Catégorie : Avignon

Avignon 2018 : Racine, Koohestani, Shaheman – (In)

— Par Selim Lander —

Iphigénie m.e.s. Chloé Dabert

Le « tendre Racine » n’apparaît guère dans cette pièce où la jeune Iphigénie est promise au trépas par un caprice des dieux. La tendresse n’apparaît à vrai dire que dans la scène 2 de l’acte II, entre Iphignénie et son père Agamemnon. Ce dernier ne sait comment se comporter envers celle qu’il doit immoler et qu’il aime pourtant. Elle ne comprend pas son inhabituelle froideur :

« N’osez-vous sans rougir être père un moment ? »

Comment ne pas se réjouir a priori de voir Racine honoré dans le IN qui n’accable pas ses spectateurs avec les classiques ? Malheureusement, la mise en scène de Chloé Dabert déçoit quelque peu nos espérances. Le décor, même s’il n’emporte pas tous les suffrages, ne nous a quant à lui pas déçu : cette grande tour d’échafaudages, à jardin, qui pourrait aussi bien figurer la proue d’un navire de guerre (puisque la flotte des Grecs en guerre est bloquée dans le port, en attendant que le vent, délivré par les dieux, veuille bien se lever et conduire les vaisseaux jusqu’à Troie) permet des déplacements intéressants.

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Avignon 2018 : Molière et Laurent Gaudé – (Off)

Par Selim Lander

L’Ecole des femmes : Molière retrouve les tréteaux

Décidément Molière a tout pour se sentir à l’aise en Avignon. Après Les Fâcheux dont nous rendions compte dans notre précédent billet, nous découvrons cette M.E.S. de L’Ecole des femmes dans le style de la commedia dell’arte. Certes, Molière ne reconnaîtrait pas exactement son texte ou plutôt il serait surpris par quelques ajouts (une conteuse, des intermèdes chantés) et suppressions (comme le personnage du notaire) car les alexandrins fameux sont bien là et donc le drame du vieil Arnolphe désespérément amoureux de la jeune Agnès. Ecoutons-le :

 

Chose étrange ! d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses

J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle,
Et cependant jamais je ne la vis si belle

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Avignon 2018 : « La Reprise » Histoire(s) du théâtre (I) Conception et m.e.s. : Milo Rau


Festival d’Avignon 2018. Gymnase du lycée Aubanel

« La Reprise » est la première partie de la série « Histoire(s) du théâtre » que Milo Rau envisage comme un pendant à l’oeuvre de Godard « Histoire du cinéma ». Il s’agit donc d’entreprendre une vaste réflexion sur l’essence du théâtre, ses codes, sa relation au public, son engagement dans la vie de la cité. A l’issue de la série doit émerger un manifeste pour un théâtre démocratique du réel. Et le réel, envisagé dans ses dimensions sociale et personnelle ne passe pas tel quel sur le plateau: il convient donc de poser la question de la représentation! Comment représenter le réel sur le plateau et à quel prix? Certes la question n’est pas nouvelle, elle est consubstantielle au théâtre lui-même, qui a toujours réfléchi les conditions de son émergence. Le théâtre en tant qu’il est un élément primordial de la vie démocratique de la cité: ce sont les termes mêmes du contrat fondateur, à Athènes. Cependant elle mérite d’être posée à nouveaux frais à la lumière de l’évolution sociale et en rapport avec les nouvelles formes artistiques, cinéma, vidéo, performances en tout genre.

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Avignon 2018 : « La forêt des illusions » texte, m.e.s., chorégraphie : Gregory Alexander

