Catégorie : Jean-Durosier Desrivières

Sur tant de chemins, Georges Castera fils (1936-2020)1

— Par Jean-Durosier Desrivières,—

Georges mouri. Mezanmi, pa gen bouch.2 Ne reste que l’encre, sa demeure. Et sa voix, réelle ou à fleur d’encre. Des mots donc, pour nous guider sur tant de chemins hantés par l’homme, le poète… Pour retrouver son esprit, son style, son goût de vivre…

Sur les chemins des langues

De toujours, il a embrassé ses deux langues – créole, français, qui l’ont tellement embrasé en retour, lui, Georges Castera fils, l’enfant qui a grandi avec « de grandes taches d’encre au cœur » (Ratures d’un miroir)3, au mitan d’un Port-au-Prince qui misait peu sur cet insolite duo linguistique-littéraire dans le paysage haïtien. Ecrivant dans la pureté de chacune de ses deux langues, il a pratiqué toute sa vie un bilinguisme d’autonomie. Au compteur : une dizaine d’ouvrages en français, plus d’une vingtaine en créole.

Jamais de mélange. Sinon quelques suggestions entre les lignes, quand l’une de ses langues se met à murmurer sous l’autre langue :

« …la mort fait mouche

sans jeu de mots

le bilinguisme entre les cuisses »

(« La lettre sur mer », Les cinq lettres)4

→   Lire Plus

Lectures : « La Jupe de la rue Git-le-cœur » de J.-D. Desrivières ; « Frantz » de M. Herland 

Vendredi 30 juin, 20 heures – à L’Œuf-Maison d’artistes, rue Garnier Pagès, Fort-de-France

Jean-Durosier Desrivières revisite « l’audience »

Jean-Durosier Desrivières est connu comme poète, avec deux recueils publiés chez Caractères (2). Il est également l’auteur, pour le théâtre, de deux pièces brèves (3). La jupe de la rue Gît-le-Cœur met en scène deux personnages, « l’écrivain » et « l’audienceur », sans qu’il y ait pour autant dialogue, la dérive verbale du premier – qui accompagne sa dérive pédestre au quartier latin, en quête des bureaux de l’éditeur auquel il entend proposer un manuscrit – nourrissant les propos de l’audienceur, une figure de la société haïtienne, pas tout-à-fait un conteur, plutôt un affabulateur qui brode à loisir sur des faits réels.

Le monologue de l’écrivain s’alimente à plusieurs sources, parmi lesquelles la topographie du quartier latin, bien sûr, mais encore les passants et surtout les passantes dont il remarque qu’elles sont toutes, ou presque, en ce printemps, vêtues des mêmes pantalons blancs (« Trop de pantalons blancs, me suis-je dit. Et trop de mauvaise fesses dans ces pantalons blancs.

→   Lire Plus

Une écriture résolument actuelle

— Par Roland Sabra —

« La jupe de la rue Gît-le-Coeur » de Jean-Durosier Desrivières.

Si l’on en croit l’auteur, et il n’y a aucune raison de ne pas le faire, l’audience (l’odyans) est une forme narrative qui si elle emprunte au conte dans sa forme oralitaire, s’en éloigne définitivement dans son contenu par son ancrage dans une réalité vraie pourrait-on dire. Dans son dernier opus «  La jupe de la rue Gît-le-Coeur » il nous propose une confrontation entre un « audienceur » et un écrivain. Quand l’un décrit, l’autre écrit. Quand l’un est reporter, l’autre est prosateur. Sauf que la prétendue réalité n’existe pas en dehors des mots qui la construisent.

Un écrivain se balade, une ballade dans la tête. Toujours dans la tête. Une chanson d’un autre écrivain, Allen Ginsberg. Brusquement il se sent entouré par une multitude de femmes en pantalons blancs. Troublé il se perd dans les rues étroites du Quartier Latin. Il demande son chemin à une femme en pantalon bleu, puis à une autre toujours en pantalon mais de nouveau de couleur blanche…

→   Lire Plus

Mise en orbite d’un beau conflit…

 la_luneJean-Durosier Desrivières

Mise en orbite d’un beau conflit1

« La vraie civilisation est du domaine de l’obsession.

La civilisation est une idée absurde qui, sentie et vécue intégralement,

par là-même, et par là-même seulement, devient vrai.

Je prêche l’obsession.

