Dimanche 29 Novembre 2015
Domaine de La Pagerie – 12h00
« Brunch Jazz »
China Moses
Cynthia Abraham Quintet
Charlotte Wassy Quintet
Maleïka Project
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China Moses
Cynthia Abraham Quintet
Charlotte Wassy Quintet
Maleïka Project
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Se confronter à Macbeth, c’est bien sûr se frotter à Shakespeare, mais indirectement se mesurer à Orson Welles ou Polanski. Pour son deuxième long-métrage, Justin Kurzel n’a donc pas choisi la facilité. Reste à savoir s’il parvient à se hisser sur les épaules de ces géants ou se contente de leur chatouiller les chevilles.
Son adaptation s’ouvre sur la bataille de Norvège, fait d’arme initial de Macbeth et source de sa chute. Dès cette introduction, le film nous plonge dans une suite de tableaux, séquences de combat au ralenti qui imposent immédiatement la puissance picturale de l’œuvre. On aura invoqué ici et là une mise à jour esthétique du chef d’œuvre shakespearien, qui ferait du pied aussi bien au Guerrier Silencieux de Winding Refn qu’à Game of Thrones. Si ces remarques ne sont pas à proprement parler inexactes, elles ne suffisent pas à rendre compte du geste de cinéma accompli par Kurzel.
Plus qu’une incarnation moderne ou « à la mode » de Macbeth, le metteur en scène s’échine à reproduire à l’image la fuite en avant, la fièvre et la démesure qui habite le couple mortel qui occupe dans la pièce le devant de la scène.
—Par Roland Sabra —
Le chaudron musical ? Elle n’est pas tombée dedans ! Elle est née dedans !
Le père ? Chanteur ! La mère ? Trompettiste ! L’oncle ? Contrebassiste dans le Denver Symphony Orchestra ! Le cousin George Duke ? Joueur de clavier ! Sa voix ? Elle l’a d’abord vécue comme une malédiction. Il a fallu qu’elle reçoive en cadeau d’anniversaire deux disques de Sarah Vaughan, l’un avec Clifford Brown, l’autre avec Michel Legrand, pour qu’elle découvre ce qu’elle pouvait en faire. Et ce qu’elle en a fait est une pure merveille à force de travail sur les conseils d’un mentor qui en avait formé plus d’un avant elle, parmi lesquels on compte Miles Davis, Qincy Jones. Excusez du peu. Ce trompettiste funambule Clark Terry, décédé en février 2015, lui dit un jour alors qu’elle avait seize ans, qu’elle était sur scène et multipliait les variations autour d’une chanson : « Apprends la mélodie ! »
Dianne Reeves dit aujourd’hui que jamais conseil ne fut suivi à la lettre avec autant de persévérance et d’humilité.
— Par Selim Lander —
Que faut-il pour faire du bon théâtre ? On l’a peut-être déjà écrit dans l’une ou l’autre de ces chroniques, mais cela vaut la peine de le répéter tant les compagnies d’aujourd’hui ont tendance à l’oublier. Rappelons donc la recette : un bon texte, une bonne mise en scène et de bons comédiens. Ces trois éléments étant présentés ici dans un ordre qui n’est pas hiérarchique (ils sont tout aussi nécessaires) mais simplement chronologiques : le texte existe avant que le metteur en scène ne s’en saisisse et qu’il le travaille d’abord seul puis avec les comédiens. Cela n’implique pas que ces derniers ne puissent avoir leur part dans la compréhension du texte, que des aller-retour ne soient possibles entre le metteur en scène et eux, de même que, si l’auteur est encore vivant, d’autres aller-retour ne soient possibles entre lui et ses interprètes, mais le schéma est grosso modo celui-là.