La grand-mère n’est plus. Disparue dit-on par cet euphémisme qui n’ose dire la mort. L voleur de vie s’appelle Massala, gardien de cette forêt tropicale qui borde la vie les hommes dans l’attente de les engloutir. L’enfant, Eric, ne veut pas, n’accepte pas. Il part à la recherche de la grand-mère dans le domaine de l’après vie. Elle lui a laissé pour tout viatique morceau de papier avec de mots : une lettre. Il y rencontre un caïman blanc qui pleure sur sa blanchitude, un faune Maskili semblable à ceux de Flaubert « frappant sur la mousse des bois la corne de leurs pieds, les faunes à bouche fendue », une sirène, une Mami Wata » ,un « Wata Mama » plus connue sous le nom de « Maman Dilo » ou Maman Dlo », qu’importe le nom pourvu qu’on ait la crainte qui l’accompagne. De monstre en monstre l’enfant chemine et toujours échappe aux dangers qui menacent de l’engloutir, de l’avaler, de l’absorber. Images d’une oralité grand-maternelle qu’il faudra laisser sur le coté du chemin…

Sur le plateau deux comédiens . Devano Bhatooe, déguisé en enfant perdu dans la quête d’un retour vers un temps qui n’est plus celui d’une enfance à l’ombre de la grand-mère, et Anne Meyer qui donne vie à toutes les figures fantastiques rencontrées.

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Avignon 2018 : « Vertiges »,texte et m.e.s. Nasser Djemaï


Festival d’Avignon off 2018. Théâtre des Halles

Voici le troisième volet d’une trilogie consacrée aux Chibanis, citoyens français originaires du Maghreb. Le premier volet était « Invisibles » consacré des jeunes des cités en 2011, et le second « Immortels » en 2014; Le texte de « Vertiges » a été salué par divers prix et nomination. Il est publié chez Acte Sud-Papiers. Nasser Djemaï a la formation et l’expérience la plus complète que l’on puisse trouver au théâtre: il est acteur, metteur en scène et auteur.
Son expérience du plateau, non moins que sa recherche documentaire expliquent la complétude de son travail. Celui-là a l’incommensurable (et rare) mérite de conjoindre la vérité de l’approche documentaire et la solidité de l’écriture dramatique. Son écriture résulte d’une connaissance aboutie et d’une réflexion sur les codes du théâtre alliées à un travail en immersion auprès de familles dont il appréhende les rôles avec justesse et finesse. On ne se contente pas ici de l’exactitude sociologique de son objet, on recherche une vérité humaine au-delà des apparences, une forte différenciation des personnages dont les caractères sont d’une vérité poignante.

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Avignon 2018 : Molière, Lars Noren, Michèle Césaire – OFF

Par Selim Lander

Vraiment drôles ces Fâcheux

Les farces de Molières n’ont pas toutes passé les siècles sans dommage ; leur naïveté parfois déconcerte. On n’en dira pas autant de celle-ci qui a d’abord le mérite d’être écrite en vers. Et l’on sait combien Molière, quand il s’y mettait, savait tourner l’alexandrin (au point qu’on l’a soupçonné –  sans la moindre preuve – de n’être que le prête-nom d’un Corneille…). Quoi qu’il en soit, on se régale à écouter cette langue classique.

L’argument des Fâcheux, certes, est simplissime : Eraste a un rendez-vous galant avec Orphise dans une allée d’un jardin public ; las, de vrais ou faux amis ne cessent d’apparaître qui veulent absolument l’entretenir ou obtenir quelque chose de lui et dont il ne sait, à son grand dam, se débarrasser avant qu’ils aient débité leur histoire in extenso. Toutes ces « anecdotes » (détail secondaire mais plaisant… ici seulement pour celui qui la raconte !) s’enchaînent sur un rythme effréné. A peine Eraste a-t-il pu entrapercevoir sa belle qu’il est saisi par un ou plusieurs de ces fâcheux.

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Avignon 2018 : »Thyeste » de Sénèque m.e.s. de. Thomas Jolly

Festival d’Avignon 2018, cour d’honneur du palais des Papes

Voici LE spectacle du cru 2018, puisque tous les ans, il y en a un qui domine la scène avignonaise du haut des tours du palais. Une vréritable entreprise quand on voit se présenter en front de scène l’équipe responsabe de cette oeuvre scénique au grand complet: au bas mot une cinquantaine de personnes. Pour un spectacle grandiose où le décor et la magie des lumières joue un rôle majeur.
L’histoire de ce crime si terrible, un crime « nefas » dit Sénèque, ce qui signifie qu’il échappe dans l’horreur à toute dimension humaine, de telle sorte qu’aucun châtiment n’est à sa mesure. M^me la terre et le soleil se détournent de ce crime contre nature. Alors qu’Atrée règne en paix sur Mycènes, son jumeau, Thyeste, séduit sa femme et s’empare du bélier d’or. Devant ce double vol, Atrée a la vengeance furieuse et sert à celui qui est son frère la chair de ses enfants en banquet.
Il semble que Sénèque ait choisi de réunir dans cette tragédie les forfaits les plus noirs: adultère, vol, infanticide, cannibalisme, on est au comble de l’horreur.

