— Par Roland Sabra —
Candide : Croyez-vous que les hommes se soient toujours mutuellement massacrés comme ils le font aujourd’hui ?
Martin : Croyez- vous que les éperviers aient toujours mangé des pigeons quand ils en ont trouvé ?
Candide : Oui, sans doute
Martin : Eh bien ! si les éperviers ont toujours eu le même caractère, pourquoi voulez-vous que les hommes aient changé le leur ?
Lire Candide aujourd’hui c’est plonger dans l’actualité. Candide et Pangloss, Cunégonde et Paquette, Martin et Cacambo ? Des guerres, des atrocités, des régimes totalitaires ou illusoires, le règne de l’obscurantisme et du fanatisme religieux, des tremblements de terre, des inquisiteurs, l’Europe centrale, Paris, Lisbonne, Buenos-Aires, l’Eldorado, Constantinople, Venise, partout Candide tombe de Charybde en Scylla. Et ce parcours est un « Voyage au bout de la nuit. » Tout comme il y a du Candide chez Bardamu il y a aussi, anachronisme mis à part, du Bardamu chez ce Candide. Cette même perte de l’innocence.
Voltaire, considéré comme un des plus grands dramaturges européens en son temps ne survit sur les tréteaux que par ce Candide mille et une fois adaptés depuis sa parution. A se demander si somme toute Candide ne serait pas la meilleure pièce de théâtre de Voltaire ? Bien sûr se pose alors ce problème de la transposition d’un texte qui emprunte au conte, au roman d’aventure, voire picaresque fût-ce pour les critiquer. Guy Giroud pour la Cie Marbayassa a su éviter plusieurs écueils.
Un griot, un narrateur, assure la transition entre les scènes. Il a fallu faire des coupes dans le récit pour ne pas l’alourdir, sans pour autant rompre le fil conducteur. Ensuite il y a avait le risque de tomber dans une collection de vignettes illustratives de la narration sans beaucoup d’intérêt théâtral. Ce danger est en grande partie écarté. La vivacité du style voltairien, cette aptitude à passer d’un thème à l’autre, cette fulgurance de l’image, cette écriture qui joue tout autant, si ce n’est plus de l’implicite que de l’explicite et qui contraignent le lecteur à réfléchir, quand ce n’est pas à penser, sont joliment mises en valeur par un refus, nécessité oblige, d’attribuer à un comédien un seul rôle. Tous les personnages sont incarnés par une poignée d’acteurs qui en coulisses troquent tenues et rôles avec rapidité, sautent d’un personnage à l’autre tout comme Voltaire use de rebondissements, et ballade Candide d’un pays à l’autre, d’une situation romanesque à une autre.
Au delà de quelques imperfections, de quelques inégalités de performances parmi les comédiens la qualité première du travail de la Cie Marbayasssa est la fidélité à l’œuvre voltairienne. Candide écrit tout juste un an après une tentative d’assassinat de Louis XV dont on ne sait toujours pas si elle fût l’œuvre de jansénistes ou de jésuites est une dénonciation de la vison béate d’un monde qui serait la création parfaite d’un Dieu omnipotent, incarnation lui-même de la perfection absolue. Si l’existence d’un « grand horloger » n’est remise en cause, l’entretien et la mise à l’heure de l’horloge relèvent avant tout des hommes eux-mêmes. Par ailleurs cette guerre entre jésuitisme et jansénisme dénoncée à mots couverts pour échapper à la censure, n’aurait-elle pas-elle pas comme échos une autre guerre plus actuelle entre sunnisme et chiisme ?
C’est avec une grande économie de moyens, trois bâtons et autant de boites que la troupe de Marbayassa, s’approprie le texte de Voltaire et nous dit qu’il s’agit là d’un bien commun. Elle le fait avec une vivacité, un élan, un rythme, un jeu physique, un souci de l’expression corporelle, des chants et des danses qui conduisent le spectateur à une re-connaissance d’un texte si connu par ailleurs. Ce faisant mine de rien, sans en avoir l’air la Cie ce Candide africain aborde et pose comme si de rien n’était des questionnements autour de ces thèmes qui nous traversent, ceux du semblable et du différent, de l’identité et de l’altérité, du relativisme et de l’universalisme.
Rien d’étonnant à ce que des applaudissements, longs et chaleureux, aient salué ce travail et au delà l’ouverture réussie de la saison 2016-2017 de Tropiques-Atrium, Scène nationale.
Fort-de-France, le 16/10/2016
R.S.
Candide, l’Africain
Adaptation & Mise en scène : Guy Giroud
Avec : Jules Gouba, Wilfrid Ouedraogo,
Haoua Sangaré, Justin Ouindiga &
Léon Zongo
Musicien : Drissa Dembélé
Régisseur : Georges Riolo
15/10/2016
Tropiques-Atrium
Fort-de-France