… sous le manteau d’une ritournelle publicitaire
— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
« Camoufler » : Déguiser en masquant, de façon à rendre méconnaissable ou invisible. Cacher une défectuosité, parfois frauduleusement. 19e siècle. Probablement dérivé du radical de camouflet, la notion de « dissimulation » étant issue de celle de « fumée ». (Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition)
Le Fonds national de l’éducation (FNE) mène actuellement une campagne publicitaire sur les ondes de plusieurs stations radio de Port-au-Prince et des grandes villes de province. De l’avis de plusieurs observateurs, cette campagne se distingue par son amplitude nationale et par l’insistante réaffirmation de l’étendue des domaines d’intervention du FNE dans le secteur de l’éducation en Haïti. L’on observe que cette nouvelle campagne du FNE se déploie à l’aune d’une implicite « fabrique du consentement » dont l’objectif est : (1) de tenter une fois de plus d’obtenir la confiance du public relativement à l’action du FNE et suite à la récente perquisition effectuée par l’Unité de lutte contre la corruption dans les locaux du FNE ; (2) de tenter encore une fois de justifier la légitimité de l’action du Fonds national de l’éducation : cette justification est d’autant plus nécessaire que la direction du Conseil d’administration du FNE est assurée, selon la loi, par le ministre en titre de l’Éducation nationale ; et (3) de faire le plaidoyer du rôle du FNE comme principale sinon exclusive institution haïtienne de financement du système éducatif national.
Pour bien comprendre et mettre en perspective l’argumentaire exposé par le Fonds national de l’éducation dans sa nouvelle campagne publicitaire, il est utile de rappeler en quoi consiste la mission du FNE. Il est également nécessaire de situer le contexte de la récente perquisition effectuée par l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC) dans les locaux du FNE. Au fil de l’analyse, il sera fort instructif de mettre en lumière et de démontrer que l’actuelle campagne du Fonds national de l’éducation vise à banaliser et à occulter la réalité de la corruption qui a encore cours en son sein et, dans le droit fil de la sous-culture de l’impunité, à contrer et surtout à neutraliser l’action de l’Unité de lutte contre la corruption.
Mission du Fonds national de l’éducation selon la Loi du 17 août 2017
Le Fonds national de l’éducation a débuté ses opérations sans cadre légal en 2011 à l’initiative des deux principaux caïds du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, Michel Martelly et Laurent Lamothe. Alors même qu’à ses débuts le FNE fonctionnait de manière informelle et sans cadre légal, la Loi du 17 août 2017 parue dans Le Moniteur du 22 septembre 2017 lui a conféré un statut et une mission. La Loi du 17 août 2017 « Portant création organisation et fonctionnement du Fonds national de l’éducation (FNE) » lui confère en effet sa personnalité juridique et son cadre légal. La mission du FNE est définie comme suit dans cette loi : « Chapitre I – « De la nature juridique, de la mission et du siège du Fonds national de l’éducation (FNE) » / « Section 2 – « De la mission du Fonds national de l’éducation (FNE) » – Article 3 – « Le FNE a pour mission de participer à l’effort de l’éducation pour tous de la République d’Haïti et de gérer les fonds destinés au financement, tant au niveau de l’État qu’au niveau des collectivités territoriales, des dépenses relatives à l’éducation, notamment des coûts de scolarité au profit des écoliers haïtiens, des projets et études susceptibles de contribuer à l’avancement de l’instruction des enfants et, enfin, de la construction ou l’amélioration des infrastructures scolaires du pays. » Et pour mener à bien sa mission, la Loi du 17 août 2017 dispose (chapitre II, article 5) que le Fonds national de l’éducation est composé de deux instances de gestion, le Conseil d’administration et la Direction générale elle-même dotée de plusieurs services. L’article 10 du chapitre II énumère l’ensemble des attributions du Conseil d’administration, notamment celle de définir les champs d’intervention du FNE, d’élaborer les plans et programmes, etc. Pour rappel : la Loi du 17 août 2017 a été votée au Sénat le 28 juin 2017 et à la Chambre des députés le 17 août 2017.
Contexte de la récente perquisition effectuée par l’Unité de lutte contre la corruption dans les locaux du FNE
Depuis un certain temps, le Fonds national de l’éducation est l’objet de multiples dénonciations formulées publiquement par diverses institutions de la société civile haïtienne, entre autres par « Ensemble contre la corruption », un regroupement de neuf organisations des droits humains. Ce regroupement citoyen est l’auteur du « Guide anti-corruption » (janvier 2024) et de « Les huit défis majeurs de la lutte contre la corruption en Haïti pour l’année 2024 » (janvier 2024).
En Haïti le site AlterPresse a publié le 15 mai 2024 notre article intitulé « Le linguiste Robert Berrouët-Oriol dénonce un niveau de « corruption » au sein du Fonds national de l’éducation en Haïti ». Dans cet article également publié aux États-Unis, en France et en Martinique, nous avons donné accès à la « Note de presse de Ensemble contre la corruption » (Ecc) [datée du 25 avril 2024] relative à une gouvernance de rupture dans le pays au moment de la mise en place du Conseil présidentiel de transition (Cpt) ». Cette note de presse consigne l’information suivante : « Au moment de l’élaboration de cette note de presse, un scandale financier a éclaté au Fonds national de l’éducation (Fne). « Ensemble contre la corruption » (Ecc) s’est entretenu avec l’actuel directeur général de l’institution [Jean Ronald Joseph], qui lui a affirmé que le salaire mensuel de 650 000 gourdes qu’il perçoit était en vigueur bien avant son arrivée à la tête du Fne, en décembre 2021. Et la décision d’octroyer des émoluments aussi exorbitants au directeur général du Fne a été validée par le Conseil d’administration [du FNE que dirigeait à l’époque Nesmy Manigat, ministre de facto de l’Éducation nationale], sans considération aucune de la grille des salaires en vigueur dans la fonction publique ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO] La note de presse de Ensemble contre la corruption précise également ce qui suit : « À ce stade, plusieurs interrogations et autres opinions sont permises : (a) Qu’est ce qui explique un tel niveau de salaire, qui dépasse nominalement celui du Président de la république, du Premier ministre, des ministres etc. ? (b) Pourquoi les salaires, accordés aux employés des organismes publics autonomes, ne s’alignent pas sur la grille de la fonction publique ? (c) Pourquoi le Conseil d’administration du Fne, ou même l’Office de management et des ressources humaines (Omrh), l’Inspection générale des finances (Igf) et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (Cscca) ne se prononcent pas sur ce dossier » ?