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Avignon 2018 : « Gibraltar », texte et m.e.s. de Guy Giroud

Chorégraphie Bachir Tassembedo, avec Jules Soguira Gouba et Bachir Tassembedo

La compagnie Marbassaya qui fit l’ouverture de la saison 2016-1017 à Tropiques-Atrium avec Baâda le malade imaginaire et « Candide l’Africain » propose cette année, « Gibraltar », une création, fruit d’une résidence à Ouagadougou. Adieu Molière, adieu Voltaire, il y a urgence, notre monde va mal. Il semble submergé par ce qu’une certaine mauvaise foi persiste à nommer «  crise migratoire », «  crise des réfugiés » alors qu’il ne s’agit d’une crise de l’accueil de ceux-ci. Pudibonderie, hypocrisie qui consiste à reporter sur les victimes l’origine du malheur qui leur ait fait. Salif, troisième fils de Sokina, rève d’Europe, de hip-hop, de fic facile, de belle bagnole, casquette vissée sur la tête façon visière arrière. Il veut «  d’la marque, frère ». Insolent, peu respectueux des coutumes locales, il est en conflit avec la figure du pater familias, méprise le boutiquier du quartier qui après avoir réussi, au terme d’une longue et éprouvante épopée à poser un pied sur le sol du rêve européen a fait retour au pays des siens ne supportant plus l’exil.

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Avignon 2018 : « La Musica deuxième » de Margueritte Duras, m.e.s. Philippe Baronnet

L’impossible de l’amour,

Ils se retrouvent le jour de leur divorce dans un hôtel de province qui abrita leurs amours débutantes. Pour une dernière danse. Celle de la relation à l’autre, du désir, du rejet, de la haine, des jeux de pouvoirs, de la vie, de la mort et bien sûr de l’amour où « réside le cœur de l’âme humaine ». Ils se sont aimés. Ils se sont déchirés. Ils n’ont pas d’âge. Ils sont une image du public qui assiste à la mise à mort. Architecte et traductrice. La souffrance et la douleur sont ses compagnes à elle. Il s’y expose avec plus de sensibilité. Il élève la voix plus facilement qu’elle. Lui, avait des envies de meurtre, elle, elle voulait mourir. Dès le premier jour il lui dit qu’il voulait la quitter. Il ne supporte pas la part d’ombre, presque secrète, qui la berce. Il l’espionne. il dit : Je vous ai suivie. Je suis rentré dans le cinéma. On jouait un western que vous aviez déjà vu avec moi… Vous étiez seule. Vous étiez assise dans les premiers rangs… personne n’est venu vous rejoindre… Le soir, vous ne m’avez rien dit de ça… et je ne vous ai posé aucune question… C’était le printemps il y a trois ans… vous étiez déjà triste quelquefois… Le lendemain, après le déjeuner, je vous ai demandé si vous deviez sortir.

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Avignon 2018 : « Ô toi que j’aime ou le récit d’une apocalypse », texte et m.e.s. Fida Mohissen


Festival d’Avignon off 2018. 11. Gilgamesh Belleville

« Un 4 octobre, il y a tout juste 20 ans, un avion m’a jeté ici alourdi de valises, de livres et de visions claires, de certitudes. J’avais pleuré pendant les quatre heures de vol qui séparaient Paris de Damas. Et si l’objet de mes larmes n’était pas uniquement la perte de familles, d’amis ou de la terre natale, mais une intuition prémonitoire de la perte de celui-là même qui parlait?