— Par Roland Sabra —
Cette question insistante et jamais close Chantal Loïal et Mathieu Groos l’ont un fois de plus dansée au visage des corps présents dans la salle Frantz Fanon dans l’injonction « Soyez vous-mêmes, tous les autres sont déjà pris. » ( Oscar Wilde) le titre donné à ce travail de résidence effectué au Domaine de Fonds Saint-jacques début novembre 2015. La danse n’est pas un langage. L’articulation de deux mouvements corporels n’est jamais clairement séparée. L’un précède et inclut l’autre qui lui même le porte en son sein. Les lieux du mouvement de la main s’imbriquent dans ceux des possibles mouvements du bras. Il n’y a pas de « gestèmes » équivalents aux phonèmes. La danse se présente comme un événement du corps, une présence au monde immédiate qui renvoie au balancement des corps d’avant le langage. Le fait pour Chantal Loïal et Mathieu Groos d’accompagner leurs danses de mots, ceux de leurs trajectoires singulières, de leur parcours de vie, souligne la séparabilité de leur registres expressifs.
— Par Selim Lander —
Quelques mots sur la pièce de ces deux danseurs chorégraphes, « Soyez vous-mêmes », car il serait dommage qu’elle sombre immédiatement dans l’oubli. Madinin-art sert aussi cela, à garder la mémoire des divers spectacles et manifestations culturelles qui ont eu lieu en Martinique. Son directeur, Roland Sabra, tient en effet à ce que les rédacteurs du site s’efforcent de couvrir tous les événements un tant soit peu notables, ceux qui leur paraissent réussis comme ceux qui, de leur point de vue, le sont moins. La critique n’étant pas un exercice entièrement objectif (même si elle l’est sans doute davantage qu’on le croit) les avis peuvent diverger à cet égard et c’est pourquoi il n’est pas rare qu’un même spectacle donne lieu à des commentaires opposés. Telle est la règle du jeu et cela doit simplement conforter le lecteur dans l’idée qu’il peut lui aussi avoir son avis et un avis divergent de celui (ou ceux) défendu(s) sur le site.
— Par Fara C. —
Une salle pleine, malgré tout. Malgré la peur et la peine. Mardi soir, artistes et spectateurs ont partagé un moment unique dans ce théâtre parisien qui a décidé de maintenir son festival. Compte rendu.
Sur le chemin des Bouffes du Nord, résonnaient en moi les vers d’Aragon, de la Diane française : « Mon pays, mon pays a des mares et j’y lis le malheur des temps… » En ce mardi 17 novembre, jour de lancement du 3e festival Worldstock, qui se consacre aux musiques d’ailleurs et honore l’altérité, il y a, sur le trottoir du Théâtre des Bouffes du Nord, autant de monde que d’habitude. On croirait presque qu’il s’agit d’une ordinaire soirée de concert. Sauf que la foule est d’un calme singulier. On remarque de nombreux professionnels, qui ont tenu à venir : Pierrette Devineau, directrice du Paris Jazz Festival, Alex Dutilh (émission Open Jazz sur France Musique), André Cayot (de la délégation à la musique au ministère de la Culture), Lilian Goldstein, directeur des musiques actuelles à la Sacem, l’écrivain spécialiste du blues Sébastian Danchin…
Lorsque Jowee Omicil, saxophoniste et compositeur, commence à jouer, en première partie d’Erik Truffaz, la salle est pleine, « hormis quelques spectateurs qui avaient prépayé leur billet et qui ne sont pas venus, mais pas plus que de coutume », précise Étienne Ziller, programmateur de Worldstock.
Au-delà-de la haine pointe lui aussi son objectif vers la violence d’un certain ordre social et moral. En septembre 2008, François Chenu est assassiné à Reims par trois skinheads homophobes. Ce film d’Olivier Meyrou, tourné à l’époque du procès, nous montre une famille désireuse, passée la douleur du choc, de se reconstruire autrement que dans la haine et la soif de vengeance ; il fait aussi une belle part à un avocat – celui du coupable – remarquable de cœur et de finesse dans son rôle de médiateur indirect entre les deux parties.
Notre avis : La lumière blanche qui hante le documentaire d’Olivier Meyrou souligne toute l’ampleur du drame qui a conduit à la mort de François Chenu : celui de l’intolérance et de la violence gratuite. Un soir de septembre 2002, dans un parc de Reims, trois skinheads tuent un homme parce qu’ils n’aiment pas les homosexuels. Sans parti pris, Olivier Meyrou relate la détresse d’une famille et révèle le dispositif judiciaire qui entoure le procès des meurtriers de François Chenu.