Au chapitre de l’analyse des mécanismes de la corruption et de son invisibilisation au sein du Fonds national de l’éducation, nous avons publié deux articles amplement documentés, « Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste » (Madinin’Art, 20 avril 2024), et « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », (Madinin’Art, 3 mai 2024). Ces deux articles sont suivis d’un complément analytique, « L’expansion de la corruption dans le système éducatif haïtien légitimée par la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste Nesmy Manigat » que nous avons fait paraître sur le site Rezonòdwès le 14 août 2024.
Dans ces articles nous avons rigoureusement démontré que le Fonds national de l’éducation –vaste structure gangstérisée de dilapidation des ressources financières de l’État, créé par la loi du 17 août 2017–, n’a jamais été inscrit au budget officiel de l’État haïtien. Il est donc une structure opérationnelle échappant à tout audit du Parlement haïtien, institution de contrôle de l’action du gouvernement et qui a été atrophiée puis frappée de caducité par le PHTK. Nous avons également démontré que le FNE n’a toujours pas fait l’objet d’un audit comptable diligenté par la Cour supérieure des comptes dans le contexte où la corruption endémique est un sujet majeur de société aussi bien en Haïti qu’à l’échelle internationale comme en témoigne Transparency International dans son étude intitulée « La corruption dans le secteur éducatif / Document de travail » (avril 2007). Et nous avons rappelé que « le Fonds national de l’éducation est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère de l’éducation nationale ; il jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation).
De manière statutaire et selon la Loi du 17 août 2017, le Fonds national de l’éducation a pour mission de « participer à l’effort de l’éducation pour tous et de gérer les fonds destinés au financement de l’éducation. (…) [Le FNE] intervient dans plusieurs domaines, notamment la construction d’infrastructures, la rénovation des bâtiments scolaires, l’appui au programme de cantines scolaires, le paiement des frais de scolarité, le paiement des frais pour les enseignants, la dotation d’équipements scolaires, le financement de projets éducatifs, l’appui aux études supérieures. (…) La présidence du conseil [d’administration du FNE] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] L’institutionnalisation du Fonds national pour l’éducation au sommet de la structuration de la corruption dans le système éducatif haïtien est un sujet majeur de société et comme tel le FNE a fait l’objet de plusieurs diagnostics. Il y a lieu de mentionner l’éclairage de Jesse Jean consigné dans son « Étude de l’aide internationale pour la réalisation de l’éducation pour tous en Haïti » – Thèse de doctorat, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 13 janvier 2017. Dans cette thèse de doctorat, Jesse Jean précise que « Le Projet de loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds national pour l’éducation (FNE) n’a jamais été ratifié par le Parlement haïtien. Ainsi, l’utilisation du FNE n’est toujours pas légale et les taxes sont prélevés tous les jours par l’État haïtien. Bref, en 2013, soit deux ans après la création du Fonds national pour l’éducation, les montants collectés par exemple sur les appels téléphoniques étaient évalués, d’après les chiffres indiqués par le Conseil national des télécommunications (le CONATEL) à 58 066 400, 63 dollars américains. Et les taxes prélevées sur les transferts d’argent entrants et sortants s’élevaient à plus de 45 238 095 dollars US » (Jesse Jean, op. cit., page 132). Sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, il est précisé que le FNE a été créé par la loi du 17 août 2017 ; dans la thèse de doctorat de Jesse Jean, il est mentionné à la page 132 que le FNE aurait été créé en 2011… En réalité, « (…) dès l’accession de l’ancien président Michel Joseph Martelly au pouvoir en 2011, le FNE a été mis en place [en dehors de tout cadre légal] avec l’introduction de nouvelles taxes sur les transferts d’argent et les appels téléphoniques internationaux, dans le but de scolariser plus d’un million d’enfants » (voir l’article « Le Fonds national de l’éducation (FNE) en Haïti : lumière sur une institution controversée », revue Éducation en marche, 2 février 2024). Ainsi, dans l’article « Haïti : l’UNESCO salue la création d’un fonds national pour l’éducation », il est dit que « La Directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Irina Bokova, s’est félicitée mardi de la création d’un Fonds national pour l’éducation (FNE), lancé par le Président d’Haïti récemment élu Michel Martelly. L’objectif de ce fonds, dont la création a été annoncée le 26 mai [2011], est de mobiliser les ressources financières afin de scolariser les enfants les plus défavorisés. Doté de 360 millions de dollars sur une période de cinq ans, ce fonds est le plus important jamais créé pour les enfants non scolarisés. Le FNE est un consortium multisectoriel qui réunit le gouvernement haïtien, le secteur privé, les institutions financières internationales et les organisations non gouvernementales (ONG). Il est financé majoritairement par le prélèvement de 0,05 dollar sur les appels internationaux entrants et de 1,5 dollar prélevé sur chaque transfert international de fonds » (source : ONU Info, 14 juin 2011). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] À ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue que le FNE, consortium multisectoriel regroupant notamment les institutions financières internationales, n’est pas inscrit au budget de la République d’Haïti et n’est pas de ce fait soumis au contrôle du Parlement : il ne rend compte qu’au pouvoir politique détenu frauduleusement depuis onze ans par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste…