Telle est la crainte de Nour-Assile dont le spectacle nous conte l’histoire:
Une jeune réalisatrice de documentaires, Marie et un metteur en scène, Ulysse, viennent en prison faire travailler des détenus radicalisés sur un projet de spectacle autour de la figure de Jalaluddine Rûmi, poète mystique du 13ème siècle. Une entreprise courageuse envisagée comme un électrochoc, quand on connaît l’extrême hostilité des salafistes islamistes envers la mystique musulmane, le Soufisme. Marie et Ulysse font la rencontre de Nour Assile, jeune détenu syrien, au parcours singulier mais qui ne désire qu’une chose : mourir en Martyr. Les trois protagonistes vivront au même moment l’expérience de la rencontre de l’autre.

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Avignon 2018 : « Portrait Foucault- Letzlove », m.e.s. de Pierre Maillet

— Par Michèle Bigot —

Les portraits, créés par Elise Vigier et Marcial Di Fonzo BO à la Comédie de Caen sont des créations itinérantes, portées par un ou deux acteurs, parfois accompagnés d’un musicien.
Le portrait dont il s’agit ici est double : c’est à la fois celui de Michel Foucault et celui de Thierry Voeltzel, tels qu’ils se manifestent dans l’action, au cours de la conversation qui se noue entre eux. Thierry Voeltzel, c’est un inconnu rencontré sur la route par M. Foucault. Thierry faisait du stop pour rentrer chez lui en Normandie, M. Foucault le prend à son bord, et la conversation commence. Découverte réciproque, Foucault se montre le plus curieux et le plus attentif des partenaires de l’échange. Une relation amoureuse forte va se nouer rapidement. Thierry c’est pour Michel « Le garçon de vingt ans ». On est en 1975 et ce dernier représente la jeune génération d’après 68. Il parle comme il fait l’amour, sincèrement, librement, finement, avec audace et malice. Bientôt la conversation va prendre une forme plus officielle : celle d’une suite d’entretiens au cours desquels Michel se fait enquêteur et activateur de maïeutique.

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Avignon 2018 : « Une saison en enfer », m.e.s. Ulysse di Gregorio, avec Jean-Quentin Châtelain

— Par Michèle Bigot —
D’Arthur Rimbaud
Festival d’Avignon off 2018

Théâtre des Halles
N’en doutons pas : seul Jean-Quentin Châtelain était à même de relever le défi : porter sur scène ce texte prodigieux, qui défie les lois du temps : Une saison en enfer. Entreprise aussi intrépide que périlleuse. Comment faire passer le spectateur anonyme de la vie ordinaire au sublime et au monstrueux, sans autre forme de transition ?  On arrive dans la salle obscure et envahie de fumée : la respiration peine, le regard se fait errant. Nous voilà au bord de la géhenne. La cérémonie peut commencer. Sur le plateau, un espace chtonien, une sorte d’anneau magique et menaçant, dessiné par une levée de terre. En son centre, une surface noire : l’avant dernier cercle de l’enfer, l’entrée de l’empire des morts. C’est là que se produit l’acteur. Quand arrive la lumière, il est déjà placé au centre, pieds nus, fiché au sol à une place d’où il ne bougera pas. Corps immobile mais mouvant au gré de la musique du texte, ondulant sous l’orage des mots, terrassé par la force noire de l’expression, il est à la torture, il jouit.

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Avignon 2018 : « Quitter la terre » de Joël Maillard

Quitter la terre, Joël Maillard/Sélection suisse en Avignon. Festival d’Avignon off 2018. 11.Gilgamesh Belleville

« Dans un futur plus ou moins proche (ou un passé démesurément lointain) considérant l’incapacité des collectivités humaines à réguler leur impact sur les écosystèmes et la menace d’une imminente saturation écologique et démographique, une solution aussi tortueuse que radicale est imaginée pour sauver la vie humaine à la surface de la Terre »…
Attachez vos ceintures, on va décoller! Et c’est en effet dans un vaisseau spatial d’un nouveau genre que Joël Maillard nous embarque pour un voyage intersidéral sans promesse de retour. Dans la plus pure tradition du roman d’anticipation et du voyage sur la lune depuis Cyrano de Bergerac jusqu’à Jules Vernes, le spectacle nous propose une uchronie ou dystopie sur le mode néo-scientiste farfelu, où la drôlerie ubuesque le dispute au vertige borgesien.
C’est que l’auteur/metteur en scène ne manque pas d’imagination, ni de sens du loufoque. En jouant sur les mots, les prenant au pied de la lettre pour les soulever de terre, il s’empare du terme « nouveau départ  » pour faire décoller la moitié de l’humanité dans une navette en forme de grosse courge ou de cylindre creux, une station orbitale semblable à un gros ananas.