Étienne Minoungou ressemble à Mohamed Ali ; Dieudonné Niangouna et Jean Hamado Tiemtoré aussi. Si les deux premiers partagent des traits et une allure physiques, les quatre hommes ont en commun la combativité quotidienne que réclament l’affirmation de soi et le dépassement des frontières. Souple, agile et précis comme celui qui gagna des médailles sur le ring et la liberté depuis les tribunes, Étienne Minoungou entrecroise la parole de la figure mythique qu’est devenu Cassius Clay avec celle des créateurs africains d’aujourd’hui que sont, comme lui, l’auteur et le metteur en scène du spectacle. À « mi-vie », le Congolais Dieudonné Niangouna et le Burkinabé Étienne Minoungou entendent visiter l’engagement du boxeur et leur propre démarche.
Victorieux puis déchu, Mohamed Ali reconquiert son titre grâce à la ferveur collective qu’il a insufflée. Qu’en est-il des artistes africains qui, parcourant le monde, sont eux aussi les ambassadeurs d’un continent toujours mis au défi ? La pratique des hommes de culture, comme celle du boxeur, ne peut se départir d’une lutte politique. Le choix d’être africain et la décision d’en porter la fierté demandent de croire en soi et d’initier des actes de résistance.
Par Selim Lander
« La vie est trop courte : je l’approfondis par l’art », Valeska Gert
Très bonne surprise que ce Valeska and you, la performance d’une talentueuse Martiniquaise qui pourrait en remontrer à beaucoup de grandes. Un spectacle en « petite jauge », tous les spectateurs – chanceux d’avoir obtenu une place – installés pour la circonstance sur la scène de la grande salle de l’Atrium. On peut toujours se tromper mais si Annabel Guérédrat ne parvient pas à percer, c’est que de bien méchantes fées se seront mises en travers de sa route. Quoi qu’il en soit, merci à la nouvelle scène nationale de Martinique de nous l’avoir fait connaître (et l’on prend déjà des réservations pour son prochain spectacle !)
Son projet – évoquer le personnage d’une danseuse cabarettiste du Berlin des années vingt (juive de surcroît) – n’était pourtant pas a priori de ceux qui nous séduisent le plus. Il faut dire que nous avions été récemment échaudé, dans un lieu pourtant prestigieux, le Pavillon Noir de Preljocaj, à Aix-en-Provence, par la prestation d’une danseuse qui s’efforçait de faire revivre sans grand succès la comtesse de Castiglione, un personnage a priori intéressant (maîtresse des plus grands de son époque, dont l’empereur Napoléon III, puis choisissant une complète réclusion lorsque la beauté l’a quittée).
— Entretien réalisé par Pierre Barbancey —-
« Je pense que notre musique, le jazz, est liée aux autres formes populaires de musique. »
Ravi Coltrane, le fils de John Coltrane, saxophoniste lui-même, se produit en France à partir du 5 novembre. Rencontre à l’issue d’un concert à New York au mythique Village Vanguard.
New York (États-Unis), envoyé spécial. C’est au mythique club de jazz de New York le Village Vanguard (qui fête cette année ses 80 ans, créé en 1935 !) que nous avons rencontré Ravi Coltrane, à l’issue d’une semaine de sets. Dans cette même salle, son père, John Coltrane, a joué et enregistré des concerts qui restent dans les annales du jazz.
Pas facile de sortir de l’ombre de ce musicien génial. Et pourtant, Ravi y est parvenu avec le même instrument, le saxophone, en préférant aux orages de son de subtiles lignes mélodiques.
En 2015, est-ce que le jazz a la même place, la même importance dans la société qu’il pouvait avoir il y a quarante ou cinquante ans ? Qu’est-ce qui est différent ?
Ravi Coltrane C’est difficile à dire.
– Par Janine Bailly –
Valeska and you, présenté au centre d’un cercle magique sur le plateau de la salle Aimé Césaire, pour un public forcément restreint en raison de cette disposition particulière, ne ressemble à rien de ce que personnellement j’ai déjà pu voir dans le domaine appelé « danse ». Je pourrais donc qualifier cette performance à l’aide de l’expression « Objet artistique non identifié ». De ce moment intense, on ne ressort pas indemne, mais bien plutôt interpellé (ainsi que le suggère déjà le titre), secoué, bouleversé dans ses certitudes et ses convictions. Et si l’art a pour fonction de nous réveiller, Annabel Guérédrat, « lanceuse d’alerte » par son corps, ses paroles, ses chants, par les textes aussi qu’elle choisit de nous dire, atteint cet objectif au-delà de toute espérance !