Le vrai idéal : la femme « possédée ».

[…]

Je fais appel aux Enragés. »

Aimé Césaire, « Appel au magicien ».

J’ai longtemps habité la lune, bien avant de savoir que ce n’était point ma demeure légitime, bien avant de savoir qu’elle n’était qu’une danseuse extravagante, la lune, entrainant ma tête dans les rondes de ses quartiers tournants autour de la terre, bien avant de savoir que par amour pour elle, des hommes avaient posé leurs pieds sur sa rondeur rêche, à la manière d’un préliminaire, tout en prévoyant d’en faire, dans un temps prochain et bienheureux, un bordel exemplaire, mieux que la terre…

→   Lire Plus

La jupe de la rue Gît-le-Coeur

la_jupe_jddLa jupe de la rue Gît-le-Coeur

Théâtre comme audience d’un petit roman

de Jean-Durosier DESRIVIERES

Prix Spécial du Jury Etc_caraïbe 2013

Synopsis:

Déambulant dans Paris, du côté de Saint-André des Arts, un écrivain tourmenté, apparemment démodé, dévoile son étrange histoire. Jusqu’à quel point le poème d’Allen Ginsberg qui l’accompagne apaisera-t-il ses pensées et ses humeurs, nourries des sanglantes actualités du monde et de l’insupportable réalité de la ville ? Par étourderie, il se trompe de rue, et brusquement l’image ou le mirage d’une jupe le fait basculer dans un autre espace-temps… Qu’adviendra-t-il de lui ?

→   Lire Plus

L’Incertain témoigne de la fécondité littéraire des Antilles

L Incertain n1Par Selim Lander – Au temps des tablettes et des liseuses, une jeune maison d’édition martiniquaise lance une « revue de création littéraire et critique », sous la forme de petits livres au format de poche (1). L’avenir seul dira si la présentation adoptée par les copistes du Moyen Âge (une liasse de feuilles de même dimension) et continuée depuis sans autres changements que dans les techniques de fabrication, est condamnée à disparaître au profit d’autres supports. En attendant, les chiffres montrent que le papier résiste, car, même s’il est loin de disposer de la capacité de stockage des instruments modernes, il offre un confort de lecture jusqu’ici inégalé. La question de la capacité, au demeurant, importe peu à la plupart des lecteurs qui se satisfont de lire un livre à la fois et n’ont nul besoin de transporter en permanence une bibliothèque avec eux ! Si elle maintient son exigence de qualité, L’Incertain mérite donc d’échapper au sort de tant d’autres revues littéraires créées dans l’enthousiasme mais n’ayant connu qu’une existence éphémère. 

→   Lire Plus

« Vis-à-vis de mes envers » suivi de « Le poème de Grenoble » de Jean-Durosier DESRIVIERES

 j_d_d_rLe poète haïtien Jean-Durosier Desrivières signe aux éditions « Le teneur » un magnifique recueil de poésies, préfacé par Roger Toumson et illustré par l’artiste-peintre Bernard Thomas-Roudeix.

Le nouveau livre de Jean-Durosier Desrivières est un recueil de compositions poétiques se présentant telle une corne d’abondance, d’une époustouflante richesse métrique et rythmique, totalement exigeant, captivant et convaincant. Vis-à-vis de mes envers, divisé en quatre grandes parties, traduit les faces multiples du poète et de son art qui entre en dialogue avec les dessins hautement expressifs et significatifs de Bernard Thomas-Roudeix. Le poème de Grenoble n’est qu’une trace des fraîcheurs de l’errance urbaine du poète haïtien dans cette ville qui s’ouvre et s’offre à lui dans un contexte post-séisme. L’écrivain et universitaire, Roger Toumson, pose ainsi son cachet sur l’ouvrage, dans une préface éclairante : « Constamment sur le qui-vive, poète de l’urgence, Jean-Durosier Desrivières […] s’est d’emblée distingué sur la scène des nouvelles semences littéraires par son audace : pensée ardente, éloquence batailleuse. »

→   Lire Plus

Les lettre haïtiennes, vivement, de la France à l’Italie

Reportage

–__-

De gauche à droite: James noël, Robert Berrouët-Oriol, Yves Chemla, Jean-Durosier Desrivières, Anthony Phelps et Joël Des Rosiers, Salon du livre de Paris, stand de la Librairie du sud

