Présentation de « Carnaval dans la République« , une satire drôle et pertinente du système politique et électoral dans nos territoires. Mais aussi le récit palpitant d’une course au pouvoir.
Nika Yiyite a occupé des postes à responsabilités dans divers ministères, dont celui des Outre-mer, puis dans l’administration territoriale ultramarine. Curieuse des autres et de leur culture, Nika Yiyite a voyagé en Asie du sud-est, en Europe orientale et dans diverses républiques de l’ex-Union soviétique. C’est sa longue immersion dans « la France du large » qui lui donne envie d’écrire Carnaval dans la République, son premier roman
Ce roman oppose deux hommes politiques ambitieux, Béranger et Délhi qui rêvent d’occuper le fauteuil de Négus, – le vieux maire de Port-la-Rivière, la capitale de l’île-Volcan, – qui a décidé de quitter son poste.
C’est un brillant intellectuel, qui a écrit des ouvrages reconnus mondialement. Il a suffi qu’il décide de prendre sa retraite pour attiser la rivalité et provoquer le choc des ambitions entre Béranger et Délhi, deux hommes du même parti que Négus, qui s’appréciaient jusque-là et qui deviennent ennemis mortels parce qu’ils veulent tous deux s’emparer du poste du patriarche.
Le récit est court, intense, façonné de mille rebondissements. Cette Volcanie, île imaginaire est celle de tous les outremers, mais plus sûrement encore celle de toutes les détresses et de toutes les ambitions humaines, le combat politique y est farouche.
Carnaval dans la République se déroule en effet dans une île tropicale, volcanique, baignée par un océan qui pourrait être l’Océan Atlantique, l’Océan Indien, ou l’Océan Pacifique.
Ce territoire, qui a connu l’esclavage et la colonisation se caractérise par la beauté de ses paysages, sa faune et sa flore prolifiques. Les voyageurs venus de la vieille Europe, ont toujours été charmés par ses grillons, ses colibris, sa canne à sucre, ses ananas en fleur, sa vanille, ses alamandas, ses plages de sable blanc et noir bordées de cocotiers, ses couchers de soleil.
Derrière ce décor paradisiaque, une jeunesse privée de travail et d’espoir, une population souvent installée dans la précarité et le fatalisme, vivant aux côtés de riches possédants, offrent à la classe politique locale un ferment pour nourrir et assouvir ses ambitions de pouvoir. Même si cela doit être au prix de la démagogie, de la manipulation et d’implacables violences.
Alors on y crée un Office du Bien-être, chargé des questions sociales de l’île. Sa mission : trouver du travail aux trop nombreux chômeurs de la Volcanie. Mais le fondateur de cet établissement, Alain Béranger, un politicien local qui convoite le poste de maire va instrumentaliser ce service pour tenter de gagner le combat électoral. Il n’hésite pas un instant à se servir de Jean Mervil, le directeur de cet office qui se trouve bien vite, et à contrecœur, mêlé à une farouche et sanglante campagne électorale.
Le lecteur n’est pas déçu, rien n’y manque, ni la magie noire, ni la violence, ni les petits arrangements sordides. Bref un thriller politico-policier bien construit et plein d’empathie pour tous ces petites gens dignes et pleins d’espoir que les politiciens exploitent et manipulent. Pourtant ce livre n’est pas un récit à charge mais bien une satire tragique, drôle et pertinente. En somme, un rappel que le goût du pouvoir compose très mal avec la morale et les idéaux.
De fait, après plus de cinquante ans de règne, Négus et son parti démocratique national (PDN), tout entier mobilisés dans leur lutte contre le pouvoir central plutôt que d’agir pour le bien de leurs électeurs, laissent en héritage à la génération montante, un Port-la- Rivière rongé par la misère, le chômage, le dénuement d’une grande partie de la jeunesse, livrée à ses dépens, à toute sortes de démagogie politicienne. Celle de Béranger bien sûr, mais aussi celle de Délhi qui conduira à la mort d’un malheureux, entraîné bien malgré lui, dans cette guerre de politiciens aux égos surdimensionnés.
Car, tout au long de ce roman, ce qu’il nous est donné à voir, ce sont les agissements de trop de politiciens qui abusent de leur pouvoir. Et le constat est triste. L’autorité dont ils sont revêtus ne sert pas à l’amélioration du sort des populations. Tout à leur ambition, ils ne travaillent qu’à satisfaire leur égo. Violence, ruse, mensonges, trahisons, instrumentalisation des fonctionnaires et des services, sont leurs armes préférées. Rarement l’intérêt général des populations les guide. Leur politique amène trop souvent des catastrophes sociales : chômage, violence, illettrisme, mal-logement.