Aux pourtours du cercle attendent vêtements, chaussures et accessoires qui seront tour à tour et à tour de rôle utilisés puis rejetés, certaines scènes étant interprétées seins nus, et cette nudité voulue, en écho à l’énergie déployée, apporte au spectacle une intensité, une poésie et une émotion accrues.
— Par Myriam Barthélémy —
Brillant hommage rendu à Paco de Lucia*, ce documentaire réalisé par son fils retrace le destin musical et artistique du génie de la guitare flamenco disparu en 2014. Avec les témoignages exceptionnels de Chick Corea, John McLaughin, Jorge Pardo ou encore Rubén Blades.
« Paco de Lucía no es ni flamenco ni músico, sólo tiene unos dedos listos« , cette citation du père de la guitare classique Andrés Segovia pourrait être le point d’entrée de ce magnifique documentaire dirigé par le propre fils de l’artiste Paco de Lucía.
Guitariste au talent exceptionnel, « Le » meilleur de tous le temps, ce qui frappe le spectateur c’est avant tout la force d’un homme effronté, audacieux, discret et doté d’une immense humilité qui a revendiqué toute sa vie et dans le monde entier ses racines andalouses et gitanes.
Parmi les mille mots, substantifs, adjectifs, qui pouvaient être choisis pour donner un titre à ce documentaire, pourquoi lui offrir seulement le mot « la busqueda » la recherche ? , ce mot sonne dans l’oreille du spectateur comme une ouverture, un désir à tout jamais inassouvi, celui d’atteindre la perfection absolue de la part de l’artiste lui-même.
Une mise en scène de Ricardo Miranda d’un texte de José Triana.
Avec :
Caroline Savard: Beba
Astrid Mercier: Cuca
Guillaume MaIasné: LaIo
Compagnie L’Autre bord
Résumé
Dans la cave de La maison familiale, Cuca, Lalo et Beba jouent à mettre en scène le meurtre de leurs parents. Victimes d’une éducation castratrice et répressive, ils utilisent le jeu symbolique pour soigner leurs plaies toujours béantes.
Ils créent un artefact théâtral dans lequel ils interprètent leur propre rôle, ceux des parents et aussi des personnages liés au présumé parricide de la rue Apodaca. Emprunter l’identité des autres personnages devient alors un moyen d’exorciser leurs démons et de révéler la nature et la genèse du conflit.
Mercredi 18 novembre à 19h30. Séances VO de Tropiques-Atrium à Madiana.
Apichatpong Weerasethakul – Thaïlande – 2h02 – 2015
Sélection Un certain Regard Festival de Cannes 2015
Synopsis :
Des soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil sont transférés dans un hôpital provisoire installé dans une école abandonnée. Jenjira se porte volontaire pour s’occuper de Itt, un beau soldat auquel personne ne rend visite. Elle se lie d’amitié avec Keng, une jeune médium qui utilise ses pouvoirs pour aider les proches à communiquer avec les hommes endormis.
Un jour, Jenjira trouve le journal intime de Itt, couvert d’écrits et de croquis étranges. Peut-être existe-t-il une connexion entre l’énigmatique syndrome des soldats et le site ancien mythique qui s’étend sous l’école ? La magie, la guérison, la romance et les rêves se mêlent sur la fragile route de Jenjira vers une conscience profonde d’elle-même et du monde qui l’entoure.
Samedi 21 novembre 2015
9h00-12h30 / 14h30-17h30 au Centre Rèpriz, 2 rue Dubouchage à Pointe-à-Pitre
SEMINAIRE : COLLECTE, ARCHIVAGE ET VALORISATION DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL : ENJEUX ET PROBLÉMATIQUES DU TERRAIN
9h-9h30 : Mots de bienvenue et tour de table
9h30-10h45 :
> La collecte du PCI à travers les actions de sauvegarde du Centre Repriz Intervention de Dominique Cyrille, Docteur ès Musicologie de l’Université Paris-IV Sorbonne, Maître de Conférence Department of African and African-American Studies, Lehman College – City University of New York (CUNY), Responsable de la mission Patrimoine au Centre des Musiques et Danses Traditionnelles de la Guadeloupe.
