— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Hier, nous n’avons pas réussi à surmonter nos difficultés, ni à construire un projet Martiniquais fiable sur le plan politique et économique , ni à ce jour transcender nos divisions et différences sur l’évolution de nos institutions ,alors, pourrons-nous le faire demain, alors que le contexte socio-économique inhérent au covid 19 ne s’y prête pas aujourd’hui ?
A l’heure actuelle, l’optimisme n’est plus de mise. La crise de confiance des chefs d’entreprises et des ménages est en effet passée par là. Et les nuages ne cessent de grossir à l’horizon. Les prévisions de croissance de L’Insee et de l’IEDOM en 2020 sont de plus en plus battues en brèche. Conséquences : » Le chômage de longue durée tout comme le chômage des jeunes devraient repartir à la hausse , ajoutent les experts . Les entreprises devraient continuer à maîtriser les coûts et à couper dans les effectifs afin de maintenir leur compétitivité voire à pérenniser l’activité . De plus, la note de conjoncture observe une accélération dans le désengagement des banques . Des bouleversements sans précédents sont en train de se produire, qui conduisent à des ruptures, à des recompositions non encore pensées, note L’Insee pour qui la Martinique est rentrée dans des zones grises . Et l’Insee de pointer la menace de plans d’austérité (vu le niveau élevé de la dette d’environ 2600 milliards d’euros) qui devaient bien finir par arriver (tant nous avons vécu aux dessus de nos moyens) et de mettre les politiques en garde contre les faux espoirs qu’ils pourraient susciter en proposant de nouvelles mesures d’ordre institutionnelle (compétences) qu’ils n’auront pas les moyens financiers de mettre en oeuvre .
Nul doute que nous sommes entrés de plein-pied en Martinique dans des mutations qui nécessitent des transformations radicales à tous les niveaux de la vie, et face à un tel défi il serait hasardeux de se satisfaire d’hypothèses, de solutions à court terme ou de ce que René Depestre appelle « des bricolages idéologiques, des millénarismes racoleurs, des à-peu-près conceptuels ».
Le débat sur le statut de la Martinique , n ‘est pas fini. La prochaine étape, ce sera soit la différenciation de l’acte 3 de la décentralisation comme en France hexagonale qui semble avoir la
préférence de certains des élus , soit une autonomie plus poussée avec une réécriture de l’article 74 de la constitution .
Quelque soit le choix politique en présence , les élus ne pourront pas faire l’ économie de la question essentielle du futur modèle de développement économique et social .
C’est pour cette raison que la refonte du modèle politique et socio-économique est fondamentale et prioritaire pour la Martinique comme l’a souligné à juste titre l’économiste Nicolas Bouzou qui dit que : « Le modèle économique des DOM n’a d’autre choix que de se remettre en cause »
C’est dans ce contexte de crise que nous proposons une refonte des institutions locales qui devrait s’articuler sur le mode d’emploi suivant :
– Refonte de l’architecture juridique de la CTM sur le modèle en pratique en Guyane à savoir un seul président de la collectivité et de l’Assemblée territoriale, et une commission permanente pour permettre une meilleure représentation de l’opposition .
– Création de 2 grands pôle d’activité et de bassins d’emplois nécessitant une révision administrative du périmètre des communes de la Martinique, de manière à éponger au plus vite la dette et les déficits avant que l’augmentation massive des impôts locaux ne devienne insupportable aux contribuables .
Par ailleurs, le changement doit également s’opérer sur le plan économique et social. Le modèle économique actuel de la Martinique n’a d’autre choix que de se remettre en cause . Pour ce faire, nous plaidons pour la ponction de 10% de la surrémunération des fonctionnaires pour créer un fonds d’investissement qui financerait l’érection d’une vaste zone artisanale à vocation d’activité agro-alimentaire dans la région du Nord de la Martinique, ainsi que le financement d’un grand musée de l’histoire du sel à la Martinique dans la région du Sud.
Par ailleurs, nous préconisons la suppression de l’octroi de mer qui serait remplacé par une TVA régionale afin de financer la restructuration indispensable de certaines productions locales en sursis comme la canne ou la banane .