 Par Robert Berrouët-Oriol

Linguiste-terminologue

 Montréal, le 4 avril 2012

Il est des temps de haute-lisse qui se tissent et s’engravent rive gauche de la mémoire… Mon dernier séjour en Europe, à l’aune d’une hospitalité de tous les instants, a été de cette cuvée –et je me réjouis que les Lettres haïtiennes en fussent le faîtage. Avec bonheur, j’ai encore une fois arpenté les venelles du Salon du livre de Paris, Porte de Versailles, du 16 au 19 mars 2012. Auteur invité par la Région Bretagne à la version 2012 de ce Salon, j’y étais, au stand de cette Région, en dédicace pour le livre « Poème du décours » (Éditions Triptyque et Prix du livre insulaire 2010 à Ouessant, France), ainsi que pour la réédition de « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » (Éditions du CIDIHCA et Éditions de l’Université d’État d’Haïti).

 

D’aucuns posent que le Salon du livre de Paris est l’un des deux plus importants événements mondiaux de ce champ… Alors faut-il parler chiffres ?

→   Lire Plus

Le « Nous » haïtien / Le « Nous » martiniquais ?

— Par Jean-Durosier Desrivières —

Note : Cet article a été publié initialement dans les colonnes du quotidien haïtien Le Nouvelliste au cours de l’année 2001 sous le titre originel : « Une mémoire en colère ». Il est diffusé ici, pour mémoire, après de légères corrections et amputations.

 

Le Comité Devoir de Mémoire Martinique, sous l’égide de Médecins du Monde, a fait de l’Atrium de Fort-de-France, le 2 mai 2001, le siège d’un colloque intitulé : « Histoire et mémoire des sociétés post-esclavagistes… ou … La révolte contre l’oubli ». C’est dans ce cadre que s’inscrit « Une mémoire en colère », la communication de l’historien haïtien Pierre Buteau, laquelle a interpellé ses pairs historiens, politiciens, professeurs d’histoire et amateurs curieux des problématiques de la région caribéenne, constituant l’humble assistance. Comment saisir les rapports que les haïtiens entretiennent avec les lieux de mémoire, avec le passé et le présent ? Telle est la question fondamentale qui, selon nous, se dégage de l’exposé du « mémorialiste ».

→   Lire Plus

Desrivières, poète créole.

— Par Michel Herland.—

 Jean-Durosier Desrivières dont les lecteurs connaissent peut-être déjà le recueil précédent, « Bouts de ville à vendre » (1), qui racontait la ville de Port-au-Prince (d’avant la catastrophe du 12 janvier 2010) en des vers jubilatoires, nous offre maintenant un choix de poèmes redoublés, la version créole (que l’on doit croire originale) sur la page de gauche faisant face à la version française à droite (2). L’exercice qui consiste à produire deux poèmes qui disent la même chose (ou à peu près) en des langues différentes est évidemment risqué.

Quoi qu’il en soit, cet exercice dont Robert Berrouët-Oriol, dans sa préface, rappelle qu’il a déjà été tenté par Georges Castera dans « Tanbou kreyol – Tambour créole », nous pousse inévitablement à comparer les vertus des deux propositions poétiques, celle en créole haïtien et celle en français standard. Qu’on en juge :

→   Lire Plus

La pratique écrite du créole haïtien, entre fiction et diction. * Tèks envante, tèks lide ak tèks tradwi !

Par Jean-Durosier DESRIVIERES

En dehors d’autres outils sans doute de grandes valeurs, les haïtiens disposent, de façon légitime et légale, de deux langues – le créole et le français – pour investir pleinement leur imaginaire. A l’instar des vrais bilingues se permettant de passer d’un territoire linguistique à l’autre sans failles, notamment sur le plan oral, je m’autorise un exercice similaire dans ce texte (ainsi commandé), dépourvu pourtant de tout esprit démagogique et de toute sensibilité au quota. En ce sens, je ne saurais ignorer mon adhésion aux concepts et notions largement mis en valeur par Robert Berrouët-Oriol dans ce lumineux ouvrage collectif (autres collaborateurs : Darline Cothière, Robert Fournier et Hugues St-Fort), d’une extrême rigueur méthodologique, qu’il a coordonné : L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions [1] , lequel fait l’éloge de la francocréolophonie haïtienne et propose une convergence linguistique dans l’enseignement et la pratique des langues au pays. J’y reviendrai.