Le fait que le Fonds national de l’éducation soit « financé majoritairement par le prélèvement de 0,05 dollar sur les appels internationaux entrants et de 1,5 dollar prélevé sur chaque transfert international de fonds » (source : ONU Info, 14 juin 2011) mérite un éclairage supplémentaire. D’une part l’on observe que c’est la diaspora haïtienne qui est le pourvoyeur financier exclusif de ce mécanisme de collecte de fonds de l’étranger vers Haïti, et que, d’autre part, la diaspora haïtienne n’est pas représentée au Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation. Une étude d’une grande rigueur datée de 2019 nous fournit les données analytiques suivantes : « L’importance de ces flux [financiers] peut être notamment observée en Haïti, où l’économie est devenue de plus en plus dépendante des envois de fonds des migrants sur les 30 dernières années. En effets, les transferts sans contrepartie vers Haïti ont presque décuplé entre 1998 et 2018 alors que leur poids par rapport au PIB est passé de 8,8% à 32,5% sur la même période. Ils sont désormais, de loin, la principale source de devises du pays, soit 3,6 fois la valeur des exportations, 10 fois celle des flux d’aide au développement et 37 fois le montant des investissements directs étrangers » (voir l’étude de Dudley Augustin et Carl-Henry Prophète, Direction Monnaie et analyse économique, Banque de la République d’Haïti : « Transferts de la diaspora et taux de change réel : le cas d’Haïti » – Novembre 2019). La diaspora haïtienne, qui comprend selon les estimations entre 1,5 et 2 millions de personnes, participe activement à la vie économique d’Haïti par le biais des transferts. Ainsi, « Les transferts d’argent de la diaspora haïtienne de l’étranger au bénéfice de leurs familles en Haïti sont évalués à 1.65 milliard de dollars pour l’année 2006, révèle une enquête de la Banque interaméricaine de développement (BID menée auprès de plus d’un million de personnes (…). Selon les résultats de cette enquête, conduite par le Fonds multilatéral d’investissement (FOMIN), 71% de ce montant, soit 1.17 milliards de dollars, viennent des États-Unis d’Amérique. Le Canada est en deuxième position avec 230 millions de dollars (14%) suivi de la France (8%) » (voir l’article « Les transferts d’argent, « une rivière d’or qui descend sur Haïti » – Une opportunité économique pour plus de 500 000 familles en Haïti » (AlterPresse, 6 mars 2007). Cet ensemble de données est confirmé dans une étude très fouillée élaborée par Raulin L. Cadet, enseignant-chercheur à l’Université Quisqueya où il dirige le Centre de recherche en gestion et en économie du Développement (CREGED). Cette étude publiée en 2022 pour le compte du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a pour titre « Étude rétrospective sur les transferts de fonds de la diaspora haïtienne : perspectives pour une remobilisation vers le financement du développement durable d’Haïti ».
D’autre part, la diaspora haïtienne, qui est pour le Fonds national de l’éducation le pourvoyeur financier exclusif du mécanisme de collecte de fonds de l’étranger vers Haïti, n’est pas représentée au sein de son Conseil d’administration. Celui-ci, il faut le rappeler, est composé des ministres de l’Éducation et des Finances, de la Planification et de la coopération externe, des Haïtiens vivant à l’étranger et d’un représentant du secteur des syndicats d’enseignants (Loi du 17 août 2017, chapitre II, section I, article 6). La diaspora haïtienne n’a donc pas son mot à dire dans « les affaires » internes du FNE alors même qu’elle est le pourvoyeur financier exclusif du mécanisme de collecte de fonds de l’étranger vers Haïti… Il découle de ce constat que la Loi du 17 août 2017 est lourdement lacunaire à cet égard et que lorsque les conditions d’un amendement constitutionnel seront réunies à l’avenir le législateur devra agir en conséquence. L’on a de surcroît noté que Dominique Dupuy, la nouvelle ministre des Affaires étrangères d’Haïti, détient également le poste de ministre des Haïtiens vivant à l’étranger. Selon la Loi du 17 août 2017 elle est donc membre du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation et de ce fait elle dispose légalement d’un pouvoir de décision dans « les affaires » internes du FNE. Dans le droit fil du combat qu’elle mène actuellement, avec un courage exemplaire, contre la corruption PHTKiste dans la diplomatie haïtienne, les enseignants et les directeurs d’écoles et la société civile haïtienne tout entière espèrent qu’elle soutiendra publiquement les conclusions des investigations que mène actuellement l’ULCC dans le dossier du FNE. L’avenir dira si Dominique Dupuy, dans le dossier de la corruption au FNE, aura l’appui public du Premier ministre Garry Conille « qui s’est montré tranchant sur la question de la corruption qui gangrène l’Administration publique haïtienne » et qui entend « lutter contre la corruption et l’impunité dans l’Administration publique haïtienne » (voir l’article « Le Premier ministre Dr Garry Conille veut lutter contre la corruption dans l’Administration publique » daté du 20 juin 2024 et consigné sur le site officiel de la Primature).
