels sont aujourd’hui les grands défis d’Haïti en matière d’aménagement des deux langues officielles du pays ?
Dans le livre de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » (Cidihca et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011) –comme dans celui coécrit avec le linguiste Hugues Saint-Fort, « La question linguistique haïtienne / Textes choisis », Éditions Zémès, juin 2017–, nous avons posé que les données de la configuration sociolinguistique d’Haïti doivent être comprises à la lumière du mode de constitution de l’É́tat en 1804. Les Pères de la patrie, au moment où ils signaient en français l’Acte de l’Indépendance –premier document officiel du patrimoine linguistique et littéraire d’Haïti–, n’avaient dans leur vision du monde que le modèle politique, culturel et économique des puissances coloniales européennes.