→   Lire Plus

Katherine-Marie Pagé Rire, sourire, vivre, malgré la misère

Jean-Durosier Desrivières vous ouvre ses archives
N°10: Entretien avec Katherine-Marie Pagé

Jean Durosier DESRIVIERES
20. Avril 2011

J’ai rencontré Katherine-Marie Pagé à Fort-de-France, en avril 2004. Cette juriste devenue photographe a sillonné les campagnes haïtiennes et a vécu dans l’intimité des gens du pays en dehors, le monde des paysans. Elle témoigne, par des images, de leur richesse intérieure et de leur ardent désir de vivre.

Jean-Durosier Desrivières : Votre premier ouvrage qui est un livre d’images s’intitule Haïti, un autre regard… Parlez-nous-en.

Katherine-Marie Pagé: Haïti, un autre regard…, c’est un livre que j’ai eu l’occasion de sortir après avoir déjà sillonné pas mal le pays, exposé des photographies en Haïti. Et voyant la réaction des gens face à mes photographies, j’ai vraiment eu envie de continuer le travail que j’avais commencé là-bas: de montrer d’Haïti ce que moi j’en avais vu, ce que j’avais vécu. Je l’ai appelé Un autre regard, parce que c’était réellement une image différente de cette image de misère dont on nous martèle en permanence. Et je crois que la misère est tellement là, on la sent, on la voit… elle est partout.

→   Lire Plus

« Tâche d’encre aux poumons » , de Jean-Durosier Desrivières

stylo

Je ne sais plus parler

Je ne sais plus parler mesdames

Mesdemoiselles et messieurs

Parce que ma tête pense et croit nécessaire

D’ordonner à ma main

De foutre à mes doigts une expansion de doigts

Qui s’arroge le droit de foutre à ma bouche

Une expansion de gueule

Qui elle se prend pour je ne sais quelle

Cheminée

Persuadée qu’elle pourra réchauffer

A la fois de l’hiver-du-gwo-pwèl-

De-la-solitude-et-de-la-mélancolie

Ainsi comprenez bien mesdames

Mesdemoiselles et messieurs

Je ne sais plus parler…

→   Lire Plus

D’après ce qu’île dit…

 par Jean Durosier DESRIVIERES —

–__-

   Voici ! l’histoire n’est pas plus sophistiquée : je viens d’une ville, d’après ce qu’île dit, sans façon avec nos manières de gueuler nos malheurs à marée haute, d’engueuler tout le bazar du monde, dégueuler sur le quai en plein dans notre baie jusqu’à tout prendre en pleine gueule. Au cœur des cycles : la mort bourrée d’eau sale et d’eau salée, d’après ce qu’île dit, avec force tempêtes et cyclones, et ras-de-marées. Et tremble qui veut : je viens d’une ville, d’après ce qu’île dit, où les hommes négocient l’avenir et la vie à dos d’homme.

Et depuis, des poètes se sont mis à parler comme avant, ils se sont mis à inventer, comme on dit. Et ils inventent n’importe quoi, comme plein d’images de désastres, pour la forme : un semblant de bonheur. Point de vue ni de point-de-vue dans ce monde d’images, d’après ce qu’île dit. Bon repos. Il n’y a que la ville seule et ses règles propres submergées de mille exceptions ; des perspectives naïves à faire grimper la courbe des bourses dans la course aux marchés, plastiques… dramatiques…

→   Lire Plus

C’est quoi le drame d’Haïti ?

Jean-Durosier Desrivières vous ouvre ses archives
N°3 : Entretien avec Aimé Césaire


Nous avons rencontré le poète patriarche martiniquais le 20 Janvier 2004 à son bureau de maire honoraire, abrité à l’ancienne mairie de Fort-de-France. Le sage nonagénaire nous a reçu cordialement, ravi de rencontrer une fois de plus un homme du pays « où la négritude se mit debout pour la première fois ». Sa mémoire et son esprit encore vifs l’emportent sur l’ouie qui lui joue parfois des tours. Il suffit d’évoquer Haïti pour voir briller à travers ses yeux et son sourire exquis une passion sublime, à nulle autre pareille.