La récente intervention de l’ULCC au siège du Fonds national de l’éducation a eu l’effet d’un tsunami dans les milieux de l’enseignement en Haïti. « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont perquisitionné les locaux du Fonds national de l’éducation (FNE) ce mardi 4 juin 2024. « Oui, j’ai donné un ordre de perquisition aux enquêteurs de l’ULCC ce matin concernant le FNE. L’ULCC a reçu plusieurs signalements, plaintes et dénonciations sur d’éventuels faits importants de corruption », a confié à Le Nouvelliste le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph. « Cette perquisition, a-t-il poursuivi, fait partie d’une série d’actes d’enquête en cours. Les enquêteurs, dont des investigateurs numériques, sont sur les lieux pour collecter des données informatiques, faire la saisie de documents comptables et administratifs et auditionner des personnes indexées et tous autres concernés », a indiqué Me Joseph » (voir l’article « Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE », Le Nouvelliste, 4 juin 2024). L’enquête ouverte par l’ULCC « sur d’éventuels faits importants de corruption » au Fonds national de l’éducation revêt une importance majeure et il faudra à très court terme déterminer si cette enquête visera l’ex-Président du Conseil d’administration du FNE, Nesmy Manigat, ainsi que l’ex-Vice-président du FNE, Patrick Boisvert qui, en se soustrayant aux obligations énoncées au chapitre 2 (article 10.(o) section I) de la Loi du 17 août 2017, contribuent directement à l’expansion et à la consolidation de la corruption dans le système éducatif national. Cette dimension judiciaire de l’action de l’ULCC « sur d’éventuels faits importants de corruption » au Fonds national de l’éducation est d’autant plus incontournable que Nesmy Manigat et Patrick Boisvert n’ont à aucun moment reçu « décharge » de la tutelle administrative qu’ils ont exercée au Conseil d’administration du FNE. Les juristes dont nous avons sollicité l’éclairage précisent que la « décharge » consiste, pour l’institution de contrôle des comptes publics, à constater qu’aucune irrégularité n’a été commise dans la gestion des deniers publics par un comptable public ou un ordonnateur et à tirer comme conséquence qu’aucune charge ne pèse sur l’intéressé. Il n’a aucun remboursement à faire au Trésor public ni amende à payer. S’il y a irrégularité, il y a mise en débet de l’intéressé qui est tenu de rembourser le manquant de ses propres deniers et peut encourir des poursuites pénales s’il y a eu corruption. La Cour supérieure des comptes est compétente dans le cas des comptables publics (relevant du ministère des Finances) et des ordonnateurs non-ministres (directeurs généraux, maires, etc.). »
En lien avec la récente perquisition effectuée par l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC) dans les locaux du FNE, il y a lieu de rappeler que « lors de la conférence de presse du directeur du FNE le 16 avril 2024 (…), Jean Ronald Joseph n’a fourni aucun document officiel attestant qu’il aurait demandé « à la CSSCA de venir auditer sa gestion à la tête du FNE pendant ces deux dernières années » (voir l’article « Haïti-Justice : le directeur général du FNE Jean Ronald Joseph rejette les accusations de corruption à son encontre », AlterPresse, 17 avril 2024). Dans ce même article il est précisé qu’« Il existerait une vague de corruption à la direction générale du Fonds national de l’éducation, a révélé l’avocat militant Me Caleb Jean-Baptiste, en conférence de presse le jeudi 28 mars 2024. Caleb Jean-Baptiste a pointé du doigt, dans ces actes de corruption, l’actuel directeur général du Fne, Jean Ronald Joseph, l’ancien député de Marigot, Déus Déronneth, et l’ancien secrétaire d’État à la communication, Eddy Jackson Alexis ». De surcroît, sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, très précisément aux rubriques « Notre action » et « Centre de presse », nous n’avons trouvé aucun document officiel attestant que l’actuel directeur du Fonds national de l’éducation aurait entrepris la moindre démarche auprès de la CSSCA en vue d’un audit indépendant… Ces rubriques ne consignent pas non plus la moindre information attestant la véracité des allégations formulées en conférence de presse par le directeur du FNE le 16 avril 2024, à savoir qu’il aurait « constitué un ensemble d’avocats pour traiter la question de la diffamation devant la justice haïtienne ». Aussi, l’aventureuse campagne d’intimidation lancée le 16 avril 2024 par le directeur du Fonds national de l’éducation –même parée de la toge du Droit à l’encontre de présumés « détracteurs » qu’il s’est gardé d’identifier à visière levée–, semble être directement en lien avec la sous-culture de l’impunité qui gangrène la société haïtienne dans son ensemble. Elle semble tout aussi directement abouchée à la sous-culture duvaliérienne des « bandits légaux » promue par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. NOTE – Sur les « bandits légaux », voir l’article de haute facture analytique de Laënnec Hurbon, sociologue, directeur de recherche au CNRS (Paris) et professeur à la Faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti » (Médiapart, 28 juin 2020) ; voir aussi l’article « La philosophie du “bandit légal” en Haïti : de la verbalisation à la matérialisation », site Trip foumi, 10 avril 2022. Sur la problématique de l’impunité, voir le rigoureux « Mémoire portant sur la lutte contre l’impunité en Haïti » élaboré par le Collectif haïtien contre l’impunité et Avocats sans frontières Canada et présenté le 2 mars 2018 à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Voir aussi les différents rapports et communiqués d’Amnesty international, entre autres « Haïti : un nouveau pas vers la fin de l’impunité » (6 juin 2001) et « Haïti n’oubliera pas les violations commises dans le passé » (26 avril 2013). Voir également l’ample et fort bien documentée étude « Massacres cautionnés par l’État : règne de l’impunité en Haïti » réalisée par la Harvard Law School International Human Rights Clinic et l’Observatoire haïtien des crimes contre l’humanité (avril 2021).
Mise en perspective de la nouvelle campagne publicitaire du Fonds national de l’éducation en Haïti destinée à camoufler la corruption dans le système éducatif national
Quel est l’état des lieux du Fonds national de l’éducation depuis la nomination du sociologue Augustin Antoine au poste de ministre de l’Éducation nationale en juin 2024 ? La consultation du site officiel du ministère de l’éducation nationale n’a pas permis de retracer le moindre document d’analyse et de bilan d’activités ou des audits financiers et administratifs du FNE légués par l’administration de l’ancien ministre de facto Nesmy Manigat. Sur le site officiel du ministère de l’éducation nationale, la grande catégorie « Banque de documents » donne accès à plusieurs rubriques, notamment aux « Documents officiels », « Circulaires et arrêtés » et « Résultats enquêtes ». Aucune de ces rubriques ne contient le moindre document officiel relatif au Fonds national de l’éducation alors même que le ministre de l’Éducation nationale en est le ministre de tutelle et qu’il est également le Président du Conseil d’administration du FNE (voir la Loi du 17 août 2017, « Chapitre I – « De la nature juridique, de la mission et du siège du Fonds national de l’éducation (FNE) », article 2 : « Le FNE est placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale (…) ». Voir aussi la Section I, article 6-b et article 7, qui consignent que le ministre de l’Éducation nationale est le Président du Conseil d’administration du FNE).