La lecture de Carnaval dans la République terminée, on se prend à espérer que cette part d’ombre des hommes politiques s’estompe pour laisser la place à une île-Volcan où s’activeront enfin des élus plus vertueux, plus sensibles au bien-être, à la santé en un mot, au bonheur de la population. Une île où les décisions solitaires, le clientélisme, la domination sans partage, l’autoritarisme exacerbé disparaîtront pour laisser place à la concertation, au respect de l’autre et surtout à la prise en compte sans démagogie des besoins de la population.
Quelques précisions
Négus : son vrai nom est Charles Tanguy. Mais la population de l’île l’a surnommé Négus, en souvenir du combat antifasciste mené par le Négus Hailé Sélassié, chef de l’Etat d’Ethiopie, le seul état africain noir, qui n’a jamais connu la colonisation.
En effet, en 1936, l’Italie fasciste envahit l’Ethiopie.
Le Négus Hailé Sélassié va se dresser à la tête de ses troupes contre l’envahisseur italien.
Le combat du Roi des Rois lui vaudra, bien au-delà de l’Ethiopie, l’admiration de la population de l’île-Volcan. Celle-ci reportera cette affection sur Charles Tanguy (qui mène aussi un combat pour la libération des déshérités de l’histoire) en le surnommant Négus dès sa première élection à la mairie de Port-la-Rivière.
Il préside le Parti Démocratique National, (le PDN), parti de gauche. Le budget municipal manque nettement de moyens et la gestion de la capitale s’en ressent fortement. (Pages 17 et 18)
Béranger est l’homme politique le plus en vue dans l’île Volcan après Négus. Issu de la moyenne bourgeoisie volcanienne, vétérinaire, il est le premier adjoint au maire Négus et à ce titre, un membre éminent du PDN.
Il est en outre, Président du Conseil Territorial, la principale assemblée politique de l’île, qui dispose d’importants moyens financiers et matériels. Il sera candidat à l’élection municipale.
(Page 51)
Délhi, issu d’une famille pauvre, a bénéficié dans sa jeunesse, des bienfaits de la municipalité de Négus. Il a grandi dans le culte du vieux maire. Et tout naturellement, après des études en droit, il a rejoint son parti, le PDN. Proche des jeunes des quartiers déshérités de la capitale, à force d’efforts et de manœuvres il a réussi à supplanter Béranger dans le cœur de Négus. Et c’est lui que le vieux maire désignera comme son dauphin.
(Pages 60, 61, 62)
Un autre personnage joue un rôle important dans ce roman. C’est Jean Mervil, le directeur de l’Office du Bien-être (OBE), un établissement social que Béranger a créé pour donner du travail aux chômeurs. Mervil, venu tout droit de Bruxelles est un fonctionnaire rigoureux qui va s’opposer aux méthodes électorales, peu orthodoxes de Béranger qui va l’instrumentaliser ainsi que tout le personnel de l’OBE. Béranger qui ne réussit pas à prendre la Mairie malgré le clientélisme et toutes ses manœuvres rendra Mervil responsable de son échec et le renverra. La grève générale qui sera déclenchée peu après son renvoi, obligera à le réembaucher.
(Pages 11, 12,13)
Le récit commence quand Béranger, le premier adjoint, apprend que le vieux Négus qui jusque-là, lui avait fait croire qu’il serait son successeur à la tête du Conseil Municipal, désigne Délhi à sa place (pages 51, 52, 53,54).
Pris d’une rage folle, Béranger démissionne de son poste de premier adjoint et engage toute une série de mesures de rétorsion contre Négus.
(Page 54 à 57)
Mais malgré tout cela, il ne réussira pas à prendre le leadership dans la ville.
Une fois la campagne électorale engagée, il mettra tout en œuvre pour rester maître sur le terrain. Il défiera Négus en organisant un grand meeting de fin de campagne, presque sous sa fenêtre. Mais l’opération dégénèrera en une sanglante échauffourée, au cours de laquelle, Galfi, son garde du corps sera tué (pages 184 à 192).
Béranger défait, imputera son revers à la trahison des TORV, – (travailleurs œuvrant au redressement de l’île-Volcan, terme pompeux pour désigner des chômeurs qu’il avait aidés)-, et à Jean Mervil qui serait resté neutre durant la campagne. Béranger licenciera Mervil et les TORV (Chapitre 64.)
Mais ces mesures répressives signeront la chute de Béranger.
Déjà, le premier ministre, Pierre Solter qui un temps avait soutenu Béranger va le lâcher à l’issue d’une visite dans l’île qui tourne au fiasco. (Chapitre 68)
Les licenciements prononcés par Béranger entraîneront une grève générale longue (chapitre 71). Béranger devra démissionner sous la pression de Solter et sera contraint de quitter l’île-Volcan (chapitre 81).