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Avignon 2018 : « Qui suis-je? » d’après le roman de Thomas Gornet, m.e.s.. Yann Dacosta, dessinateur Hughes Barthe

Qui suis-je d’après le roman de Thomas Gornet, m.e.s.. Yann Dacosta, dessinateur Hughes Barthe
Festival d’Avignon off 2018
11. Gilgamesh Belleville

Qui suis-je? Et que peut-on apercevoir de ce que je suis? S’il est une question qui obsède l’adolescence, c’est bien celle de l’image, par où l’on donne à voir aux autres une personnalité, parfois (souvent) à son corps défendant. Et le groupe des ado. n’a pas la réputation d’être tolérant à la différence. D’où le besoin farouche de ressembler aux autres, de se fondre dans la masse. Hélas, il existe des aspects de notre personne qui nous échappent, lesquels sont plus ou moins apparents et plus ou moins connus de nous. Pour l’adolescent, la question « qui suis-je » pourrait donc se reformuler « qui les autres m’apprennent-ils que je suis? »
Là est le drame de l’individu en devenir, et c’est ce processus de construction de l’identité que retrace le roman de Thomas Gornet et son adpatation théâtrale par Yann Dacosta. Processus particulièrement épineux lorsqu’on se découvre un désir homosexuel. Cette sexualité, déjà tellement difficile à assumer pour un ado.

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Avignon 2018 : « Le corps en obstacle » ou les affres de la croissance pour une PME ?

« Le corps en obstacle », de Gaëtan Peau m.e.s. de David Seigneur
Interprètes : Greg Germain, David Seigneur, Stéphane Brel, Sumaya Al-Attia et Ndofusu Josué

La demande est croissante. Dans la logique binaire du marché l’offre doit s’addapter. Demande de gardiennage, de « sécurité ». Pas sûr pour autant que la présence d’uniformes rassure. Dans le corps en obstacle la PME familiale est confrontée à une croissance, dont on pourrait croire a priori qu’elle est bienvenue alors qu’en réalité elle va induire des transformations de la structure, un changement de comportement, l’acceptation d’un autre mode de gestion. Pole Emploi ne peut répondre aux nouveaux besoins ded’oeuvre. Les candidats qui se présentent sont inadaptés. Que faire ? Embaucher des sans-papiers comme le conseille l’avocate fiscaliste, rôle très bien tenu par Sumaya Al-Attia, dans une logique purement utilitariste qui « a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. » . Clandestins ils seront corvéables à merci pour un salaire de misère. Le réfugié, l’immigré, le clandestin n’est pas l’illettré des poncifs balancés à la tête du pékin pour l’empêcher de penser.

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Avignon 2018 : « La Bataille d’Eskandar », de Samuel Gallet, m.e.s. collectif Eskandar

Festival d’Avignon off 2018

Comment loger sur un plateau scénique exigu et triangulaire la formidable histoire de la ruine d’Eskandar, lorsque cet espace mesuré est déjà dévoré par une théorie d’instruments de musique imposants? C’est cette gageure que relève le collectif Eskandar, les comédiens Pauline Sales et Samuel Gallet et les musiciens Aëla Gouvennec et Grégoire Ternois. Une belle complicité les unit pour faire revivre cette histoire à la fois épique et banale. C’est l’histoire d’une femme à bout de souffle, traquée par les banquiers, les créanciers et les huissiers, tentant de survivre avec son fils Mickel. Elle rêve d’un séisme qui ferait effondrait cette cité maudite qui la harcelle quotidiennement, la méprise et la ruine.
Cette double histoire va donc se dérouler sur le plateau: en parallèle, la vie réelle dans laquelle arrive le jour de son expulsion et la vie rêvée, qui n’est pas forcément plus clémente: dans le rêve, l’effondrement jouissif de toutes les institutions maudites (banques, écoles, bâtiments administratifs) se double d’une invasion des ruines de la cité par les animaux les plus féroces échappés du zoo.