Le constat que le site officiel du ministère de l’Éducation nationale, institution de tutelle du FNE, est totalement muet sur les états financiers du Fonds national de l’éducation et également sur des éventuels audits comptables de ses états financiers qui auraient dû être conduits par la Cour supérieure des comptes ou par un vérificateur externe pour la période 2017 à… 2024 est hautement significatif de l’opacité managériale instituée tant au Fonds national de l’éducation qu’au ministère de l’Éducation nationale. Pareille opacité managériale fait barrage aux prescrits de la Loi du 17 août 2017 et elle est l’une des caractéristiques majeures de la vaste entreprise de corruption et de détournement des ressources financières de l’État dans le système éducatif national haïtien. En effet, la Loi du 17 août 2017 dispose au chapitre 2 (article 10(o) de la Section I), que le « Le Conseil d’administration a pour attributions « (…) d’examiner le rapport du vérificateur externe, faire le suivi des avis émis par ce dernier et faire publier le rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice ». Sur ce registre, le constat est flagrant : le site officiel du ministère de l’éducation nationale ainsi que le site officiel du Fonds national de l’éducation ne comprennent aucun document attestant la réalisation et la publication d’un « rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice » pour la période 2017 à 2024. Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que le Décret du 17 mai 2005 « portant organisation de l’administration centrale de l’État » stipule, en son article 148, que le contrôle financier de toutes les administrations de l’État et des organismes autonomes est exercé par la Cour supérieure des comptes. Ce décret mentionne également, à l’article 148, que le recours à des firmes privées pour réaliser des audits doit se faire à partir d’une autorisation spéciale de la Cour supérieure des comptes. De tels constats mettent en lumière l’une des caractéristiques majeures du FNE, à savoir L’INVISIBILISATION DES DONNÉES FINANCIÈRES : celle-ci est au cœur du dispositif de la corruption systémique au Fonds national de l’éducation (voir notre article « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », Madinin’Art, 3 mai 2024).
Par ailleurs l’on observe que le site officiel du Fonds national de l’éducation consigne un communiqué daté du 18 juin 2024 et portant le titre « Première visite du ministre de l’Éducation au FNE ». En voici un extrait : « Le lundi 17 juin 2024, le ministre de l’Éducation nationale (…), Augustin Antoine, a effectué une visite de courtoisie dans les locaux du Fonds national de l’éducation (FNE). Au cours de cette visite, le professeur Augustin Antoine s’est entretenu avec le directeur général du FNE, Jean Ronald Joseph, autour du fonctionnement de l’institution. En sa qualité de président du Conseil d’administration du FNE, le nouveau ministre de l’Éducation nationale (…) s’est enquis de la situation administrative et des chantiers en cours. Le directeur général Jean Ronald Joseph, accompagné de cadres de l’institution, a présenté un état des lieux, les réalisations de l’organisation, en particulier les travaux de construction des infrastructures scolaires à travers les départements du pays. (…) Les deux hommes d’État se sont engagés à œuvrer dans une collaboration fructueuse qui vise le renforcement du secteur éducatif ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Le présumé « état des lieux » présenté au ministre Augustin Antoine le 17 juin 2024 par le Directeur général du FNE Jean Ronald Joseph, qui dirige cette institution depuis décembre 2021, mérite un éclairage pouvant contribuer à informer adéquatement les enseignants, les directeurs d’écoles et plus largement le grand public. Il s’agit de déterminer si le présumé « état des lieux » présenté par le Directeur général du FNE Jean Ronald Joseph
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aurait emprunté la voie d’un rapport verbal d’activités ou celle d’un bilan écrit portant la signature du Directeur général du FNE Jean Ronald Joseph ;
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aurait été assorti –dans l’hypothèse où il est consigné à l’écrit–, de toutes les pièces justificatives relatives aux présumées « réalisations » du FNE de 2017 à 2021 et de 2021 à 2024 ;
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présente pour chacune des présumées « réalisations » du FNE, de 2017 à 2021 et de 2021 à 2024, un document officiel attestant qu’il y a eu un appel d’offre conforme à la loi de passation des marchés publics, le document officiel devant être assorti des critères de sélection des entreprises sélectionnées en vue de la réalisation des projets, notamment dans le secteur des infrastructures scolaires ;
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présente pour chacune des présumées « réalisations » du FNE, de 2017 à 2021 et de 2021 à 2024, un document officiel attestant que l’institution est dotée des structures professionnelles et administratives l’autorisant à évaluer la faisabilité des projet ainsi que l’évaluation des résultats obtenus au terme de la réalisation des projets ;
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présente pour chacune des présumées « réalisations » du FNE, de 2017 à 2021 et de 2021 à 2024, un document officiel de projet attestant la réalité des fonds reçus et des fonds effectivement décaissés et utilisés et qui ont été l’objet d’un audit comptable réalisé par la Cour supérieure des comptes ou par tout autre mandataire désigné par la Cour supérieure des comptes ;
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a été formellement acheminé au Conseil d’administration du FNE dirigé par le ministre en titre de l’Éducation nationale.
Une réponse claire et documentée devra être apportée à chacune de ces six questions de fond qui, au moment de la rédaction du présent article, ne sont abordées ni sur le site officiel du Fonds national de l’éducation ni sur le site officiel du ministère de l’éducation nationale… La réponse à chacune de ces cinq questions de fond devrait permettre de déterminer le montant total des sommes perçues par le CONATEL et la BRH pour le FNE de 2011 à 2024, ainsi que le montant total des sommes décaissées par le FNE de 2011 à 2024 : plusieurs observateurs et enseignants soutiennent que le FNE aurait reçu des centaines de millions de dollars américains de 2011 à 2024, mais jusqu’à aujourd’hui l’on ne dispose d’aucun rapport évaluatif permettant de savoir de manière crédible le montant total des sommes reçues et décaissées par le FNE. Un audit comptable devra ensuite déterminer si les sommes totales que le FNE prétend avoir dépensées pour ses présumées « réalisations » correspondent aux sommes reçues du CONATEL et de la BRH pour la période de 2011 à 2024. C’est assurément dans tous les écarts entre les sommes collectées par le CONATEL et la BRH et les sommes effectivement décaissées par le FNE que se situent en grande partie les opérations illicites de détournement de fonds et l’INVISIBISATION de la corruption au Fonds national de l’éducation… À cet égard, il est hautement significatif que les deux ex-ministres de facto de l’Éducation et des Finances, –Nesmy manigat et Patrick Boisvert, autrefois Président et vice-Président du Conseil d’administration du FNE–, ont joué un rôle de premier plan dans la corruption au FNE : à aucun moment ils n’ont sollicité ni présenté le moindre rapport d’audit financier des actions menées de 2011 à 2024 par le Fonds national de l’éducation en application des prescrits de la Loi du 17 août 2017. Ainsi, historiquement, Nesmy manigat et Patrick Boisvert ont effectivement joué un rôle de premier plan dans l’INVISIBISATION de la corruption au Fonds national de l’éducation. Il ressort de ces observations que le nouveau ministre de l’Éducation nationale devra impérativement porter la plus rigoureuse attention à ces six questions de fond… Il devra d’autant plus le faire qu’il a « hérité » malgré lui d’un lourd passif de corruption systémique au FNE et qu’il ne devrait en aucun cas conforter, banaliser ou absoudre cette tradition de corruption portée à son plus haut niveau de « rentabilité » par les « bandits légaux » du PHTK.
