— Par Yves-Léopold Monthieux —
Le moment approche où les Martiniquais se lasseront de la chronique permanente qui met en scène les rapports entre les hommes politiques et les békés. Il est de règle pour les partis politiques de gauche d’afficher leur détestation de ces Martiniquais, lesquels sont porteurs, selon eux, de la triple tare de descendants d’esclavagistes, de patrons capitalistes et de Blancs pays. Il y a peu de martiniquais qui, à l’un de ces titres ou aux 3 à la fois, ne pourraient pas trouver matière à poursuivre cette aversion qui instille le discours de la société martiniquaise. Sauf que tout le monde se fatigue et qu’au moment où chaque citoyen tient en permanence à la main un appareil photo enregistreur, il devient impossible de camoufler les contradictions. Les instruments qui ont trahi le vieil homme sont les mêmes qui trahissent ceux qui le condamnent. Il ne suffira plus de posséder en douce, honteusement, son « bon béké » ou son « bon métro » tout en stipendiant la gente des békés et celle des métropolitains. Halte à l’hypocrisie : les hommes publics se verront de plus en plus obligés de parler vrai.
En cette situation de faillite des idéologies, ceux qui les ont portées en pure perte depuis 50 ans voudraient absolument leur survivre, indifférents à leur responsabilité de bergers qui se sont trompés et ont trompé le peuple. Pour tenir ce qui leur reste de troupes, et qui conditionne leur raison d’être, ils se raccrochent à des idées archaïques dont la compréhension est plus facile à obtenir en ce qu’elles touchent à l’épidermique. Or on sait que dans ce pays le grattage de l’épiderme est un sport national. De même qu’il ne se passe pas de jour, en France, sans qu’on ne parle du temps qu’il fait, les allusions à la couleur de la peau et à la chevelure fait partie du quotidien martiniquais.
Bien entendu, les comportements sont différents entre ceux qui ont des contacts avec les békés et ceux, la grande majorité, qui n’en ont pratiquement jamais avec cette minorité de 1% de la population martiniquaise. S’estimant peut-être à l’abri de toute « contamination », les dirigeants politiques et les directeurs de conscience, ceux qui prêchent et montrent le chemin, font partie des premiers. Ils y trouvent parfois leurs meilleurs amis. Il est vrai que l’interdépendance des responsabilités politiques, économiques et des ambitions artistico-littéraires est telle que de véritables relations, voire des amitiés, donc, naissent entre les békés et ceux qui, par ailleurs, font métier d’arborer des postures destinées à tenir leurs troupes ou leurs fidèles en émoi.
Il n’est pas besoin de remonter au-delà de l’époque où ce secrétaire général d’un parti politique, parvenu aux responsabilités, avait entrepris (le propos est de lui) de voir ce que les békés avaient dans le ventre. « Il y est allé et y est resté », avaient raillé ses adversaires. Ce chèque émis à l’ordre du PPM, brandi dans un geste théâtral à la télévision par Alfred Marie-Jeanne, n’avait pas arrangé les choses. Depuis, celui-ci n’a pas manqué de se faire des amis dans le monde des entreprises. Mais c’est encore son adversaire qui, aux dernières élections, était réputé avoir le soutien du monde économique, comme on dit pudiquement pour désigner les békés. A Case-Pilote, on tient probablement l’un des derniers épisodes de l’histoire de ce béké, mis en scène depuis qu’il s’était imprudemment dévoilé dans un entretien à la presse nationale. La Cour de cassation l’a mis hors de cause, pas les rumeurs de la rue auxquelles la plupart des hommes politiques obéissent.
Au cours de la fête patronale de la commune dirigée par Ralph Monplaisir, il a été décerné à Alain Huygues-Despointes une distinction honorifique. Elle fut remise en présence notamment du président de la CTM, Alfred Marie-Jeanne, président d’honneur de la manifestation, et du président de l’assemblée, Claude Lise. Saisissant l’occasion pour dénoncer une coupable collusion de ses adversaires avec l’ennemi, le tout nouveau secrétaire général du PPM se fendit d’un communiqué de protestation. Sauf qu’il fut informé plus tard – trop tard, peut-être – qu’en présence de tout ce beau monde, la distinction fut remise à l’industriel martiniquais par son maire, le sénateur-maire du François, Maurice Antiste. Or celui-ci n’est autre qu’un des barons d’Ensemble pour une Martinique nouvelle (EPMN) présidé par le patron du PPM, Serge Letchimy.
Aussi bien, après la participation des békés à la commémoration du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, à Trénelle, ainsi que la rencontre d’Aimé Césaire et Bernard Hayot autour du Courbaril de l’Habitation Clément, la date du 15 août 2016, à Case-Pilote, pourrait se révéler une étape importante de la normalisation des rapports entre martiniquais. Tout le monde se tient par la barbichette.
Quels arguments crédibles, en effet, pourront avoir les uns et les autres pour se reprocher mutuellement des rapports prétendument interdits et surtout continuer de soumettre la population martiniquaise à leurs discours hypocrites ?
A vrai dire, il y a que les békés qui puissent rassembler tous les élus martiniquais. Tous ensemble à Case-Pilote, ou presque. Bref, il semble bien que « Tous Créoles » soit en train de gagner son pari.
Yves-Léopold Monthieux, le 22 août 2016