> La valorisation du PCI par la Médiathèque Caraibe (LAMECA) du Conseil Départemental de la Guadeloupe – Intervention de Gustave MICHAUX-VIGNES, Responsable de l’Espace Musique et Cinéma à la Médiathèque Caraïbe
> La collecte du PCI à travers les archives sonores : l’expérience de la phonothèque de la MMSH (Maison Mediterranéenne des Sciences de l’Homme) – Intervention de Véronique GINOUVES, Responsable des archives sonores de la MMSH – Aix-en-Provence, Ingénieure de recherche CNRS – 1re classe.
— Par Lazare, auteur dramatique, metteur en scène —
Aujourd’hui, je pense avec inquiétude à tous ceux, issus de l’immigration, qui ne cessent d’être stigmatisés, inévitablement excédés par la façon dont ils sont perçus. Les extrémistes m’inquiètent mais tout autant la fascination terrible qu’ils peuvent exercer, et le regard qu’on va poser sur ceux qui sont déjà séparés.
Il y a trois jours, j’ai tourné des séquences d’un film à Pantin, avec le cheval Arto et Olivier Martin-Salvan. Je savourais le plaisir d’être avec un cheval, un acteur généreux et Netty, Victorine et Nicos, parmi les gamins de Pantin. Un homme avec tous les signes du religieux est venu me voir et m’a dit : « Ça va être l’apocalypse. »
Il savait la catastrophe à venir.
Le jour était trop beau et, immédiatement dans ma peau, j’ai senti ses inquiétudes. Vendredi soir, j’ai pleuré et je me sentais succomber. Des hommes ont tué. D’autres sur le sol où palpite le sang, et la vie s’éloigne d’eux, les lèvres entrouvertes sur des dernières paroles d’incompréhension.
Je me réveille ce matin et ces événements se sont réellement passés.
— Par Michel Herland —
« Nous sommes les uns et les autres trop éloignés de soi-même, trop à la dérive dans les choses… c’est au sein des choses, de l’objet que nous nous retrouverons. »[1]
Frantz Fanon, Écrits sur l’aliénation et la liberté. Textes inédits réunis, introduits et présentés par Jean Khalfa et Robert Young, Paris, La Découverte, 2015, 678 p., 26 €.
Tous les Fanoniens, et au-delà tous ceux qui souhaitent mieux connaître le militant exemplaire de la lutte anticoloniale, le « guerrier-silex » de Césaire[2], vont devoir se précipiter sur un ouvrage désormais indispensable. Ce gros recueil présente les diverses facettes de l’œuvre de Fanon, à l’exclusion de l’homme intime : la médecine psychiatrique, la politique et – plus inattendue – la littérature, puisque il fut aussi, pendant ses années d’étudiant, l’auteur de deux pièces de théâtre (L’œil se noie et Les Mains parallèles). Les textes rassemblés dans ces Écrits ne constituent pas toujours des « inédits » au sens strict : une thèse de médecine est « publiée » et a fortiori les actes d’un congrès médical ou des articles d’El Moudjahid.
— Par Selim Lander —
Adapter Crime et Châtiment de Dostoïevski au théâtre : pas facile. Virgil Tanase, cet écrivain d’origine roumaine que l’on connaît par ailleurs pour ses romans, l’a fait et bien fait. Son adaptation qu’il a lui-même mise en scène enchaîne les principales scènes du livre sans aucun temps mort, les protagonistes de la scène suivante étant déjà présents sur le plateau lorsqu’une scène s’achève. Les costumes ont leur importance, s’agissant d’un texte de la fin du XIXème siècle. V. Tanase a demandé à sa costumière habituelle – il n’en est pas en effet à sa première expérience théâtrale – Doïna Levintza, roumaine comme lui, des « costumes d’époque simplifiés », comme cela est de plus en plus fréquent. Idem pour le décor. Le théâtre est fait de conventions et l’expérience prouve que celles-là sont facilement acceptées par le spectateur. Il serait d’ailleurs intéressant d’expliquer précisément pourquoi car cela touche à la nature même du théâtre, ce en quoi il se distingue essentiellement du cinéma (on n’imaginerait pas en effet un « film d’époque » avec des costumes et un décor approximatifs).