Également l’on observe qu’à la suite de la première visite du ministre de l’Éducation au FNE le 17 juin 2024, la presse locale n’a fait état d’aucun document officiel émanant du ministère de l’Éducation nationale et abordant l’épineuse question de la corruption au Fonds national de l’éducation. La consultation méthodique du site officiel du ministère de l’Éducation nationale permet une fois de plus de constater l’absence du moindre document traitant de la corruption au Fonds national de l’éducation, et rien n’indique que « l’état des lieux » des présumées « réalisations » présenté le 17 juin 2024 par Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur du FNE, au ministre Augustin Antoine renferme un… état des lieux qui contredirait le diagnostic de la corruption au Fonds national de l’éducation. Il est peu vraisemblable que le ministre Augustin Antoine, un enseignant de carrière respecté et bénéficiant d’une grande réputation d’intégrité, n’ait jamais été informé (1) des graves accusations de corruption visant le FNE et (2) de la perquisition effectuée le 4 juin 2024 par l’ULCC au siège du Fonds national de l’éducation. Il est également peu vraisemblable que le ministre Augustin Antoine ignore que les deux ministres nommés par le PHTK et ayant occupé les postes à responsabilité directe au Conseil d’administration du FNE –Nesmy Manigat et Patricl Boisvert–, n’ont jamais obtenu de la Cour supérieure des comptes la moindre « décharge » de leur gestion et n’ont jamais sollicité le moindre audit administratif et financier du FNE auprès de la Cour supérieure des comptes. En l’espèce, Nesmy Manigat et Patrick Boisvert se sont eux-mêmes placés hors-la-loi et ils ont contrevenu aux prescrits du chapitre 2 (article 7) de la Loi du 17 août 2017. Sur le registre de l’impunité dont se prévalent les « bandits légaux » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, l’on ne doit pas perdre de vue qu’avec la nomination avec rang de ministre de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille, le PHTK est une fois de plus fortement représenté au sommet de l’Exécutif… L’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale dispose donc de toute la latitude –et, surtout, de tous les pouvoirs– dont il pourra se prévaloir pour contrer et neutraliser l’action de l’ULCC et de la Cour supérieure des comptes et pour pérenniser la corruption Fonds national de l’éducation.
À contre-courant des pratiques politico-mafieuses qui ont cours au Fonds national de l’éducation, il est hautement souhaitable que le ministre Augustin Antoine procède dans les meilleurs délais –avec l’aide de l’ULCC et de la Cour supérieure des comptes–, à une réévaluation complète du dossier du Fonds national de l’éducation et qu’au constat documenté de la corruption qui sévit encore au FNE il prenne des mesures administratives d’application immédiate. Ces mesures doivent impérativement viser :
(1) la suspension immédiate de toutes les activités du Fonds national de l’éducation au moyen d’un décret transitionnel ;
(2) la mise sur pied d’un mécanisme de contrôle de toutes les opérations de collecte de fonds en cours par le CONATEL et la Banque de la République d’Haïti et destinés au FNE ;
(3) le « gel » immédiat, le placement sur un compte en fidéicommis de toutes les sommes résiduelles et non encore décaissées destinées au FNE et rassemblées par le CONATEL et la Banque de la République d’Haïti ;
(4) la mise en route immédiate par la Cour supérieure des comptes d’un audit comptable et administratif du FNE de 2011 à 2017 et de 2017 à 2024.
Il est hautement souhaitable que le ministre Augustin Antoine informe les enseignants et leurs associations, les directeurs d’écoles et leurs associations, et plus largement le grand public de la mise en route de cet ensemble de mesures et de la publication à venir des résultats de l’audit comptable et administratif du FNE.