Jean-Durosier Desrivières : Comment percevez-vous l’indépendance d’Haïti ?
Aimé Césaire : Je suis le premier parmi les Martiniquais à avoir signalé et salué l’indépendance d’Haïti. C’est un événement d’une très grande portée : pas seulement haïtienne, elle est aussi antillaise. On peut même dire : qu’est-ce qu’elle est mondiale ! Parce que les Haïtiens n’ont pas seulement conquis la liberté pour eux ; c’est tout un système qui a été ébranlé par cette révolte haïtienne et, en particulier, il est clair que l’Europe ne pouvait plus continuer à maintenir le système colonial tel qu’il existait à l’époque – l’esclavage pour les autres pays des Antilles et aussi presque l’Amérique du sud, pour les Espagnols ou les Anglais – c’était l’abolition de l’esclavage.

→   Lire Plus

Soulever le voile du silence

—Par Jean-Durosier Desrivières —

« Rosalie l’Infâme » d’Evelyne Trouillot
Dapper, 2003, 144 p.

Note : Cette note de lecture est parue pour la première fois dans la revue franco-haïtienne Conjonction, N°211, Port-au-Prince, 2005.

La première œuvre romanesque d’Evelyne Trouillot, Rosalie l’Infâme, serait une fenêtre ouverte sur un monde que l’on croyait déjà connaître : la société esclavagiste de Saint-Domingue. Or le lecteur se voit rapidement obligé de rendre les armes de son ignorance dès les premières pages. Ce récit qui voudrait se débarrasser de l’idée envahissante des héros – ceux qui ont fait l’histoire d’Haïti en l’occurrence – met l’accent sur une figure anonyme, une femme de surcroît : Lisette. Celle-ci, protagoniste et narratrice, mène sa vie d’esclave domestique sur l’habitation Fayot au rythme de la mémoire, de ses désirs et de ses rêves. L’on révise tout un pan de l’ancienne colonie française au travers d’un autre univers, une autre sensibilité, un autre point de vue, un autre regard : ceux des femmes.
Lisette, l’orpheline, nous raconte avec une tendresse inouïe, très peu explorée jusque là dans l’âme d’un(e) esclave, une société à la fois hostile et dévergondée, une société insoutenable.

→   Lire Plus

Haïti : un pays en voie d’américanisation

Jean-Durosier Desrivières vous ouvre ses archives

N° 4 : Entretien avec Marcel Dorigny

Nous avons rencontré le professeur Marcel Dorigny en septembre 2004, à son hôtel, du côté de l’ancienne route de Schoelcher, lors de son passage en Martinique, dans le cadre du colloque : « De Saint-Domingue à l’Italie, Moreau de Saint-Méry ou les ambiguïtés d’un créole des Lumières ». C’était après le départ forcé de Jean-Bertrand Aristide d’Haïti le 29 février 2004 et la publication en mars de la même année de Haïti et la France, Rapport à Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, signé par Régis Debray1. L’historien faisait partie du « Comité indépendant de réflexion et de propositions sur les relations franco-haïtiennes ».
Jean-Durosier Desrivières : Parlez-nous du rôle que vous avez joué dans la commission, dirigée par Régis Debray, qui se penchait sur les relations franco-haïtiennes au mois de janvier de cette année (2004).
Marcel Dorigny : La commission était composée d’une dizaine de personnes, chacun ayant plus ou moins une spécialité : il y avait des diplomates, des économistes, des financiers, il y avait quelqu’un qui était plutôt anthropologue, Gérard Barthélemy, et puis deux historiens, Myriam Cottias et moi.

→   Lire Plus

« Assaut à la nuit » de Roussan Camille

— Par Jean-Durosier DESRIVIERES

camille_roussanTopographie inventée, dans l’attente du jour

Une lecture d’Assaut à la nuit1 de Roussan Camille2

Il est des poèmes et des poètes qui vous obligent à vous attarder dans leur univers, à y prendre pied, en dépit de tout. Indigénisme, négritude, négrisme, « noirisme »… tout cela peut vous irriter. Rien que des théories, des concepts, des idées à générer crainte et méfiance perpétuelles chez certains lecteurs. Mais le chant poétique – hors tout champ catégorique, carcéral, hormis son propre champ, ouvert, en marge des œillères – stipule toujours un possible émerveillement. Serait-il ainsi de celui de Camille ?

J’ai passé des nuits quasi inassouvies avec Camille. Entre nous, un poème, un complice, une jeune femme : « Nedje ». Je l’ai traînée avec moi, en maints lieux clairs-obscurs : café, cabaret, piano-bar, hôtel, et que sais-je encore. Elle épouse toutes les inflexions de ma voix, tous les caprices de mes lèvres, mon souffle, au gré du rythme, de la mélodie, du poids de ses propres mots et de l’élan du cœur brûlant les planches.

