Enfant pauvre du Nordeste, l’ancien ouvrier devenu président de la République a toujours suscité des envies de revanche parmi la bourgeoisie. Son destin, qui croise celui du pays, explique sa popularité et sa réélection le 30 octobre.
— Par Lina Sankari —
Il y a dans son surnom toute la morgue de l’élite qui n’a jamais digéré qu’un métallurgiste se hisse à la tête du Brésil. L’« anarfa », comprendre l’anarchiste analphabète, qui se donnait déjà pour mission de rendre leur dignité aux Brésiliens, quelle que soit leur condition, a toujours fait figure d’homme à abattre.
Enfant pauvre du Nordeste, ouvrier, fondateur du Parti des travailleurs qui participe également à la création de la Centrale unique des travailleurs, Luiz Inácio Lula da Silva est l’incarnation de tout ce que la bourgeoisie abhorre. « Ma mère est née et décédée analphabète, et ma mère a dit “mon fils, la seule chose que l’homme ne peut pas perdre est le droit de marcher la tête haute et de regarder dans les yeux les gens avec qui il parle” », se souviendra-t-il plus tard.
« Quand on a connu la faim, on ne renonce jamais »
Issu d’une famille de huit enfants du côté de sa mère, il voit le jour en 1945 dans une maison de bois et d’argile. Ses chances de survie sont maigres. À cette époque, à Caetes (Pernambouc), deux enfants sur dix ne parviennent pas à leur premier anniversaire. La moitié de la fratrie est ainsi décimée mais Lula a déjà le cuir dur. Comme des milliers d’autres, les siens montent dans un pick-up chargé d’émigrants dont le seul but est de remplir l’assiette.
Au terme de treize jours de voyage, ils entament une nouvelle vie dans un bidonville de Santos, sur le littoral de l’État en plein boom industriel de São Paulo. La capitale se représente alors comme « la locomotive de la nation », qui traîne comme un boulet les États déshérités et majoritairement noirs. « J’ai connu la faim, et quand on a connu la faim, on ne renonce jamais », dira plus tard le président qui a permis au Brésil d’éradiquer le phénomène. Pour survivre, le petit gars du sertão vend des cacahuètes, du tapioca et des oranges sur les quais. Trop timide pour appâter le chaland, celui qui a l’habitude d’aller pieds nus devient cireur de chaussures.
Il rêvait pourtant d’une vie « tranquille ».
Grâce à une formation du Service national d’apprentissage industriel (Senai), Lula se forme au métier de tourneur-fraiseur. L’usine le mutile, le patronat ne se soucie guère des normes de sécurité : il perd son auriculaire gauche. « Le Senai m’a donné la citoyenneté. J’étais le fils de huit frères et j’ai été le premier à suivre une formation professionnelle, le premier à avoir une maison, une voiture ; j’ai été le premier à travailler dans une usine, le premier à participer à un syndicat et, à partir du syndicat, j’ai fondé un parti et, à travers ce parti, je suis devenu président de la République », explique celui qui aurait aimé suivre des cours d’économie. Le coup d’État militaire contre le président João Goulart, en 1964, puis la perte de sa femme et de son premier enfant, quelques années plus tard, précipitent son apprentissage politique. Il rêvait pourtant d’une vie « tranquille ».
D’usine en usine, il finit par être embauché aux industries Villares, à São Bernardo do Campo. En 1975, il prend la tête du syndicat puis dirige les grandes grèves interdites pour l’augmentation des salaires. La résistance l’amène à la conclusion qu’une nouvelle formation politique est nécessaire au combat. En 1980, le Parti des travailleurs (PT) est créé. Sa mère est terrorisée à l’idée que son militantisme le précipite derrière les barreaux. Ce sera le cas. Elle décède sans savoir que son fils est incarcéré. « Ces gens qui sont morts et qui ne peuvent pas être avec nous, maintenant, vous pouvez être sûrs qu’ils sont là-haut en train de nous observer, de rire de joie, parce que nous avons réussi à construire le rêve de quelques générations », confie-t-il une fois au pouvoir.
Depuis la chute de la dictature en 1985, Lula est de toutes les campagnes. Candidat à la présidence quatre ans plus tard, il parvient à se hisser au second tour, mais la marche reste trop haute pour pouvoir l’emporter face à Fernando Collor, le candidat des milieux d’affaires. À force de batailles, désormais largement identifié par le peuple comme l’un des siens, Lula est investi au palais du Planalto en janvier 2003. Ses programmes d’inclusion sociale dans les domaines du logement, de la santé et de l’éducation lui confèrent une popularité sans pareille dans l’histoire politique du pays qui lui permet d’enchaîner un second mandat.
Le temps de la revanche et de la victoire
Mais l’élite est revancharde et ne supporte pas de voir le peuple accéder à un nouveau statut. « Vous savez que ce que nous avons fait aujourd’hui n’est pas peu, mais vous savez que l’on peut faire mieux », dira Lula. La droite, main dans la main avec les médias et la justice, donne le coup d’arrêt des avancées sociales. Dilma Rousseff, qui lui succède à la présidence, est destituée et, en 2018, Lula est jeté en prison au terme d’un procès politique. Après 580 jours en détention, toutes les charges pour corruption sont levées. À sa sortie, il est porté par une marée humaine de couleur rouge. Après quatre années, dans un Brésil dévasté par le fascisme, la faim et le chômage, dans un paysage politique polarisé, le vieux lion livre un nouveau combat. Pour le retour de la démocratie et la réconciliation, cette fois. 76 ans, et toujours la tête haute.