En fait , nous considérons que la superstructure sociétale ne peut bouger dans un sens positif que si bougent les infrastructures économiques. Dans le cas contraire, on ne fera que s’enfoncer dans la mauvaise voie et on s’embourbera jusqu’à ne plus pouvoir maitriser le processus du changement institutionnel ou statutaire . La possibilité d’une solidarité passe par la réduction des inégalités, donc par l’économie. Il faut voir dans cette crise à venir une rupture avec un modèle sociétal que certains économistes pensent à tort ou à raison archaïque et entrevoir l’inauguration d’une nouvelle ère fondée non seulement sur la solidarité nationale mais également et surtout sur la responsabilité de gestion que l’ on soit ménage , collectivité locale ou entreprise . Mais la prochaine décennie devrait également connaître des changements sur le plan social en Martinique . D’ores et déjà, nous préconisons la création d’un revenu universel de base de 1000 euros pour tous les bénéficiaires actuels des minima sociaux en Martinique.
Ces quelques propositions succinctement formulées renvoient en écho les difficultés financières qui guettent les ménages et collectivités de Martinique , si l’on ajoute à cela le danger qui se profile à l’horizon avec la mutation « mutatis-mutandis « du secteur bancaire aux Antilles et le risque très réel d’une crise financière. De plus le déclenchement d’un processus de déflation n’est pas à exclure , car entre mars et juillet 2020, les prix à la consommation des ménages baissent de 0,7 %, principalement sous l’effet de la chute des prix de l’énergie (– 6,8 %). Presque tous les prix des autres secteurs d’activité baissent, à l’exception des prix du tabac qui augmentent de 4,7 %. Sur un an, les prix progressent faiblement de 0,1 %. Pour bien comprendre le danger de la déflation, il faut nécessairement expliquer les conséquences : Les consommateurs coupent dans leurs dépenses afin d’épargner ( les services de l’Insee parlent d’un bond énorme de l’épargne en Martinique en 2020 avec +66% durant la crise sanitaire: En 2019, les économies des Martiniquais se chiffraient à 8,4 milliards d’euros. À titre indicatif, le budget de la Collectivité Territorial de Martinique, c’est un peu moins de 1,5 milliard d’euros).
L’ environnement économique devient plus difficile et inclut des pertes d’emplois. Cela réduit la demande agrégée et augmente davantage le chômage, entraînant l’inflation vers le bas. La chute de l’inflation provoquée par l’incertitude va probablement durer plusieurs mois alors que les perspectives économiques se compliquent à cause de la crise du coronavirus
De fait, il convient de prendre conscience que rarement dans le passé , les incertitudes n’auront été aussi fortes et l’économie de la Martinique en danger de récession durable .
C’est dans ce contexte et avant qu’il ne soit trop tard, qu’il devient urgent de changer le jeu et libérer l’avenir en appliquant la stratégie du dauphin .
Les dauphins comme certains grands politiques ou chefs d’entreprises visionnaires comprennent par intuition et par raisonnement la nécessité du changement de cap , et ce quand la tempête menace ,au lieu d’attendre que l’environnement de la pandémie du coronavirus le leur rappelle à grands coups de plus en plus meurtriers.
Sentant que les changements fondamentaux sont imminents,les grands visionnaires en matière de gestion budgétaire ou de management des entreprises commencent à se désengager et entreprennent des explorations pro-actives des nouvelles possibilités , bien avant que la vague atteigne son sommet.
Sachant que les réalités politiques ,les considérations budgétaires ,le dialogue social peuvent s’avérer contradictoires , le politique averti tout comme le dauphin se sort de l’ancienne vague bien avant le point de bifurcation.
La stratégie du dauphin dont nous parlons s’appuie aussi sur le concept économique dite loi de Pareto qui est basée sur la règle des 80/ 20 :
En période de crise , vingt pour cent de ce que vous faites produit 80% des résultats et inversement 80% de ce que vous faites ne produit que 20% des résultats .En clair ,c’est le fait de ne pas anticiper et surtout de ne pas comprendre les mutations à venir qui nous fait perdre du temps et crée de la douleur.
En Martinique , nous dépensons généralement beaucoup d’énergie à résister aux solutions nouvelles et utiles , à nier l’évidence.
Pour conclure ,je dirais qu’il est urgent de changer les mentalités au niveau des decideurs économiques et surtout des élus , que cela ne suffit plus dans le contexte actuel de marteler de vieilles antiennes sur l’échec et la réussite réelle ou supposée du fonctionnement actuel de la CTM , mais qu’il convient bien au contraire comme le philosophe KANT l’a dit en son temps » de montrer à la mouche comment sortir de la bouteille »
Jean-Marie Nol économiste