→   Lire Plus

Eloge de la littérature haïtienne et hommage à Dany Laferrière

Jean-Durosier Desrivières vous ouvre ses archives
N°1 : Entretien avec Maryse Condé

L’écrivain guadeloupéen, Maryse Condé, présidait le jury d’une soutenance de thèse à l’Université des Antilles et de la Guyane quand (un jour et un mois de l’année 2004), entre deux séances de travail, elle a voulu en toute sympathie nous dire sa perception de ce pays – Haïti – qui aurait pu être un phare dans la Caraïbe actuelle, selon elle.
Jean-Durosier Desrivières : Quel regard projetez-vous sur l’histoire d’Haïti ?
Maryse Condé : L’histoire d’Haïti pour un caribéen concerné est d’abord un sujet de fierté. Il y a la version que l’on connaît : des esclaves qui se rebellent pour arriver à l’indépendance. Mais ensuite, c’est une cause de tourment quand on voit tous les problèmes d’Haïti qui ne sont pas résolus, quand on voit une série de dictatures, le retournement d’un pouvoir que l’on croyait libéral, le pouvoir d’Aristide, dénoncé par ceux-là même qui l’ont soutenu. Finalement Haïti est une sorte de Janus à deux faces : d’un côté les choses agréables et admirables ; de l’autre côté des choses qui affligent et qui font beaucoup de peines.

→   Lire Plus

Premiers instituts d’apprentissage de la tyrannie en Haïti ?

Jean-Durosier Desrivières vous ouvre ses archives
N° 5 : Réflexions de Jean-Durosier Desrivières

Note : Article principal N° 2 du supplément mensuel Relire Haïti qui a été publié avec le soutien de France-Antilles de la Martinique ; paru pour la première fois en février 2004 sous le titre : « Qui parle d’abus de mémoire en Haïti ? » le texte a été revu, modifié, augmenté et actualisé.

L’histoire d’Haïti est truffée d’ambiguïtés : le devoir de mémoire serait à la fois pris dans les filets du silence, de l’excès et de la manipulation.

« Même quand mon ombre est penchée
je garde la tête droite
Il ne faut jamais laisser aux morts
l’initiative de la lumière
Debout partisans ! » (Georges Castera)1

Interroger, en Haïti comme ailleurs, la mémoire et les différentes attitudes à afficher vis-à-vis d’elle, c’est aussi poser la question de la connaissance ou de l’ignorance de l’Histoire, de son enseignement et des enjeux idéologiques qui en résultent. Depuis 1847 et 1848, dates de la parution des trois tomes de l’Histoire d’Haïti de Thomas Madiou, comblant une évidente lacune dans le domaine, instruire l’haïtien de son passé est devenu une préoccupation décisive.

→   Lire Plus

En Haïti, tout repose sur un collectif-prison engluant

Jean-Durosier Desrivières vous ouvre ses archives
N°2 : Entretien avec Gary Victor

À l’angle des rues parallèles, Gary Victor • Vent d’ailleurs • ISBN 978-2911412233 • 2003.
Son roman A l’angle des rues parallèles venait de paraître chez Vents d’ailleurs (2003), quand Gary Victor était invité par l’Association pour la Connaissance des Littératures Antillaises (ASCODELA), en Martinique. Garry Serge Poteau et moi-même avions rencontré l’écrivain le plus lu en Haïti au salon de l’Hôtel Galleria, le dimanche 9 novembre 2003. C’était l’occasion d’aborder avec lui, de façon détendue, les grandes thématiques de ce roman au titre combien énigmatique et symbolique qui semble prescrire une esthétique de la dégradation et de la déconstruction des mythes de l’espace haïtien.

Garry Serge Poteau : Gary VICTOR, dans A l’angle des rues parallèles, Eric, ton personnage principal, fait un véritable carnage aux représentants de l’autorité, de l’ordre, de l’Etat, de la culture… La volonté d’en finir avec les mythes fondateurs apparaît clairement dans tes œuvres. Comment expliquer ce besoin ?
Gary Victor : Ma perception des mythes vient d’abord de mon rapport avec le quotidien haïtien.

