— Par Selim Lander —
Dans l’une des séquences de Captain Fantastic (au titre bien mal choisi), on entend une petite fille de huit ans rappeler que le free speech est un droit constitutionnel aux Etats-Unis. Rien n’illustre mieux le principe que ce film qui dénonce le consumérisme et le laxisme de l’éducation moderne, qui pointe du doigt la laideur des obèses, ridiculise les croyances des adeptes du christianisme et qui va jusqu’à bafouer le tabou du respect dû aux morts en montrant un père et ses enfants dansant, après l’avoir déterré, autour du cadavre de la maman bien-aimée en train de se consumer sur le bûcher qu’ils viennent d’allumer, avant de se conformer aux dernières volontés de la défunte en jetant ses cendres dans la cuvette des toilettes d’un aéroport. A-t-on jamais vu un film qui invoque les fondements juridiques de la démocratie américaine pour s’attaquer aussi directement à des valeurs de la classe moyenne aussi intangibles que la Bible ou le capitalisme ?
Captain Fantastic commence comme un conte de fées. Un père et ses six enfants vivent une existence de Robinsons dans la forêt. Là – à défaut du luxe et de la volupté – tout n’est qu’ordre et beauté : les enfants, menés à la baguette par un père sévère mais juste, s’exercent très tôt à la chasse à l’arc ou à mains nues, et accumulent une culture qui impressionne tout en aiguisant leur esprit critique. On ne fête pas Noël dans cette famille mais « le jour de (Noam) Chomsky » !
Quelque chose manque ou plutôt quelqu’un. Malade nerveusement, la mère a dû quitter la vie sauvage. Lorsqu’on apprend son suicide, toute la famille monte dans un vieil autocar aménagé en caravane et commence alors une séquence road movie qui est la partie la plus drôle du film avec la rencontre du monde « civilisé » (coca-cola et monstres en surpoids) par les enfants, le premier choc amoureux de l’aîné des garçons, etc. Faire respecter les dernières volontés de la défunte s’avèrera cependant plus difficile que prévu (cf. supra).
Le film est si peu manichéen qu’il se termine sur une note ambigüe : s’éloigner du monde réel (comme on disait le « socialisme réel ») n’est peut-être pas la solution idéale pour préparer des enfants à mener une vie heureuse, aussi bien formés soient-ils aux plans physique et intellectuel. Le film apporte sa réponse, à la fin : de quoi nous laisser réfléchir.
En dehors de la critique frontale de certaines tares de la civilisation états-unienne (conjonction paradoxale du matérialisme et de la bigoterie), Captain Fantastic fascine de bout en bout par ses qualités cinématographiques. Même si les séquences dans la nature, au début, sont un peu trop belles pour être vraies, avec leur côté boy-scout hippisant, tous les membres de cette nombreuse famille existent individuellement et l’on s’intéresse immédiatement à chacun d’eux. C’est sans doute pourquoi la suite nous captive autant, en dépit des excès dont on a donné une idée plus haut.
La photo, pourtant, n’a rien de particulièrement original, au point qu’on a souvent une impression de déjà vu. Par contre on ne peut qu’être séduit par la direction d’acteurs de Matt Ross (également auteur du scénario et des dialogues). Les enfants sont bons comédiens, on le sait : c’est encore le cas ici. George MacKay campe un fils aîné gentil, pâle (quoique costaud) et naïf, en décalage avec une atmosphère familiale où rudesse (genre Into the Wild) rime avec tendresse. Frank Langella qui joue le grand-père oscille au fil du scénario entre rigorisme et compréhension. Enfin le père est interprété magistralement (le terme s’impose en l’occurrence) par Viggo Mortensen (déjà remarqué dans On the Road de Walter Salles, etc.) qui trouve ici un rôle parfaitement à sa mesure.
Prix de la mise en scène, Un Certain Regard, Cannes 2016
Prix du jury et prix du public, Deauville 2016