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Avignon 2018 : « Jogging » de Hanane Haji Ali, Beyrouth, Liban

Jogging
de Hanane Haji Ali, Beyrouth, Liban
Festival d’Avignon off,
La Manufacture

C’est l’histoire d’une femme qui s’apprête à faire son jogging quotidien pour lutter contre l’ostéoporose, l’obésité et la dépression: elle se prépare en faisant quelques exercices de musculation et d’assouplissement. Mais voilà, elle est voilée, toute habillée d’un vêtement noir qui dissimule son corps et elle court dans les rues de Beyrouth. Elle stimule dans son corps deux hormones la dopamine et l’adrénaline qui sont tour à tour destructrices et constructives, à l’image de sa ville qui détruit pour reconstuire et construit pour détruire.

Et au fur à mesure qu’elle s’entraîne, elle déroule en un monologue intérieur le fil de ses pensées qui la bringuebalent de sa vie la plus triviale à la métaphysique. La note est donnée: celle d ‘un humour corrosif qui fera voisiner Allah avec les plus basses fonctions humaines. L’irrévérence est à son comble et on se prend à penser : »heureusement pour elle qu’elle n’exprime pas ce qu’elle pense à voix haute »! A partir de là, c’est toute l’oppression ordinaire des femmes au Moyen-Orient qui va occuper le paysage.

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Avignon 2018 : « Le Sac de Litha », texte, et m.e.s. Gilbert Laumord

Bal(l)lade enchantée du côté de Corée-en-Caraïbes

Litha s’est enfuie pour se sauver d’un destin qu’elle n’avait pas choisi. Elle a décliné la convocation à vivre en matrifocalité. Elle est partie. Sur son chemin de délivrance elle rencontre Bazil, figure caribéenne de La Faucheuse, qui se montre, en l’occurrence sous les aspects d’un bien beau jeune homme charmant et charmeur. Il l’invite à une dernière danse. Elle sollicite un répit le temps de vider son sac. Bazile accepte et Litha n’aura de cesse de retarder le temps de l’enlacement en prenant appui sur des poèmes d’Aimé Césaire, d’Edouard Glissant. Ils lui montreront que ce à quoi elle a renoncé est un désordre ancien, voué à sa disparition et qu’il est un autre monde en devenir, imprédictible, imprévisible, sensible au chatoiement des différences additives, à la « pensée du tremblement ». Il faut mourir pour renaître à autre chose.

« Le sac de Litha » est un poème amoureux qui enroule ses musiques autour du conte, du chant, du cri murmuré, du mi-dire flamboyant. Cette envolée est née d’un séjour prolongé de Gilbert Laumord en Corée.

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Avignon 2018 : « Un homme qui fume c’est plus sain »

Une création de BAJOUR, m.e.s.. Leslie Bernard
Festival d’Avignon off 2018
La Manufacture

Voici un parfait exemple de création collective, dans la forme comme dans l’esprit. L’objet s’y prête singulièrement: c’est la thématique inépuisable de la réunion de famille, qui connaît un vrai succès sur la scène (Lagarce) comme à l’écran (X. Dolan). A ceci près qu’il ne s’agit pas du retour d’un seul dans le creuset familial, mais du retour de quatre frères dans une famile dispersée de sept enfants. or, qu’est-ce qui réunit les familles?? Les mariages et les enterrements. On se retrouve donc pour enterrer le père. Le père, c’est donc le grand absent, et c’est aussi le soleil autour duquel gravite toute la fratrie. D’où le désarroi du clan et la remise en cause de tous les rapports familiaux. Ajoutons qu’il y a plus absent que l’absent: le père est certes mort, mais on ne parle que de lui, tandis que la mère est non seulement totalement absente mais jamais nommée, pas même une allusion! Juste un déni total, et on comprend que l’univers familial qui semble s’organiser autour de la figure du père, tourne en fait autour d’un trou noir, la mère.