La nouvelle campagne publicitaire du Fonds national de l’éducation : transcription et déchiffrage du message publicitaire
Tel que mentionné en introduction du présent article, le Fonds national de l’éducation mène actuellement une campagne publicitaire sur les ondes de plusieurs stations radio de Port-au-Prince et des grandes villes de province. Le message publicitaire est ainsi diffusé :
[Voix d’un homme] « (…) nan konstriksyon yo, repare lekòl, kondui chantye lekòl nan anpil Depatman (…) gras ak lajan dola senkant santim sou apèl entènasyonal yo, FNE finanse fòmasyon e peye pwofesè, soulaje paran, peye lekòl timoun yo. Enstitisyon an bay lekòl yo mèb, mobilye tankou biwo (…). FNE sibvansyone kantin eskolè plizyè dizèn timoun nan lekòl, FNE kore etid inivèsitè pou jèn, li sipòte inivèsitè yo, li akonpaye etidyan kit sa ki isit ann Ayiyi kit sa ki aletranje. Akonpayman yo ale nan nivo lisans, metriz jouk li rive nan doktora. Fon an la a pou kore ledikasyon nan tout sans nan peyi a, pou garanti yon pi bon sosyete. FNE, ledikasyon n ap kore, lavni n ap asire. [Voix d’une femme] Peyi nou an ap fè fas ak divès kriz ki makònen ak vyolans, grangou (…) ». Ce texte publicitaire comprend, en son dispositif narratif, plusieurs segments :
TABLEAU 1 / Segmentation du dispositif narratif de la publicité du FNE
Segmentation |
Cibles + domaines |
Relevé des énoncés |
Premier segment |
Infrastructures scolaires visées par le FNE |
konstriksyon yo, repare lekòl, kondui chantye lekòl nan anpil Depatman ; Enstitisyon an bay lekòl yo mèb, mobilye tankou biwo (…) |
Deuxième segment |
Provenance des fonds du FNE |
gras ak lajan dola senkant santim sou apèl entènasyonal yo |
Troisième segment |
Domaines d’intervention du FNE |
(1) formation et dotation : FNE finanse fòmasyon e peye pwofesè, soulaje paran, peye lekòl timoun yo ; (2) subventions diverses : FNE sibvansyone kantin eskolè plizyè dizèn timoun nan lekòl, FNE kore etid inivèsitè pou jèn, li sipòte inivèsitè yo, li akonpaye etidyan kit sa ki isit ann Ayiyi kit sa ki aletranje. Akonpayman yo ale nan nivo lisans, metriz jouk li rive nan doktora |
Quatrième segment |
Rappel de la mission générale du FNE |
Fon an la a pou kore ledikasyon nan tout sans nan peyi a, pou garanti yon pi bon sosyete. |
Cinquième segment |
Rappel des valeurs guidant l’action du FNE |
FNE, ledikasyon n ap kore, lavni n ap asire |
Bref éclairage analytique du tableau 1 / Il y a lieu de rappeler, tel que nous l’avons plus haut exposé, que le message publicitaire du Fonds national de l’éducation est diffusé à l’échelle nationale dans le contexte où la corruption s’y exerce toujours de manière systémique, en toute impunité, et qu’elle a été laborieusement couverte par les deux ministres du PHTK qui en avaient la responsabilité administrative et politique selon la Loi du 17 août 2017, Nesmy Manigat et Patrick Boisvert. Il est hautement significatif que le message publicitaire du FNE soit diffusé trois mois après l’entrée en fonction du nouveau ministre de l’Éducation nationale, Augustin Antoine, et également trois mois après la perquisition effectuée par l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC) dans les locaux du FNE le 4 juin 2024 –perquisition dont on attend encore les résultats. Pareille concomitance des faits témoigne de la volonté de la direction du Fonds national de l’éducation –et singulièrement de son Directeur Jean Ronald Joseph nommément identifié par les neuf institutions des droits humains regroupées dans Ensemble contre la corruption–, de banaliser en l’occultant la réalité de la corruption toujours en cours au FNE. Les 5 segments du tableau 1 structurent un dispositif narratif qui vise (1) à légitimer l’action du FNE par-delà le diagnostic de corruption plusieurs fois exposé dans les médias haïtiens et également qui vise (2) en réponse et à l’encontre de la perquisition du 4 juin 2024, à contrer et surtout à neutraliser les investigations de l’Unité de lutte contre la corruption. Le dispositif narratif de la campagne publicitaire du FNE vise ainsi l’atteinte d’un objectif central : instituer la « fabrique du consentement » au sein de la population, œuvrer afin d’obtenir un crédit de confiance qui lui fait défaut depuis 2011 jusqu’à nos jours et faire le plaidoyer de la légitimité et de la nécessité du Fonds national de l’éducation en tant que principale institution de financement de l’éducation en Haïti. Et pour y parvenir de manière efficace, la direction du FNE met en œuvre le vieux procédé de la fabrication du vrai avec du faux en pratiquant à grande échelle L’INVISIBILISATION DES DONNÉES FINANCIÈRES du FNE ainsi que la non-application de l’article 148 du Décret du 17 mai 2005. D’une part et comme nous l’avons auparavant exposé, le budget du FNE n’est pas compris dans le dispositif budgétaire officiel de la République d’Haïti et n’est donc pas soumis au contrôle du Parlement ; en réalité, le FNE ne rend compte qu’à l’Exécutif nommé par le PHTK. D’autre part, la Loi du 17 août 2017, alors même qu’elle énumère des obligations consignées au chapitre 2 (article 10.(o) section I), elle n’a prévu aucun mécanisme de contrôle de l’application de ces obligations. Dans le droit fil de cette lourde lacune de la Loi du 17 août 2017, les deux ministres responsables du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation, les PHTKistes Nesmy Manigat et Patrick Boisvert –en plus de n’être pas détenteurs de l’obligatoire « décharge » émise par la Cour supérieure des comptes–, ont pu en toute impunité couvrir de leur autorité la corruption au FNE et renforcer la stratégie de L’INVISIBILISATION DES DONNÉES FINANCIÈRES du FNE.
Il est amplement attesté que le langage publicitaire concentre en peu de temps et d’espace l’art de la persuasion. Il s’agit d’exprimer, en quelques mots ou en quelques images, l’essence même d’un service, d’un objet, d’une marque, d’une idée, etc. Le langage publicitaire énonce ou suggère une promesse et cherche à susciter l’émotion, l’enthousiasme, l’adhésion, le rire, l’empathie, etc. Son efficacité est souvent liée à l’utilisation de plusieurs figures de style au creux des ressources de la langue. Sur le plan « rhétorique » ou de l’organisation du discours, la publicité du FNE emprunte la brièveté de l’art de la persuasion car elle vise l’atteinte d’une efficacité maximale par l’emploi de courtes séquences énonciatives de type « slogan » : « Enstitisyon an bay lekòl yo mèb, mobilye tankou biwo (…) », « Fon an la a pou kore ledikasyon nan tout sans nan peyi a ». Cette publicité met aussi en œuvre le procédé de la répétition cumulative : « Enstitisyon an bay lekòl yo mèb, mobilye tankou biwo (…) », « FNE sibvansyone kantin eskolè plizyè dizèn timoun nan lekòl, FNE kore etid inivèsitè pou jèn, li sipòte inivèsitè yo, li akonpaye etidyan kit sa ki isit ann Ayiyi kit sa ki aletranje ». La publicité du FNE fait également usage de l’insertion du procédé de l’oxymore par la combinaison de l’abstrait/concret pour cibler et rappeler la mission centrale de l’institution : « Fon an la a pou kore ledikasyon nan tout sans nan peyi a, pou garanti yon pi bon sosyete ». (Sur l’oxymore, voir Laélia Véron, « Approche énonciativo-pragmatique de l’oxymore et du zeugme », revue L’information grammaticale, 2018 / 156. Voir aussi Michèle Monte, « Le jeu des points de vue dans l’oxymore : polémique ou reformulation ? », revue Langue française, 2008/4 n° 160. Sur le texte publicitaire, voir Mohamed Abdelkabi Ahmed, « Quelques spécificités du texte publicitaire dans la presse française contemporaine », Journal of Qena Faculty of Arts, volume 53, 2 juillet 2021. Voir aussi Alexandre Corbasson, « Les 4 critères clés d’un texte publicitaire efficace », Digitad, 13 avril 2023. Voir également Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, « Les constituants du discours publicitaire » paru dans « L’argumentation publicitaire », Éditions Armand Colin, 2012.)
