— Par Jean Samblé —
Le budget alloué aux territoires ultramarins pour 2025 a suscité une vague de mécontentement parmi les élus et les habitants des Outre-mer. Alors que le gouvernement met en avant un effort de solidarité nationale face à la crise économique, les représentants des territoires ultramarins dénoncent des réductions budgétaires brutales et des choix politiques qui risquent d’aggraver la situation déjà précaire de ces régions.
Une baisse budgétaire conséquente
Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une réduction significative du budget de la mission Outre-mer, avec une coupe de 500 millions d’euros, soit une baisse de 13 % par rapport aux années précédentes. Ce budget, qui s’élève désormais à 2,49 milliards d’euros, est principalement consacré aux exonérations de cotisations sociales destinées à soutenir l’emploi dans les territoires ultramarins. Cependant, les crédits alloués aux « conditions de vie » – couvrant des domaines cruciaux tels que le logement, l’insertion des jeunes et la continuité territoriale – subissent une baisse de 300 millions d’euros environ. Une telle réduction intervient alors que de nombreux territoires ultramarins, tels que la Martinique, la Guadeloupe ou Mayotte, sont déjà confrontés à de graves difficultés sociales, notamment la vie chère, le chômage élevé et un déficit d’équipements essentiels.
Un sentiment d’injustice et de double peine
Pour les parlementaires ultramarins, cette baisse des crédits est vécue comme une « double peine ». « Dans des territoires qui vivent sur un volcan social », explique Philippe Naillet, député de La Réunion, cette coupe budgétaire est perçue comme un manque de considération de l’État à l’égard des populations ultramarines. Le contexte est d’autant plus tendu que les manifestations contre la vie chère se multiplient, notamment en Martinique, et que la situation économique se dégrade. Le PIB de la Nouvelle-Calédonie, par exemple, est revenu à son niveau de 2003, et 70 % des habitants de Mayotte vivent sous le seuil de pauvreté.
Les élus pointent également du doigt l’inefficacité de la gestion des fonds publics dans ces territoires, où une part importante des crédits affectés reste sous-consommée. En 2022, la Cour des comptes avait relevé une sous-consommation de 75 millions d’euros sur trois grands postes, notamment le logement et le soutien aux collectivités locales, soulignant un déficit d’ingénierie dans l’implémentation des projets. Cette inefficacité, combinée à la baisse des crédits, nourrit la frustration des parlementaires, qui dénoncent un manque de transparence et de cohérence dans la répartition des fonds.
Des députés et sénateurs unis dans la contestation
Les représentants des Outre-mer ont exprimé leur désapprobation à l’égard de cette coupe budgétaire. Les sénateurs ultramarins du groupe RDPI (Ex-République en Marche) ont cosigné un texte dénonçant une mesure qui, selon eux, risque de « compromettre durablement le pacte républicain » et de creuser les fractures entre les territoires ultramarins et l’Hexagone. De leur côté, des députés comme Christian Baptiste (PS, Guadeloupe) plaident pour la « stabilité » du budget, soulignant que l’effort budgétaire ne devrait pas pénaliser davantage des territoires déjà fragilisés.
La contestation ne se limite pas aux élus. Lors des manifestations du 10 novembre à Paris, des centaines de personnes ont exprimé leur colère contre les politiques publiques menées en Outre-mer. Rodrigue Petitot, meneur du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens, a rappelé que les ultramarins ne demandent pas une aide exceptionnelle, mais une reconnaissance et une prise en compte des réalités sociales et économiques de leurs territoires.
Une réponse gouvernementale incertaine
Face à cette contestation, le ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet, a exprimé son soutien aux parlementaires et promis de défendre des amendements pour rétablir certains crédits. Toutefois, les marges de manœuvre sont limitées, et le ministre reconnaît que l’objectif fixé par Bercy, à savoir la réduction de la dépense publique, rend difficile le maintien des niveaux de financement de l’année précédente. Des négociations sont en cours pour obtenir des crédits exceptionnels, notamment pour Mayotte et la Nouvelle-Calédonie, mais ces ajustements ne suffiront sans doute pas à apaiser la colère des ultramarins.
En attendant, le Premier ministre, Michel Barnier, a promis la tenue d’un comité interministériel des Outre-mer au premier trimestre 2025, un espace où les élus pourront porter de nouveau leurs revendications. Cependant, tant que les conditions de vie dans ces territoires continueront de se détériorer, il est peu probable que la tension retombe.
Un avenir incertain pour les Outre-mer
Le budget 2025 des Outre-mer représente un moment clé dans la relation entre l’État et ses territoires ultramarins. Alors que les crédits de la mission Outre-mer subissent des coupes sévères, les élus et les habitants des territoires concernés appellent à un changement de cap. Pour eux, ce n’est pas seulement une question de finances publiques, mais bien de justice sociale et de cohésion nationale. La question qui se pose désormais est de savoir si le gouvernement entend réellement répondre aux attentes des ultramarins, ou s’il poursuivra une politique d’austérité qui risque de nourrir encore davantage la fracture entre les Outre-mer et l’Hexagone.