—Par Christian Antourel —
Camille Mauduech a choisi d’offrir aux martiniquais un triptyque de documentaires, un travail de mémoire, une invitation à méditer ces trois événements qui ont blessé la Martinique. C’est en toute modestie, mais avec la ferme conviction de poursuivre une mission d’information et d’approfondissement de l’actualité qu’elle a pris ce pari.
Nous revenons à un fait divers, qui survient, il ya plus de cinquante ans. L’assassinat le 6 septembre 1948 par 36 coups de coutelas d’un administrateur blanc d’une habitation sucrière. L’homme, armé accompagné de gendarmes veut stopper des coupeurs de canne en grève pour revendiquer des conditions de travail plus humaines. La Martinique devenue département français depuis deux ans, ce fait divers prend une dimension politique sensible. 16 ouvriers agricoles « Les 16 de Basse-Pointe » sont arrêtés et incarcérés trois ans en Martinique. Ils sont ensuite jugés à Bordeaux, fief de la traite négrière. Le jugement exemplaire espéré avec à la clef la peine de mort, sera au contraire un acquittement général pour manque de preuves de leur culpabilité. En fait une condamnation capitale aurait pu déclencher un soulèvement de réactions postcoloniales.
Fallait-il que couve un fort ressentiment dans les esprits et dans les cœurs pour qu’un banal accident de circulation mette le feu aux poudres ! « La Martinique aux martiniquais. L’Affaire de l’OJAM » (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) résulte d’un enchainement de situations qui bouleversent la Martinique. Tout part d’un simple accrochage entre le scooter d’un martiniquais et la voiture d’un métropolitain le 20 décembre 1959. Les protagonistes en viennent aux mains. Un attroupement se crée, prend massivement parti pour l’antillais, dans la Martinique postcoloniale où le racisme larvé sévit encore des deux côtés. Des CRS (Policiers de la Compagnie Républicaine de Sécurité) dissipent énergiquement le rassemblement. Il en résulte des émeutes violentes, trois jeunes martiniquais sont tués. Les 23 et 24 décembre 1962 le Manifeste de l’OJAM est affiché sur les murs de la Martinique. Ce mouvement d’étudiants antillais à Paris encouragé par le FLN (Front de Libération National) en Algérie, s’inscrit résolument dans une montée du nationalisme en Martinique.
Résistance et solidarité
Sur les 18 auteurs du manifeste interpellés, 13 sont incarcérés. Ils seront acquittés après deux ans de procès. Dans les années 1970, au sein des habitations survivent des pratiques d’un autre âge où les ouvriers agricoles de la banane subissent des conditions de travail pénibles, anarchiques et humiliantes. Une insécurité galopante, et la promotion canapé sont une dure réalité. Sur cette trame des étudiants maoïstes éveillent la conscience politique des ouvriers, qui entrent en grève. On les croit manipulés par des leaders d’extrême gauche, dangereux pour la stabilité politique et économique. Ils parviennent presque à paralyser l’exploitation de la filière-banane. Mais, ils sont stoppés dans leur avancée pour motiver d’autres ouvriers à imposer le respect de leurs revendications à Chalvet le 14 février 1974. Les gardes mobiles, au prétexte que « force doit rester à la loi » leur barrent la route et tirent. On déplore 1 mort et 4 blessés graves. Le 15, 4000 personnes défilent dans Fort-de-France. Le 16, le corps martyrisé d’un jeune ouvrier est retrouvé non loin de l’habitation Chalvet, à Basse-Pointe. Le mouvement s’étend en Guadeloupe et en Métropole, orchestré par l’AGEM (Association Générale des Etudiants Martiniquais en France.) Le 19 février un protocole qui met fin à la grève est signé entre les patrons et la CGT (Confédération Générale du Travail) C’était « Chalvet ou la Conquête de la Dignité. » Ces films interrogent l’histoire pour lui donner son sens véritable, ils sont une synthèse par l’image. Ils « racontent avant tout, une quête du mieux vivre. »
« L’Histoire territoire de la mémoire »
Il nous arrive à tous, face au débit d’informations, de manquer de repères quant aux tenants et aboutissants susceptibles d’éclairer la complexité de ces évènements graves qui ont parcouru notre île de secousses et de conflits. Ce triptyque vise à permettre à chacun de « prendre le temps de réfléchir par l’image», pour affronter une problématique historique lourde, et persistante. A chacun de se faire une opinion à partir de documents bruts. Remonter le temps, n’est pas céder à la nostalgie. Le passé renferme les clefs d’une fine compréhension du monde contemporain. Ces films interrogent l’histoire sans apporter de réponses toutes faites. Dans la traque des faux-semblants, à la recherche de la face cachée des événements. Des pages passionnées laissent place à des vérités plus nuancées. A chaque étape de cette redécouverte, l’exercice du souvenir que sont ces documentaires démystifie les aprioris dans les combats d’un peuple. L’Histoire, territoire de la mémoire reprend ses droits face aux constructions idéologiques et fantasmées. Les sujets de ces films ne se définissent pas par rapport à une volonté de simple description des évènements. Pas plus que les apparences par rapport à une réalité. Ils ne peuvent être vus que dans la tension du récit personnel de chaque protagoniste, dont le témoignage actuel fait émerger de manière passionnante l’humain sous l’adversité. Notre connaissance de la réalité est alors incorporée dans la réalité elle même.
Productions : Les FILMS DU MARIGOT
Auteur-Réalisatrice: Camille Mauduech
Christian Antourel
CHALVET
Encore à l’affiche à MADIANA.
Résistance et solidarité