Le nouvel Exécutif s’est-il prononcé sur le phénomène de la corruption dans l’Administration publique haïtienne ? « Le Premier ministre Dr Garry Conille veut lutter contre la corruption dans l’Administration publique » : tel est le titre d’un article daté du 20 juin 2024 et consigné sur le site officiel de la Primature. En voici un extrait : « Le Premier ministre Dr Garry Conille a donné une conférence de presse pour annoncer des mesures structurelles afin d’assainir les institutions de l’État, lutter contre la corruption et l’impunité dans l’Administration publique haïtienne. Lors de cette conférence de presse, le Premier ministre, Dr. Garry Conille, s’est montré tranchant sur la question de la corruption qui gangrène l’Administration publique haïtienne. « Tolérance zéro », a-t-il lancé lors de cette conférence de presse à la Résidence officielle. Le chef du gouvernement a affirmé qu’il va prendre immédiatement une série de dispositions en vue d’éradiquer le phénomène de la corruption au sein de l’Administration publique haïtienne. Une décision qui fait suite à une importante rencontre avec des experts nationaux, des cadres de la fonction publique, en matière de gestions efficaces et de bonne gouvernance dans le pays et surtout de lutte contre la corruption ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO] Depuis la tenue de cette conférence de presse, de la fin juin 2024 au début de septembre 2024, aucune mesure administrative d’application immédiate n’a été prise pour traduire ces « dispositions » dans des actions mesurables et pour montrer à la population que l’Exécutif s’est véritablement engagé dans la lutte contre la corruption et l’impunité… L’on a plutôt assisté à l’irruption d’un médiocre vaudeville, une obscure affaire de corruption en flagrance dans laquelle trois conseillers du CPT seraient lourdement compromis. Dans son édition du 29 juillet 2024, le site AlterPresse a en effet publié un article titré « Haïti : 3 conseillers-présidents sur la sellette après avoir été éclaboussés dans un scandale de corruption ». L’article précise que « Les réactions se multiplient en ce qui concerne un scandale de tentative de corruption, éclaboussant trois membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) indexés par le président du Conseil d’administration de la Banque nationale de crédit (BNC), Raoul Pascal Pierre-Louis (…). Les conseillers présidentiels Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire lui auraient exigé un paiement de 100 millions de gourdes (…) pour conserver son poste, fait savoir le président du conseil d’administration de la BNC, Raoul Pascal Pierre-Louis, dans une lettre adressée en date du 24 juillet 2024 au Premier ministre Garry Conille. (…) Dans une lettre, l’ULCC a informé le président de la BNC, Raoul Pascal Pierre-Louis, qu’une commission d’enquête, dûment mandatée à cet effet, souhaite le rencontrer pour une audition qui aura lieu le mardi 30 juillet 2024 au local de l’ULCC, dans le cadre d’une enquête en cours sur ce dossier ». Au moment de la rédaction du présent article, cette scabreuse affaire de corruption au plus haut niveau de l’Exécutif national était encore pendante…
La réflexion critique sur l’ample phénomène de la corruption dans le système éducatif haïtien n’est en aucun cas un exercice de style ou un discours périphérique. La corruption systémique dans le système éducatif national est un sujet majeur de société, elle concerne l’ensemble de la société haïtienne et au premier chef les trois millions d’élèves scolarisés dans l’École haïtienne, leurs conditions d’apprentissage ainsi que le rôle de l’État dans la gouvernance du système éducatif national. Bien qu’elle soit un phénomène mondial comme en témoigne Transparency International dans son étude intitulée « La corruption dans le secteur éducatif / Document de travail » (avril 2007), la corruption dans le système éducatif haïtien revêt une importance capitale car elle est une négation flagrante du droit à l’éducation que garantit l’article 32 de la Constitution de 1987. Et en raison du démembrement des institutions nationales mis en œuvre par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, en raison de la criminalisation du pouvoir d’État sous la houlette du PHTK, la corruption dans le système éducatif haïtien constitue un péril majeur pour l’École haïtienne dans son ensemble et elle alimente le règne de l’impunité dans un pays où, en dépit des acquis démocratiques consignés dans la Constitution de 1987, la préservation des libertés citoyennes fondamentales demeure un combat majeur qui interpelle toute la société civile. L’on observe qu’il appartient aux institutions de la société civile haïtienne d’inventer de nouvelles et rassembleuses stratégies de mobilisation contre l’impunité, notamment en portant au débat public la nécessité d’un combat citoyen multifacette contre la corruption dans le système éducatif national, un combat citoyen fortement ancré sur le socle de la Constitution de 1987. Sur ce registre, les enseignants, les universitaires, les syndicats du secteur de l’éducation, les associations de directeurs d’écoles, les institutions des droits humains ont un rôle de premier plan à accomplir : il en va de l’avenir même de l’École haïtienne.
Montréal, le 2 septembre 2024