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Avignon 2018 : « Kala », femme feu, femme volcan, femme libre

Texte Sergio Grondin, Audrey Levy, Léone Louis, m.e.s. Sergio Grondin

Perle la pluie entre larmes et fleurs de volcan dans la lumière sombre et claire d’un plateau habité tout entier d’une présence incandescente : c’est celle de Léone Louis, mise en scène par Sergio Grondin à la Chapelle du Verbe incarné. Elle est « de celles qui rêvent à voix haute, forte et claire d’un ordre du monde qui laisserait toujours ouvertes les interrogations sur le couple gémellaire altérité/identité. Elle le fait à partir de son identité de Léone Louis pour retrouver Kala, sa GrandMer Kal, une arrière arrière grand-mère réelle ou imaginaire, peu importe, aux yeux noirs d’ensorceleuse, aux amours inavoués, au corps de feu au désir d’envol malgré ses ailes bisées. GrandMer Kal est la figure de toutes les peurs, celle du volcan, du cyclone, de l’au-delà des mers. Elle est aussi la peur féminine des hommes, du colon bien sûr mais aussi des autres, du regard des semblables en servitude . Elle est sorcière qui porte en ses griffes colonisation et esclavage. Elle est aussi le fouquet prenant son envol libérateur, figure ambivalente présente dans les comptines murmurées aux oreilles des enfants.

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Avignon 2018 : « Badbug, texte de Vladimir Maïakovski, m.e.s. Meng Jinghui

—Par Michèle Bigot—

Le théâtre chinois arrive à Avignon; La Manufacture programme dans le off un spectacle de Meng Jinghui, figure emblématique de la scène contemporaine chinoise. L’un des metteurs en scène les plus influents de l’Asie et le pionnier du théâtre d’avant-garde chinois. Après avoir mis en scène des pièces du répertoire et des créations contemporaines, il se lance à la conquête de Maïakovski et ce n’est pas son moindre mérite, car qui en Occident aurait songé à représenter une pièce de Maïakovski? C’est donc un OVNI pour le spectateur français qu’une pièce d’un auteur soviétique révolutionnaire mise en scène par un chinois: quelle rencontre!
Il fait donc coup double: il dépoussière Maïakovski qui a quand même pris un sacré coup de vieux et il retrouve quelque chose d’une problématique oubliée chez nous depuis qu’on ne joue plus Brecht (ou si peu!): le sort du collectif, son articulation avec l’individuel.
L’intrigue: Prissypkine, ex-ouvrier et ancien membre du parti à la mentalité petite-bourgeoise, délaisse ses camarades ainsi que sa fiancée, Zoïa Berezkine pour se marier avec une bourgeoise, Elzévire Davidovna Renaissance.

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Avignon 2018 : « Cendres/Aske »

Cendres/Aske
Yngvild Aspeli/Plexus Polaire
Festival d’Avigon off 2018
La Manufacture

Inspiré du roman « Avant que je me consume » de Gaute Heivoll, le spectacle raconte les deux histoires parallèles d’un écrivain et d’un fils de pompier pyromane qui sévit dans le village de Finsland, au sud de la norvège. Car l’écrivain est obsédé par cette histoire: en 1978 au moment où il reçoit le baptême, l’incendiaire débute dans son entreprise criminelle. Double baptême donc, pour l’un dans la vie chrétienne, pour l’autre dans le crime. L’oeuvre scénique retrace ce double cheminement où l’un est le double inversé de l’autre. Au fur et à mesure que l’incendiaire s’enfonce dans sa pyromanie, le futur écrivain s’enfonce dans l’alcool. Il abandonne projets et études comme le premier abandonne sa famille. Et dès lors, c’est pour tous deux la descente aux enfers, dans l’abîme de l’addiction.
La thématique est saisissante, dostoievskienne, prise dans les brumes du grand nord; c’est une vraie leçon de ténèbres. La conception du spectacle épouse merveilleusement son objet: théâtre de marionnettes propre à rendre sensible sur le plateau toute forme de monstre.