— Par Sylvain Siclier —
Célébré par Bob Dylan, Dr. John ou les Rolling Stones, le musicien s’est éteint le 9 novembre. Il avait 77 ans
Lors d’une rencontre, en 1993, notre confrère Thomas Sotinel avait qualifié Allen Toussaint de » personnage central de la musique noire-américaine « . Le pianiste, chanteur, producteur, arrangeur, orchestrateur et auteur-compositeur, mort lundi 9 novembre, à l’âge de 77 ans, à Madrid, avait de fait à son actif plusieurs centaines de chansons – dont une majorité enregistrées par d’autres que lui – et des collaborations avec tous ceux qui comptent dans sa ville natale, La Nouvelle-Orléans (Louisiane).
Et parmi d’autres vedettes de la pop et du rock, Paul Simon, Bob Dylan, Paul McCartney ou Elvis Costello l’ont régulièrement célébré. Les raisons de la mort du musicien, survenue après un concert de sa tournée européenne, n’ont pas été indiquées dans le communiqué diffusé par sa famille.
Auréolé de la reconnaissance de ses pairs, suivi par un public d’amateurs, Allen Toussaint reste pourtant un musicien peu connu en dehors de son pays. Sa discographie personnelle est peu abondante, une quinzaine d’albums sous son nom comme instrumentiste et chanteur depuis le premier, From a Whisper to a Scream en 1970.
— Par Roland Sabra —
« La théâtralité, c’est le théâtre moins le texte ». On connaît la formule, approximative et qui dans ce raccourci déforme la pensée de son auteur plus attaché qu’il n’y paraît à l’équilibre entre scène, texte et présence du spectateur. Qu’un de ces trois pôles disparaisse, s’effondre ou simplement faiblisse et il n’y a plus de représentation théâtrale. C’est qui est arrivé à « Des doutes et des errances » la pièce de Gerty Dambury, mise en scène par Jalil Leclaire et présentée au public martiniquais le 07/11/2015.
Peu après la grande grève de 2009 en Guadeloupe Gerty Dambury écrit une pièce de théâtre « Les Atlantiques amers » dans laquelle sept personnages échangent, s’interrogent s’affrontent, de part et d’autre de l’océan, à propos de ce mouvement qui dans son antienne « « La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo, yo péké fè sa yo vlé an péyi an nou » pose clairement faute de pouvoir y répondre la question de l’identité. Qui est ce « nou » ? et par conséquence qui est ce « yo » Quelles en sont les composantes ?
— Entretien réalisé par Victor Hache —
Le rappeur-slameur, qui a grandi dans le quartier de Neuhof à Strasbourg, continue d’ouvrir des voies originales et sort « Scarifications ». Un album au flow détonnant, réalisé par le DJ Laurent Garnier, qui mêle hip-hop radical aux contours littéraires et musiques technoïdes teintées de spleen.
Depuis les débuts de sa carrière solo, l’ancien membre du groupe de rap NAP ne cesse d’étonner par son talent et son inventivité. Il le prouve une fois encore avec un nouvel album, Scarifications (Label Pias.) où se mêlent scansion hip-hop et musique électronique. Soit un rap qui claque, un flow radical aux contours underground, où Abd Al Malik fait vibrer les mots comme jamais, galvanisé par l’univers électro du très créatif Laurent Garnier. Ici, rien n’est plaqué. Tout n’est que fusion et dialogue entre deux planètes où sonorités technoïdes et rap dessinent des territoires emplis de pépites. Un registre bouillonnant qui sollicite constamment l’auditeur par des rimes aux nombreuses références littéraires et un verbe détonnant où la surprise est constante, avec, en prime, deux beaux hommages à Daniel Darc et à Juliette Gréco.