→   Lire Plus

Contre le créolocentrisme : Frankétienne ou Edouard Glissant ?*

 —Par Jean-Durosier Desrivières —

Le jury du 13e prix Carbet de la Caraïbe, présidé par Edouard Glissant, s’est retrouvé au soir du vendredi 20 décembre à l’Atrium de Fort-de-France, salle Frantz Fanon, pour honorer, face à un public dirait-on sélectif, la dernière parution de Frankétienne : H’éros-Chimères. Ce titre résumerait « de manière profonde et provocatrice les horreurs qui bornent nos horizons ; les tourments et les fantasmes qui peuplent l’imaginaire des humanités contemporaines ». L’auteur reçoit ce prix comme un hommage rendu à la créativité féconde du peuple haïtien qui compte tant de « guerriers de l’imaginaire ». Tout se serait joué entre mise en scène de l’artiste, proximité visible avec le jury et son « jeu/je » parfois morbide et lassant.

L’esthétique du chaos récompensée
Quelques minutes avant la remise du prix Carbet 2002 au lauréat, nous avons rencontré dans le hall de l’Atrium l’ami Frankétienne qui m’affirme être en Martinique par hasard : il ne sait même pas s’il est nominé. Gérald Delver, président de l’association Tout-Monde, amorce la soirée. Un hommage à l’écrivain haïtiano-canadien, Emile Ollivier, lauréat du Prix Carbet 1995, décédé le 10 novembre 2002, précède la déclaration solennelle de l’attribution du prix.

→   Lire Plus

Le « Nous » haïtien / Le « Nous » martiniquais ?

— Par Jean-Durosier Desrivières —

Note :
Cet article a été publié initialement dans les colonnes du quotidien haïtien 
Le Nouvelliste au cours de l’année 2001 sous le titre originel : « Une mémoire en colère ». Il est diffusé ici, pour mémoire, après de légères corrections et amputations.

Le Comité Devoir de Mémoire Martinique, sous l’égide de Médecins du Monde, a fait de l’Atrium de
Fort-de-France, le 2 mai 2001, le siège d’un colloque intitulé : « Histoire et mémoire des sociétés post-esclavagistes… ou … La révolte contre l’oubli ». C’est dans ce cadre que s’inscrit « Une mémoire en colère », la communication de l’historien haïtien Pierre Buteau, laquelle a interpellé ses pairs historiens, politiciens, professeurs d’histoire et amateurs curieux des problématiques de la région caribéenne, constituant l’humble assistance. Comment saisir les rapports que les haïtiens entretiennent avec les lieux de mémoire, avec le passé et le présent ? Telle est la question fondamentale qui, selon nous, se dégage de l’exposé du « mémorialiste ».

 

→   Lire Plus

La question du créole dans la Caraïbe francophone : querelles de chapelle en la chapelle

 — Par Jean-Durosier Desrivières

Georges Castera et Lyonel Trouillot
A Fonds Saint-Jacques

Note : Cet article-compte-rendu, légèrement modifié, a été publié dans les colonnes du quotidien haïtien Le Nouvelliste en 2001. Presque onze (11) ans après, je prends plaisir à le diffuser sur ce site, une façon de le partager à un plus large public, pour montrer que les questions liées à la langue créole en espace caribéen qui y sont évoquées, ce sont quasiment les mêmes qui alimentent actuellement le débat houleux sur la langue créole en Haïti, voire en Martinique, dans une incompréhension presque totale entre écrivains, linguistes, intellectuels et défenseurs de cette langue.
A Fonds Saint-Jacques, Centre des cultures et des arts de la caraïbe, situé à Sainte-Marie, commune du nord caraïbe de la Martinique, s’est tenu, dans le cadre d’un « Atelier de traduction et d’interprétation d’œuvres caribéennes et contemporaines », un ensemble de conférences-débats, les vendredi 20 et samedi 21 avril 2001, autour du thème : « Langue et traduction : passage, ouverture, transmission ». Sur les douze communications, les unes plus percutantes que les autres, qui ont alimenté les réflexions et réactions de plus d’un, celles de Georges Castera, « Traduire dans une langue aminorée » (le créole), et de Lyonel Trouillot, « Créole, langue réelle, langue imaginée », s’opposent à toute idéologie démagogique de la langue, et à toute démarche de technocrate se posant comme « des gourous de la langue créole ».

→   Lire Plus