— Par Dominique Daeschler —
Photos de Christophe Casimir : Alfred et Lucie les coorganisateurs, Mustafa, public et Bergerie, Danse au lavoir
Insolite et roots, le festival de danse contemporaine conduit par les chorégraphes et danseurs Alfred Alerte et Lucie Anceau, à Soffin (Bourgogne, 38 habitants l’hiver) draine de jeunes équipes venues des quatre coins du monde. La Bergerie, bien connue du milieu professionnel, adoptée par la population locale et les vacanciers, est le lieu de résidence (création, ateliers) et de diffusion qui accueille cette 13ième mouture.
La Bergerie ? Au départ la ruine d’un bâtiment d’accueil des pèlerins de Compostelle que le martiniquais Alfred Alerte achète en l’état. Avec la complicité et l’aide des villageois, il se transforme en menuisier, charpentier, maçon, construit une vraie salle de spectacles dans le bâtiment avec régie et grill technique, des chambres, des espaces de repos, une scène en plein air, un espace camping avec douches …La dijonnaise Lucie n’est pas en reste, elle assure l’intendance, l’administration, le relationnel, décore. Ce travail, c’est leurs petites mains et leurs salaires avec la débrouille, les coups de main.
La curiosité passée, ils emportent le respect et l’admiration des habitants. Leur travail artistique et pédagogique au sein de la compagnie fait le reste : les instances politiques de proximité interviennent sur le festival ainsi que les Drac (Martinique au départ pour la diffusion d’artistes caribéens tels David Milôme ou Chantal Loial, Bourgogne Franche Comté pour le rayonnement territorial et la sensibilisation des publics). Aujourd’hui l’idée d’un conventionnement « artistes en territoire »sur trois ans renouvelable serait proposé à la compagnie. Le lieu n’a pas de subvention de fonctionnement même s’il est opérationnel toute l’année. Une prise en compte assurerait la survie d’un travail à l’arrache en insistant sur la résidence de compagnies de danse (Le Huit, Solau), le lieu de jeu permettant répétitions et finalisation spectaculaire au sein du festival.
Le festival cette année ? Un focus sur danse et performance, danse et arts plastiques. La compagnie fait un travail sur la performance depuis 1990 et l’a beaucoup pratiquée notamment dans les musées (Lucie est aussi diplômée de l’école du Louvre) et dans des manifestations de street art. L’intérêt de travailler sur l’éphémère c’est de travailler sur du non écrit qui de fait définit sa durée, se définit aussi dans la performance du jeu.
Parmi les spectacles présentés on retiendra tout particulièrement la performance dansée de Mostafa Abbourrou( Maroc) dans son rapport parfait aux arts plastiques : Isabelle Fremin a su créé des objets, sortes de gros œufs de bois, à la fois éléments de jeu et de ritualisation de l’espace. En danse, dans l’eau d’un lavoir, la jeune danseuse Caroline Le Noane décline un talent affirmé pour la chorégraphie.
En fonction de ses capacités (jauge, budget de 20 000 euros et équipe très réduite) le festival se passe quasiment de publicité : les gens reviennent d’une année sur l’autre avec de plus en plus de spectateurs locaux. La fidélité se décline aussi dans les ateliers avec 44 participants. Trois à quatre spectacles sont programmés par jour (salle intérieure de 150 places toujours pleine) et manifestations extérieures (plateau et campagne) autour de 250 spectateurs. C’es aussi de 100 à 150 repas trois soirs de suite ! C’est dire si l’organisation tient grâce à la participation de chacun, aux tâches de cuisine (j’ai personnellement un souvenir ému du râpage d’ignames à la mandoline !). nettoyage…
Sans administrateur ni relations publiques qui permettraient une meilleure diffusion des spectacles de la compagnie, Alfred et Lucie consacrent beaucoup de temps à un travail de terrain et de sensibilisation avec une vraie reconnaissance dans un travail spécifique sur le handicap (ateliers, weekend end danse handicap avec120 enfants, séminaires) qui leur permet d’aller jusqu’à des créations. Les deux danseurs chorégraphes sont conscients du rôle particulier du corps pour le handicapé : le mouvement le remet en vie avec une volonté de s’exprimer qui entre dans la fabrication d’un spectacle, il faut savoir apporter la densité du mouvement en gagnant en précision ce qui permet de rassembler le corps. Même reconnaissance dans le travail fait avec les populations dites sensibles sur un lien entre mémoire et identité (Villetaneuse) avec toutes les tranches d’âge et des cultures très différentes (environ 80 nationalités sur la commune).
L’0ANI (traduisez, langue de bois oblige, objet artistique non identifié) prend sa place au soleil et rappelle, s’il en était encore besoin, la nécessité d’établissements culturels de proximité s’appuyant clairement sur des disciplines et des équipes artistiques, mêlant création et pratiques artistiques concourant à la venue des publics.
Ce qui se passe là peut se passer ailleurs. L’argent ne fait pas tout : c’est plutôt tonique.