Compagnie TADA avec :
Serge Le Lay, Thibaut Wacksmann, Arthur Toullet, Morgan Perez, Laurence Guillermaz , Liana Fulga, Noémie Daliès, Laurent Le Doyen, Barbara Grau
Résumé
Un meurtre odieux a été commis. Porphyre Petrovitchi, juge d’instruction, soupçonne un jeune étudiant en droit, Raskolnikov, qui, dans ses articles, exalte le crime au bénéfice d’une cause supérieure. Plutôt que de le confondre sur le terrain du droit, vulgaire et insignifiant, qui transforme l’enquête en un jeu où gagne le plus habile dans la manipulation des arguments, par un processus aussi palpitant qu’une intrigue policière, il conduit le suspect vers ces zones de la conscience où le meurtre est insupportable car il détruit la raison d’être de l’homme en tant qu’homme. Autour de ce noyau, gravitent plusieurs personnages dont chacun offre une image édifiante de la difficulté de vivre, et dont le destin particulier parlicipe au cheminement qui conduit Raskolnilkov aux aveux. De la mort d’un ivrogne qui rêve du pardon de Dieu à la folie de sa femme, de la passion amoureuse de Svidrigaïlov, qui finit par se tuer, à la détresse de Sonia, obligée de se vendre pour secourir ses parents, et de l’exaltation de Raskolnikov à celle de sa sæur qui tire deux balles de revolver sur l’homme qu’elle aime justement parce qu’elle l’aime, il est rare de trouver en littérature – et sur scène également – un tel tableau d’une
condition humaine d’autant plus tragique qu’elle est l’expression de I’impuissance des individus de vivre selon le grain de lumière qui est en eLlx et qu’ils considèrent cornme leur bien le plus précieux.
Poète, dramaturge et metteuse en scène, elle est née à Pointe-à-Pitre. Son écriture, marquée par son pays, décrit un pays qui oscille entre colère, violence, folie et indulgence, sourires devant l’adversité. Directrice artistique de la La Fabrique insomniaque, elle a publié une dizaine d’ouvrages.
Suzanne, Lucie et Jo – trois amis de longue date, comédiens et auteurs/metteurs en scène, vivant à Paris – se retrouvent pour répéter une nouvelle pièce, Les Atlantiques amers, qui traite essentiellement d’un grand mouvement social ayant eu lieu dans leur pays d’origine, la Guadeloupe.
C’est l’occasion de se redire leur affection mais aussi de laisser éclater les tensions qui règnent entre eux, les jalousies, leur colère, leur frustration de ne pas voir émerger ce dont ils rêvent tant dans le monde clos du théâtre que sur la scène politique et sociale de ce pays aimé à distance.
La crise a pour point de départ cette « vérité » qui, pour Suzanne, divise le monde en deux parts irréconciliables : « eux » et « nous ».
— Par Michèle Bigot —
Le spectacle est précédé d’une rencontre avec Ludwig Flaszen, animée par Georges Banu, avec Thomas Richard et Jaroslaw Fret. La rencontre est suivie de la projection de la captation cinématographique d’Akropolis, mis en scène par Jerzy Grotowski, à Wroclaw en 1962.
Grotowski aujourd’hui encore
La rencontre organisée par Ph. Adrien autour de Ludwig FLashen est un hommage à Grotowski, dont l’occasion était offerte par la publication du livre de L. Flaszen intitulé Grotowski et l’invitation au Théâtre de la Tempête de la « performance theâtrale » de Jaroslaw Fret. L. Flashen, critique dramatique et écrivain, est une des personnes les plus autorisées à témoigner de l’histoire et des pratiques théâtrales de Grotowski, puisque, dans les années 1950, il fut avec lui à l’origine de la création du Theâtre des 13 rangs à Opole, qui deviendra le Teatr Laboratorium. C’est donc un grand moment d’émotion pour les spectateurs parisiens d’assister à cette rencontre et d’entendre de vive voix ses souvenirs et son témoignage. C’est aussi l’occasion de constater que la voie ouverte par Grotowski est poursuivie par ses disciples non moins en Pologne (ce dont témoigne le travail de Jaroslaw Flet autant que ses propos) que dans l’ensemble de l’univers du théâtre occidental.