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Avignon 2018 : « Maloya » : un superbe road movie identitaire

— Par Roland Sabra —

Maloya
de Sergio Grondin, Kwalud & David Gauchard

Troujours dans la veine inépuisable du théâtre documentaire, en provenance de La Réunion, la Compagnie Karanbolaz de Sergio Grondin offre au public avignonnais un petit bijou : Maloya. Le cadre est fixé dès la scène d’exposition. « Il y a deux ans à la naissance de mon fils […] Sael, un prénom hébraïque que veut dire conciliant […] je lui ai dit Bienvenue Saël, ta maman et moi on est heureux de te voir. […] Je n’ai pas tout de suite réalisé que je lui avais parlé en français.3 Alors qu’il parle créole quotidiennement à avec sa famille le «  voilà incapable de parler créole, comme si la naissance de son fils était venue annoncer la mort de (sa) langue maternelle. ». L’’enfant serait-il la mort des parents ?

Un trouble inexorable s’installe. Le défenseur de la créolité, élément fondamental de son identité, est submergé par un flot d’interrogations qui la questionnent. Le trouble est d’autant plus grand que Sergio Grondin partage la position glissantienne de la mondialité, inverse de la mondialisation qui met en évidence la relation et la diversité des cultures.

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Avignon 2018 : « Opal Une enfant d’ailleurs »

— Par Michèle Bigot —

Opal
Une enfant d’ailleurs
de et par Aline Karnauch et Jacques Kraemer
d’après des extraits du Journal d’Opal Whiteley, 1920 traduit par Antionette Weil

Comment faire un objet théâtral avec un récit autobiographique? C’est la question que se posent aujourd’hui nombre de metteurs en scène, comme si l’aventure d’une vie avait pris le relais de l’aventure des peuples. Cependant l’entreprise signée Aline Karnauch et Jacques Kraemer reste unique dans ce genre si fréquenté: d’abord parce que le texte d’où est tiré le spectacle est lui-même absolument singulier, ensuite parce que la genèse de ce texte et l’histoire de sa réception sont exceptionnelles. On est donc en présence d’un objet théâtral puisé dans un récit autobiographique dont la réception elle-même est déjà un roman: la mise en abyme est réalisée à trois niveaux, faisant de l’objet final une énigme littéraire dans son essence, dans le goût de la tradition baroque. En d’autres termes, un couple de metteurs en scène se penche sur le miroir que lui tend un texte d’une épaisseur dont on oserait dite, en revendiquant le jeu de mots, qu’elle est inédite.

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Avignon 2018 : »Joueurs, Mao II, Les Noms, »

Don Delillo,
Julien Gosselin
Si vous pouviez lécher mon coeur,
création Festival d’Avignon juillet 2018

Julien Gosselin s’est fait une spécialité de l’adaptation théâtrale de textes romanesques: depuis « Les particules élémentaires » qui lui a valu sa première grande reconnaissance publique, en passant par « 2666 » de Roberto Bolano créé l’an dernier à Avignon jusqu’à Joueurs, Mao II et Les Noms de Don Delillo: les paris qu’ils relèvent sont de véritables gageures, surtout les deux derniers, puisqu’ils s’agit de romans longs, touffus et complexes dans leur forme. Néanmoins on y retrouve des thématiques identiques, l’obsession de la violence, du terrorisme et de la sexualité. La littérature est pourtant sa thématique de prédilection. A ce titre Don Delillo est un excellent représentant puisqu’il concentre en son oeuvre toutes ces thématiques, réflechissant sur la répercussion des séismes politiques sur la vie de l’individu. « Joueurs » raconte l’histoire d’un couple qui verse de l’ennui et la monotonie de leur vie de hipsters des années 80 pour verser dans l’action violente , Mao II dont l’intrigue croise le sort d’un écrivain en mal de solitude et mêlé à contrecoeur au terrorisme libanais des années 90, et enfin « Les Noms », l’histoire de la recherche parun homme esseulé d’une secte violente tuant ses victimes en se basant sur l’alphabet dans les années 70.

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